4A_234/2023 08.08.2023
Avis important:
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_234/2023  
 
 
Arrêt du 8 août 2023  
I  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Jametti, Présidente, Rüedi et May Canellas, 
greffière Monti. 
 
Participants à la procédure 
A.________Sàrl, en liquidation, 
représentée par Me Vincent Solari, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Z.________, 
représenté par Me Douglas Hornung, avocat, 
intimé. 
 
Objet 
nomination d'un commissaire (art. 731b CO); préjudice irréparable, 
 
recours contre l'arrêt rendu le 30 mars 2023 
par la Chambre civile de la Cour de justice 
du canton de Genève (C/4517/2022; ACJC/470/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________ Sàrl, désormais en liquidation, avait pour but de prodiguer des soins aux arbres. B.________ (titulaire de 99 parts de 100 fr. chacune) en était l'associé-gérant président, avec signature individuelle. Z.________ (titulaire de 50 parts de 100 fr.), C.________ (également titulaire de 50 parts de 100 fr.) et D.________ (détenant une part de 100 fr.) en étaient associés, sans pouvoir de signature.  
 
Cette société a employé Z.________ dès 2008. Elle l'a licencié les 17 mars et 30 juin 2017. Ces congés ont donné lieu à une procédure prud'homale qui s'est terminée par un arrêt du Tribunal fédéral du 28 mai 2021, confirmant la décision rendue par la Cour de justice du canton de Genève. Dans son arrêt du 7 octobre 2020, la cour cantonale soulignait la nullité des licenciements et condamnait ladite société à verser au prénommé 58'196 fr. 67 à titre de salaire. 
 
Le...... 2018, Z.________ a déposé une plainte pénale à l'encontre de B.________ pour gestion déloyale, faux dans les titres et escroquerie. Il en a déposé une deuxième le 25 mai 2018. Par arrêt du 9 mars 2021, la Chambre pénale de recours a partiellement confirmé la non-entrée en matière dictée par le Ministère public genevois. 
 
A.b. Par décision de l'assemblée générale des associés du...... 2022, la société précitée a été dissoute et L.________, qui en était le comptable depuis de nombreuses années, a été nommé liquidateur avec signature individuelle.  
Z.________ a voté contre cette nomination. 
 
B.  
 
B.a. Le 7 mars 2022, Z.________ (ci-après: le requérant) a saisi le Tribunal civil de première instance du canton de Genève d'une requête dirigée contre la société, tendant à révoquer L.________ de ses fonctions de liquidateur (art. 741 al. 2 CO par analogie) et à nommer un nouveau liquidateur « neutre, impartial et compétent », afin « d'entreprendre toute action utile et nécessaire, tant sur le plan civil que pénal, pour permettre une juste liquidation de la société ». Le comptable L.________, prétendument « complice des malversations » de B.________, était prié de rembourser ses honoraires depuis 2011. Le requérant alléguait que B.________ s'organisait pour vider la société de sa substance et reprochait au comptable d'avoir « docilement » enregistré dans la comptabilité toutes les « malversations » de B.________; il dénonçait un conflit d'intérêts puisque la société détenait, selon lui, une créance contre L.________ en tant que comptable, lequel lui vouait une animosité personnelle.  
Au préalable, il avait sollicité du tribunal saisi qu'il désigne un commissaire temporaire pour expédier les affaires courantes de la société et la représenter jusqu'à droit jugé dans la présente procédure. 
Sa requête superprovisionnelle s'est heurtée à une fin de non-recevoir et le recours corrélatif, exercé au niveau cantonal, a été frappé d'irrecevabilité. 
Invitée à se déterminer tant sur la requête de mesures provisionnelles que sur le fond du litige, la société, représentée par un avocat mandaté conjointement par L.________ et B.________, a conclu au déboutement complet du requérant. Elle a notamment allégué qu'elle avait progressivement cessé ses activités dès juin 2021, suite à l'arrêt rendu par le Tribunal fédéral le 28 mai 2021. Elle ne parvenait plus à poursuivre ses affaires « en raison des conflits provoqués » par le requérant. Elle n'avait plus d'employés et avait vendu son matériel. Les liquidités dont elle disposait ne lui permettaient pas d'engager les démarches et procédures que le requérant voulait « abusivement lui imposer ». 
Par ordonnance du 25 janvier 2023, le Tribunal civil a désigné le Professeur P.________ en qualité de commissaire de la société en liquidation (ch. 1), lui a confié la mission de représenter cette dernière dans la présente procédure jusqu'à droit jugé définitif (ch. 2), a imparti à la société un délai pour verser une avance de 6'000 fr. pour les frais et honoraires du commissaire (ch. 3) et a réservé la suite de la procédure (ch. 5). 
 
B.b. Par arrêt du 30 mars 2023, la Chambre civile de la Cour de justice genevoise a rejeté l'appel interjeté par la société et confirmé l'ordonnance querellée.  
 
C.  
La société, toujours représentée par l'avocat mandaté conjointement par L.________ et B.________, a saisi le Tribunal fédéral d'un recours en matière civile visant à ce qu'aucun commissaire ne soit désigné pour la représenter dans la procédure genevoise C/4517/2022. Elle sollicitait parallèlement l'effet supensif. 
Invitée à se déterminer sur les deux aspects, l'autorité précédente a déclaré s'en remettre à justice s'agissant de l'effet suspensif et s'est référée à son arrêt quant au fond. 
Quant à Z.________, soit ici l'intimé, son avocat a simplement déclaré que la requête d'effet suspensif n'appelait aucun commentaire. De fait, il ne s'est pas déterminé sur le fond, nonobstant l'invitation qui lui avait été faite. 
Par ordonnance présidentielle du 16 juin 2023, l'effet suspensif a été octroyé au recours, au motif que ni l'autorité précédente, ni l'intimé ne s'y étaient opposés. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 141 III 395 consid. 2.1; 138 I 435 consid. 1 p. 436) 
 
1.1. Le recours porte sur une décision de mesures provisionnelles aux termes de laquelle un commissaire a été désigné à la société afin de la « représenter » dans la présente procédure.  
Cette décision fait suite à une requête de mesures provisionnelles émise par l'intimé. Son objet est de définir qui peut s'exprimer pour la société dans la présente procédure, jusqu'à droit jugé définitif. Dans la procédure au fond, l'intimé demande la révocation du liquidateur sur la base de l'art. 741 al. 2 CO par analogie, ce qui est encore autre chose, respectivement une mesure plus étendue, puisqu'elle concerne toutes les affaires sociales dans le cadre de la liquidation. Le Tribunal civil a statué en procédure sommaire et limité l'examen de la cause à la vraisemblance des faits et à une analyse sommaire du droit. Il s'agit donc bel et bien d'une décision provisoire qui doit être suivie du procès au fond et non, comme dans d'autres affaires dont le Tribunal fédéral a été saisi par le passé, de la prétention au fond (cf. arrêts 4A_207/2022 du 17 octobre 2022 spécialement consid. 3; 4A_717/2014 du 29 juin 2015 spéc. consid. 2-3; 4A_522/2011 du 13 janvier 2012 spéc. consid. 2). 
Les décisions en matière de mesures provisionnelles sont incidentes, au sens de l'art. 93 LTF, lorsque l'effet des mesures en cause est limité au procès en cours ou à la durée d'une procédure que la partie requérante doit introduire dans le délai qui lui est imparti, sous peine de caducité des mesures ordonnées (art. 263 CPC; ATF 137 III 324 consid. 1.1; 134 I 83 consid. 3.1). Cette nature incidente prévaut non seulement lorsque la décision attaquée accorde ce type de mesures provisionnelles, mais aussi lorsqu'elle les refuse (arrêts 4A_137/2020 du 24 mars 2020 consid. 7; 4A_281/2018 du 12 septembre 2018 consid. 1.1 et les arrêts cités). L'arrêt entrepris, qui confirme la nomination d'un commissaire provisoire, relève donc de l'art. 93 al. 1 LTF
 
1.2. Un recours immédiat contre une telle décision n'est ouvert que si elle peut causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF), l'autre hypothèse envisagée par le législateur (art. 93 al. 1 let. b LTF) n'entrant manifestement pas en ligne de compte.  
 
1.2.1. Il y a risque de préjudice irréparable lorsque le recourant est exposé à un dommage qu'une décision finale favorable sur le fond ne pourrait pas faire disparaître, ou du moins pas entièrement. Le dommage doit être de nature juridique; un dommage économique ou de pur fait, tel que l'allongement de la procédure et/ou l'accroissement des frais, ne suffit pas (ATF 142 III 798 consid. 2.2; 141 III 80 consid. 1.2; 137 III 380 consid. 1.2.1; 134 III 188 consid. 2.1). Si la question visée par la décision incidente peut être soulevée à l'appui d'un recours contre la décision finale (art. 93 al. 3 LTF), il n'y a pas de préjudice irréparable (arrêts 4A_248/2014 du 27 juin 2014 consid. 1.2.3; 5A_435/2010 du 28 juillet 2010 consid. 1.1.1; 5D_72/2009 du 9 juillet 2009 consid. 1.1 in fine). La réglementation de l'art. 93 LTF est fondée sur des motifs d'économie de procédure: le Tribunal fédéral ne doit en principe traiter d'une affaire qu'une seule fois, lorsqu'il est certain que la partie recourante s'expose effectivement à un dommage définitif (cf. par ex. ATF 134 III 188 consid. 2.2).  
La partie recourante doit expliquer de façon détaillée en quoi elle se trouve menacée d'un préjudice juridique irréparable par la décision qu'elle conteste, sauf si ce point découle manifestement de la décision ou de la nature de la cause. A défaut, le recours est irrecevable (ATF 138 III 46 consid. 1.2 in fine p. 48; 137 III 324 consid. 1.1 p. 328 s.).  
 
1.2.2. En l'espèce, la société recourante invoque son droit d'être entendue; elle plaide que cette question ne pourra plus être tranchée en fin de cause si la possibilité de l'invoquer lui est refusée à ce stade. Elle serait également privée de la faculté d'être représentée par l'avocat de son choix si elle devait attendre l'arrêt qui tranchera sa prétention au fond pour former recours.  
Il s'agit de savoir si la décision entreprise peut causer ou non un préjudice irréparable à la société (ici la partie recourante), et non de déterminer si elle touche les intérêts de l'actionnaire majoritaire ou du liquidateur. La réponse est donc moins évidente qu'il n'y paraît. 
En effet, il ne s'agit pas ici d'une problématique de représentation au procès (art. 68 s. CPC), mais de formation de la volonté sociale en lien avec le présent procès. Si le Tribunal civil, respectivement la Cour de justice, ont pu utiliser l'expression « représentation » pour circonscrire la mission confiée au commissaire, ceci ne doit pas induire en erreur. Le commissaire provisoirement désigné doit prendre les décisions qui s'imposent pour la société dans le contexte de la présente procédure, en lieu et place du liquidateur contesté. 
Certes, il pourrait également, en sa qualité d'avocat au barreau, représenter la société dans le présent procès; cela étant, il n'a pas été désigné comme simple mandataire, mais bien pour incarner la société dans ce contexte précis. En bref, la société n'est pas privée de la faculté de confier ses intérêts à l'avocat de son choix; c'est bien plutôt par une autre personne (que le liquidateur) que la société exprime sa volonté dans le cadre de la présente procédure. La nuance est de taille. même si, à titre de conséquence, l'avocat mandaté jusqu'à présent par l'ex-associé président et par le liquidateur risque d'être déchargé de sa fonction.  
Les explications de la recourante ne permettent dès lors pas de discerner où résiderait le risque de préjudice irréparable, si la société n'agit plus par son liquidateur, mais par un commissaire provisoire, dans le cadre de la présente procédure. Elle ne s'aventure pas à prétendre que les décisions que pourrait prendre ledit commissaire seraient susceptibles de lui causer un tel préjudice. On ne voit d'ailleurs pas a priori quel pourrait être concrètement le risque de préjudice irréparable, étant rappelé qu'il n'est pas question des intérêts de l'actionnaire majoritaire, ni de ceux du liquidateur. Et d'ailleurs, la recourante elle-même affirme que le commissaire a été nommé par le tribunal alors que l'échange d'écritures était déjà intervenu et l'affaire se trouvait en état d'être jugée (tout en reprochant à la Cour de justice de ne pas s'être exprimée sur ce grief). Si on la suit sur ce chapitre, il est d'autant moins évident de concevoir un quelconque risque de préjudice irréparable.  
La recourante serait-elle privée de la possibilité de voir son grief tranché (violation du droit d'être entendue [art. 29 al. 2 Cst.], consacrée par la prétendue omission de la Cour de justice de traiter le moyen tiré du droit à la défense de ses intérêts par l'avocat de son choix et le moyen du caractère inopérant ou insensé du prononcé, intervenu alors que la cause était en état d'être jugée) si le Tribunal fédéral devait refuser d'entrer en matière à ce stade? En réalité, la question ne se pose plus, à mesure que le Tribunal fédéral a discuté et rejeté le grief en question, comme il l'a fait ici sous l'égide du préjudice irréparable. 
La recourante ne faisant pas valoir d'autre élément à ce propos, il apparaît que la décision incidente contestée n'est pas susceptible de lui causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF). Partant, le recours est frappé d'irrecevabilité. 
 
2.  
Vu l'issue du recours, son auteur acquittera l'émolument judiciaire (art. 66 al. 1 LTF). En revanche, aucuns dépens ne seront dus, puisque l'intimé, certes représenté par un avocat, a renoncé à se déterminer (let. C supra).  
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
 
1.  
Le recours est irrecevable. 
 
2.  
L'émolument judiciaire, fixé à 2'000 fr., est mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 8 août 2023 
 
Au nom de la I re Cour de droit civil  
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
La Greffière : Monti