7B_194/2023 17.01.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
7B_194/2023  
 
 
Arrêt du 17 janvier 2024  
 
IIe Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Abrecht, Président, 
Hurni et Hofmann, 
Greffière : Mme Rubin. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Pierre-Xavier Luciani, avocat, 
recourant, 
 
contre 
 
Ministère public de l'arrondissement de La Côte, p.a. Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD. 
 
Objet 
Procédure pénale; ordonnance de jonction, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 24 avril 2023 (320 - PE20.010840-XCR). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Une première procédure pénale a été ouverte par le Ministère public de l'arrondissement de La Côte (ci-après: le Ministère public) contre A.________, B.________ et C.________ (cause PE20.010840-XCR) pour escroquerie et faux dans les titres. Il leur est en substance reproché d'avoir, en leur qualité d'administrateurs de la société D.________ SA:  
 
- entre le 15 février 2016 et le 29 septembre 2016 à tout le moins, émis à l'attention de la société E.________ SA des factures portant sur des travaux d'ores et déjà facturés et d'avoir ainsi obtenu indûment plusieurs milliers de francs; 
- le 21 juin 2019, produit par le biais de leur conseil, auprès de la Chambre patrimoniale du canton de Vaud, de faux titres à l'appui d'une demande en paiement dirigée contre la société E.________ SA, pour un montant de 303'368 fr. 45, dans le but d'obtenir le paiement de montants indus. 
 
A.b. Une seconde procédure pénale a été ouverte par le Ministère public contre A.________, B.________ et C.________ (cause PE22.010501-XCR) pour faux dans les titres. A ce titre, il leur est reproché d'avoir, en leur qualité de dirigeants de la société D.________ SA, créé un faux certificat de garantie d'ouvrage et de l'avoir adressé le 30 août 2021 à la société F.________ SA, dans le but de porter atteinte aux intérêts pécuniaires de cette dernière et/ou de se procurer un avantage illicite.  
 
A.c. Par ordonnance du 16 mars 2023, considérant que les causes étaient connexes par identité d'auteurs, le Ministère public a ordonné la jonction des procédures PE20.010840-XCR et PE22.010501-XCR.  
 
B.  
Le 24 avril 2023, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: la cour cantonale ou l'autorité précédente) a rejeté le recours formé par A.________ contre l'ordonnance de jonction de causes, qu'elle a confirmée. 
 
C.  
Par acte du 4 juillet 2023, A.________ forme un recours en matière pénale contre l'arrêt du 24 avril 2023, en concluant à son annulation et au renvoi de la cause au Ministère public afin qu'il instruise les procédures PE20.010840-XCR et PE22.010501-XCR de manière disjointe et procède "à la clôture du dossier, en impartissant les délais de procédure usuels". 
Il n'a pas été ordonné d'échange d'écritures. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office (art. 29 al. 1 LTF) et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 147 I 333 consid. 1). 
 
2.  
La décision attaquée, rendue en dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF), confirme la jonction de procédures pénales. Il s'agit d'une décision en matière pénale, susceptible d'un recours au sens de l'art. 78 al. 1 LTF. Le recourant a participé à la procédure de recours cantonale et a un intérêt juridiquement protégé à obtenir l'annulation de la décision attaquée (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF). Le recours a en outre été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF). 
 
3.  
 
3.1. La décision attaquée ne met pas fin aux procédures pénales ouvertes contre le recourant faisant l'objet de l'ordonnance de jonction querellée et revêt un caractère incident. S'agissant d'une décision qui n'entre pas dans le champ d'application de l'art. 92 LTF, elle ne peut faire l'objet d'un recours en matière pénale au Tribunal fédéral que si elle est susceptible de causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF). Cette dernière hypothèse n'entre pas en considération en l'espèce. Quant à l'art. 93 al. 1 let. a LTF, il suppose, en matière pénale, que le recourant soit exposé à un dommage de nature juridique, qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision qui lui serait favorable (ATF 148 IV 155 consid. 1.1; 147 IV 188 consid. 1.3.2; 144 IV 127 consid. 1.3.1). Il incombe au recourant de démontrer l'existence d'un préjudice irréparable lorsque celui-ci n'est pas d'emblée évident (cf. art. 42 al. 2 LTF; ATF 148 IV 155 consid. 1.1 in fine; 141 IV 284 consid. 2.3).  
En règle générale, les décisions relatives à la jonction de causes ne sont pas susceptibles de causer un préjudice irréparable. En effet, la jonction - respectivement la disjonction - de procédures prévue à l'art. 30 CPP porte sur une problématique que les parties peuvent à nouveau soulever à titre de réquisition à la suite de l'avis de la clôture de l'instruction (art. 318 al. 1 CPP) et/ou en tant que question préjudicielle à l'ouverture des débats (art. 339 al. 2 CPP), de sorte que l'éventuel dommage qui pourrait en résulter peut être réparé ultérieurement (arrêts 1B_570/2020 du 17 février 2021 consid. 1.2; 1B_593/2019 du 24 juin 2020 consid. 3.2; 1B_485/2018 du 1 er février 2019 consid. 1.2 et les références citées). La jurisprudence a encore précisé qu'en cas de jonction, le risque qu'une partie tierce puisse accéder au dossier de la procédure jointe constitue un inconvénient inhérent à cette mesure qui ne peut pas être assimilé à un dommage de nature juridique (arrêts 1B_151/2021 du 31 mars 2021 consid. 2.3; 1B_238/2020 du 8 juin 2020 consid. 2.4; 1B_226/2015 du 20 janvier 2016 consid. 1.2.1 et les arrêts cités). Dans les causes pénales concernant la reconnaissance de la qualité de partie plaignante, la jurisprudence retient également que l'accès au dossier pénal par la partie plaignante constitue un inconvénient potentiel inhérent à l'existence d'une procédure pénale, insuffisant pour admettre que le prévenu soit exposé à un préjudice irréparable (arrêts 7B_917/2023 du 5 décembre 2023 consid. 2.2.2; 7B_327/2023 du 4 septembre 2023 consid. 2.3.2; 1B_183/2021 du 21 septembre 2021 consid. 2.1).  
 
3.2. Le recourant fait valoir qu'il subirait manifestement un préjudice irréparable si les causes PE20.010840-XCR et PE22.010501-XCR étaient jointes. Premièrement, il en découlerait un allongement des procédures pénales ouvertes contre les dirigeants de la société D.________ SA, dont lui-même. Or, vu le faux dans les titres qui lui est reproché, ce prolongement aurait pour effet de porter atteinte à sa réputation professionnelle et privée. Il soutient en effet qu'une telle infraction, qu'il juge grave, serait de nature à mettre en doute sa probité ainsi que sa respectabilité. Elle ne donnerait du reste pas seulement une image négative de sa personne, mais également de la société qu'il gère avec ses frères. Deuxièmement, le recourant argue que, du fait des instructions pénales dont il fait l'objet, il ne pourrait pas être candidat à la naturalisation malgré qu'il en remplirait toutes les conditions. Il disposerait d'un droit à ce que les procédures en cours se terminent rapidement, au regard de son droit à l'oubli et de celui de ne pas être impacté par des démarches judiciaires infondées devant se solder par un classement. Troisièmement, le recourant voit un préjudice irréparable dans le fait que les plaignantes auraient accès à des éléments confidentiels du dossier tels que l'état de la procédure civile pendante entre D.________ SA et E.________ SA, les comptes de sa société, le mode de facturation, les coordonnées des sous-traitants et de divers clients.  
 
3.3.  
 
3.3.1. Tout d'abord, force est de constater qu'un allongement de la procédure constitue un préjudice de fait, et non un dommage d'ordre juridique (cf. ATF 148 IV 155 consid. 1.1; 144 IV 321 consid. 2.3). Certes, la jurisprudence admet que le justiciable peut subir un préjudice irréparable lorsqu'il se plaint, en raison d'une décision incidente, d'un retard injustifié à statuer sur le fond (cf. ATF 143 IV 175 consid. 2.3; 138 IV 258 consid. 1.1; 134 IV 43 consid. 2.2-2.4). Il faut toutefois que le grief fasse apparaître un risque sérieux de violation du principe de la célérité (cf. ATF 143 IV 175 consid. 2.3). En l'occurrence, le recourant ne soulève pas un tel grief ni n'explique en quoi il y aurait lieu de craindre que la jonction des procédures pénales ait pour effet d'en retarder de manière notable l'avancée.  
Quant à l'atteinte à la réputation du recourant, laconiquement alléguée mais non étayée, elle est de nature factuelle, notamment économique (cf. arrêts 1B_187/2021 du 18 mai 2021 consid. 3.3; 1B_347/2009 du 25 janvier 2010 consid. 2; 1B_214/2007 du 21 septembre 2007 consid. 3). Partant, même à considérer que la jonction des procédures menées contre le recourant puisse avoir pour effet de ternir sa réputation professionnelle et/ou privée, on ne voit pas à quel préjudice irréparable il serait exposé. Au demeurant, du fait de la publicité des audiences, un hypothétique dégât d'image est inhérent à presque toute procédure pénale. Il en va a fortiori ainsi lorsque les infractions en cause concernent l'activité commerciale d'une société et qu'elles sont reprochées à ses dirigeants.  
 
3.3.2. Ensuite, le recourant ne subit aucun préjudice irréparable d'ordre juridique du fait qu'une éventuelle procédure de naturalisation puisse être impactée négativement par les instructions pénales en cours. Non seulement d'éventuelles répercussions sur ce plan découleraient naturellement de toute poursuite pénale contre un prévenu étranger, mais on ne voit pas en quoi celles-ci pourraient provenir du simple fait que les causes sont jointes. Du reste, savoir si un préjudice irréparable existe s'apprécie par rapport aux effets de la décision incidente sur la cause principale, respectivement la procédure principale (ATF 141 III 80 consid. 1.2; 137 III 380 consid. 1.2.2). Le recourant ne saurait donc invoquer des obstacles qu'il risquerait de rencontrer dans une autre procédure, en particulier dans une procédure administrative qui n'a pas même été introduite.  
De plus, en tant qu'il soutient que les démarches judiciaires dont il fait l'objet seraient infondées ou devraient aboutir rapidement à une ordonnance de classement, le recourant critique principalement les conditions d'ouverture de l'instruction et la manière dont est menée la procédure par le Ministère public, dans une mesure exorbitante à l'objet du litige (cf. art. 80 al. 2 LTF). Il est rappelé que celui-ci est en effet circonscrit à la question de la jonction des procédures pénales concernant le recourant et ses frères. 
 
3.3.3. Enfin, le recourant voit un préjudice irréparable dans le fait que les parties plaignantes auront accès à des informations confidentielles contenues dans le dossier. Il mérite d'être relevé que le recourant n'invoque ce moyen que pour justifier la recevabilité de son recours, sans toutefois l'inclure dans son argumentation de fond pour s'opposer à la jonction des causes. A cela s'ajoute que, s'il fait état d'éléments qui pourraient notamment être protégés par le secret commercial ou d'affaires de la société D.________ SA, il n'indique pas en quoi leur révélation aux parties plaignantes pourraient lui causer un dommage irréparable. En particulier, le simple fait qu'une procédure civile opposant D.________ SA à E.________ SA soit pendante n'est pas suffisant. Le recourant n'allègue en effet pas que des éléments issus du dossier pénal pourraient être utilisés par la partie plaignante à son avantage dans ladite procédure se déroulant en parallèle. D'ailleurs, le recourant ne relève aucun abus commis par la plaignante à la suite de son accès au dossier dans la procédure pénale à laquelle elle est partie. Dans ces circonstances, on ne saurait s'écarter de la jurisprudence fédérale rappelée ci-dessus, selon laquelle l'accès au dossier pénal par la partie plaignante constitue un inconvénient potentiel inhérent à l'existence d'une procédure pénale, insuffisant pour admettre un préjudice irréparable (cf. consid. 3.1 supra). Au demeurant, la question de l'éventuel accès au dossier par les parties plaignantes n'est pas directement l'objet du présent litige. Par ailleurs, le recourant pourrait requérir de la direction de la procédure qu'elle prenne des mesures visant par exemple à restreindre l'accès des parties plaignantes à certaines pièces du dossier, en application des art. 73 al. 2, 102 al. 1 ou 108 CPP. Partant, le préjudice allégué serait susceptible d'être réparé par une décision ultérieure (cf. arrêts 1B_183/2021 du 21 septembre 2021 consid. 2.2; 6B_473/2021 du 12 mai 2021 consid. 1.4.3; 1B_559/2018 du 12 mars 2019 consid. 2.2).  
 
3.4. En définitive, le recourant ne parvient pas à établir, ni même à rendre vraisemblable, que la décision attaquée risque de lui causer un préjudice juridique irréparable, de sorte qu'elle ne saurait faire l'objet d'un recours immédiat auprès du Tribunal fédéral (cf. art. 93 al. 1 LTF).  
 
4.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être déclaré irrecevable. Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). ll ne sera pas alloué de dépens (cf. art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est irrecevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'200 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de l'arrondissement de La Côte et à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud ainsi que, pour information, au mandataire de C.________, à B.________, au mandataire de E.________ SA ainsi qu'au représentant de G.________ AG. 
 
 
Lausanne, le 17 janvier 2024 
 
Au nom de la IIe Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Abrecht 
 
La Greffière : Rubin