4A_401/2023 15.05.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_401/2023  
 
 
Arrêt du 15 mai 2024  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Jametti, Présidente, Hohl et May Canellas. 
Greffière : Mme Raetz. 
 
Participants à la procédure 
Établissements A.________, 
représentés par Mes Michel Bergmann et Clio Herrmann, avocats, 
recourants, 
 
contre  
 
B.________, 
représentée par Me Jacques Roulet, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
responsabilité médicale, 
 
recours contre les arrêts rendus le 28 février 2020 (C/11822/2014; ACJC/433/2020) et le 8 juin 2023 (C/11822/2014; ACJC/817/2023) par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Faits :  
 
A.  
Le 14 mai 2011, B.________ (ci-après: la patiente), âgée de 47 ans au moment des faits, a été admise à 13h37 au service des urgences des Établissements A.________, en raison notamment d'un malaise et de vomissements. Elle a été installée en salle d'attente, faute de place ailleurs. Par la suite, elle a été vue à quatre reprises par le personnel soignant, puis à 19h30 par un premier médecin, après que sa famille a alerté le personnel d'une dégradation de son état. Le Dr C.________, chef de clinique des urgences, a suspecté une crise d'hyperventilation liée à des troubles anxieux. Une infirmière a relevé les paramètres vitaux (tension, pouls et température) de la patiente à 22h40, lesquels ne présentaient rien d'anormal. 
La patiente a été installée en zone de soins à 1h35. Lors de son transfert, les infirmières ont notamment relevé qu'elle ne parlait plus. Le médecin interne de nuit l'a immédiatement examinée, rejoint par son supérieur. Il a demandé un CT-scan cérébral et a sollicité une consultation auprès de la neurologue de garde, laquelle a examiné la patiente à 4h et notamment préconisé un CT-scan cérébral. Ce dernier, réalisé à 5h, a mis en évidence un possible infarctus récent cérébelleux droit par occlusion du tronc basilaire. Une IRM cérébrale effectuée à 8h a confirmé un accident vasculaire cérébral (AVC) sous la forme d'une occlusion du tronc basilaire. Le même jour, la patiente a subi une thrombectomie du tronc basilaire. 
Après plusieurs séjours en soins intensifs, en neurologie, puis en rééducation, la patiente a pu regagner son domicile le 28 novembre 2011 et garde d'importantes séquelles. 
 
B.  
 
B.a. Par acte du 13 juin 2014, la patiente a saisi le Tribunal de première instance du canton de Genève d'une demande en paiement à l'encontre des Établissements A.________ pour un montant initial de 2'041'249 fr., réduit par la suite à 1'026'027 fr., avec intérêts. Elle a allégué que sa prise en charge en mai 2011 avait été effectuée en violation des règles de l'art et du devoir de diligence, les Établissements A.________ ayant commis plusieurs fautes graves, en particulier en raison des délais d'attente. Elle a notamment fait valoir un dommage corporel et matériel.  
A la demande du Tribunal, une expertise judiciaire a été réalisée le 28 mars 2018 par le Dr D.________, chef du service des Urgences (art. 105 al. 2 LTF) de l'Hôpital X.________. Il a conclu qu'aucun manquement ne pouvait être reproché aux Établissements A.________ compte tenu d'une part, de la difficulté particulière à établir le diagnostic s'agissant d'une occlusion basilaire en raison de son évolution progressive et insidieuse et, d'autre part, de la saturation du service des urgences ce jour-là. En outre, la relation entre la rapidité de l'intervention et le pronostic n'était pas clairement établie; il était impossible de définir rétrospectivement dans quelle mesure l'incident critique aurait pu être évité. 
Le Tribunal a également entendu plusieurs témoins, dont le Dr E.________, neurologue et employé des Établissements A.________ ayant examiné la patiente. 
Par jugement du 24 avril 2019, le Tribunal a débouté la patiente de toutes ses conclusions, en suivant les conclusions de l'expert. 
Par arrêt du 28 février 2020, la cour cantonale a annulé ce jugement, admis la responsabilité des Établissements A.________ et renvoyé la cause au Tribunal pour décision sur la question du dommage. 
 
B.b. A la suite de l'arrêt de renvoi, le Tribunal a ordonné la mise en oeuvre d'une nouvelle expertise aux fins d'apprécier l'état de la patiente et son incapacité de travail. Elle a été réalisée le 19 septembre 2021 par le Prof. F.________ et le Dr G.________, médecin-chef et assistant au H.________. Ils ont rendu un rapport complémentaire le 28 janvier 2022.  
Par jugement du 18 août 2022, le Tribunal a condamné les Établissements A.________ à verser à la patiente plusieurs montants, certains avec intérêts, d'une somme totale de 156'505 fr. Il a retenu, sur la base de la seconde expertise, qu'une part de 15 % du préjudice subi était imputable aux Établissements A.________. 
 
B.c. Tant la patiente que les Établissements A.________ ont formé appel à l'encontre de ce jugement auprès de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.  
Par arrêt du 8 juin 2023, la cour cantonale a annulé tous les chiffres du dispositif du jugement entrepris, hormis ceux concernant les frais et dépens. Statuant à nouveau, elle a condamné les Établissements A.________ à verser à la patiente les montants de 5'233 fr. 55 et 7'421 fr. 75 (à titre de frais médicaux passés et futurs), de 116'980 fr. et 147'687 fr. (à titre de dommage ménager passé et futur), de 46'354 fr. et 22'799 fr. (à titre de perte de gain passée et future), et 30'000 fr. (à titre d'indemnité pour tort moral), certains montants portant intérêts. Elle a confirmé le jugement pour le surplus et débouté les parties de toutes autres conclusions. 
 
C.  
Les Établissements A.________ (ci-après: les recourants) ont exercé un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre les arrêts des 28 février 2020 et 8 juin 2023. Ils ont notamment conclu à leur réforme en ce sens que la patiente soit déboutée de toutes ses conclusions et condamnée en tous les frais et dépens. 
Dans sa réponse, la patiente (ci-après: l'intimée) a conclu au rejet du recours. Elle a en outre présenté une demande d'assistance judiciaire. 
La cour cantonale s'est référée à ses arrêts. 
Les recourants ont déposé une réplique spontanée, ne suscitant pas de duplique de l'intimée. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Les conclusions soumises au Tribunal fédéral sont dirigées contre les arrêts des 28 février 2020 et 8 juin 2023 de la cour cantonale. Le plus récent arrêt est une décision finale susceptible de recours selon l'art. 90 LTF. L'arrêt du 28 février 2020 est une décision incidente qui peut être attaquée avec cette décision finale, dans la mesure où elle a une influence sur le contenu de celle-ci, conformément à l'art. 93 al. 3 LTF. La décision incidente, admettant la responsabilité pour acte illicite des Établissements A.________, a une influence évidente sur le contenu de la décision finale, laquelle a pour objet une demande en paiement fondée sur une telle responsabilité. 
Les arrêts attaqués concernent la responsabilité d'un hôpital public fondée sur le droit public cantonal en matière de responsabilité de l'État (cf. consid. 2 infra). Il s'agit de décisions prises en application de normes de droit public cantonal dans une matière connexe au droit civil au sens de l'art. 72 al. 2 let. b LTF (ATF 139 III 252 consid. 1.5; 135 III 329 consid. 1.1; 133 III 462 consid. 2.1). Elles doivent donc être attaquées devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr., comme en l'espèce (ATF 139 III 252 consid. 1.5; 135 III 329 consid. 1.1).  
Pour le surplus, les autres conditions de recevabilité du recours en matière civile sont réalisées sur le principe, notamment celles afférentes au délai de recours (art. 46 al. 1 let. b et 100 al. 1 LTF). 
 
2.  
 
2.1. Selon la jurisprudence, les soins dispensés aux malades dans les hôpitaux publics ne se rattachent pas à l'exercice d'une industrie (cf. art. 61 al. 2 CO), mais relèvent de l'exécution d'une tâche publique; en vertu de la réserve facultative prévue à l'art. 61 al. 1 CO, les cantons sont donc libres de soumettre au droit public cantonal la responsabilité des médecins engagés dans un hôpital public pour le dommage ou le tort moral qu'ils causent dans l'exercice de leur charge (ATF 139 III 252 consid. 1.3; 133 III 462 consid. 2.1; 122 III 101 consid. 2a/aa et bb).  
 
2.2. Le canton de Genève a fait usage de cette réserve. La loi genevoise sur la responsabilité de l'État et des communes (LREC; RS/GE A 2 40), applicable aux recourants en tant qu'établissement public médical, prévoit que les institutions, corporations et établissements de droit public dotés de la personnalité juridique répondent du dommage résultant pour les tiers d'actes illicites commis soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence par leurs fonctionnaires ou agents dans l'accomplissement de leur travail (art. 2 al. 1 et 9 LREC). La LREC institue une responsabilité pour faute, ce qui implique la réalisation des quatre conditions cumulatives suivantes: un acte illicite commis par un agent ou un fonctionnaire, une faute de la part de celui-ci (dans le domaine médical, la réalisation de cette condition devra être admise, en règle générale, lorsqu'une violation du devoir de diligence aura été constatée), un dommage subi par un tiers et un lien de causalité naturelle et adéquate entre l'acte illicite et le dommage (arrêts 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.1; 4A_315/2011 du 25 octobre 2011 consid. 2.1 et 3.3).  
Ces conditions correspondent à celles qui figurent à l'art. 41 CO. Le droit civil fédéral est appliqué à titre de droit cantonal supplétif (art. 6 LREC). 
 
2.3. L'art. 7 al. 2 LREC prévoit que le code de procédure civile suisse est applicable. Les règles du CPC constituent aussi du droit cantonal supplétif (cf. arrêt 2C_96/2023 du 16 février 2023 consid. 6).  
 
3.  
 
3.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui correspond à la notion d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 140 III 115 consid. 2; 137 I 58 consid. 4.1.2; 137 II 353 consid. 5.1) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).  
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références citées). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références citées). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes, en conformité avec les règles de la procédure, les faits juridiquement pertinents à cet égard et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 130 I 258 consid. 1.3). 
En matière d'appréciation des preuves, il y a arbitraire lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables. L'arbitraire ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution serait envisageable, voire préférable (ATF 136 III 552 consid. 4.2). 
Le juge apprécie librement la force probante d'une expertise, comme tout moyen de preuve. Le Tribunal fédéral ne revoit cette question que si elle se révèle arbitraire. L'expertise traite de questions techniques nécessitant des connaissances spéciales dont le juge est en principe dépourvu. Aussi doit-il avoir de bonnes raisons de s'en écarter et ne peut-il, sans motifs valables, substituer son appréciation à celle de l'expert. Le magistrat pourra ainsi dénoncer les contradictions entachant les explications de l'expert, arguer que les autres moyens de preuve et les allégations des parties ébranlent sérieusement le tranchant de ses conclusions, ou encore objecter qu'il n'accorde pas la même portée ou la même force probante à des pièces ou témoignages dont l'expert se prévaut. Si nécessaire, le juge doit recueillir des preuves complémentaires lorsque les conclusions de l'expertise judiciaire se révèlent douteuses sur des points essentiels (ATF 141 IV 369 consid. 6.1; 138 III 193 consid. 4.3.1; arrêt 4A_394/2022 du 27 décembre 2022 consid. 2.2). 
 
3.2. En matière d'interprétation et d'application du droit public cantonal, y compris du droit fédéral appliqué à titre de droit cantonal supplétif, le Tribunal fédéral n'examine que si la mauvaise application du droit cantonal constitue une violation du droit fédéral, parce qu'elle est arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. ou parce qu'elle est contraire à d'autres droits constitutionnels (art. 106 al. 2 LTF). Il ne faut pas confondre arbitraire et violation de la loi; une violation doit être manifeste et reconnue d'emblée pour être considérée comme arbitraire. Le Tribunal fédéral n'a pas à examiner quelle est l'interprétation correcte que l'autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables; il doit uniquement dire si l'interprétation qui a été faite est défendable (ATF 133 III 462 consid. 4.4.1; 132 I 13 consid. 5.1; 131 I 217 consid. 2.1). Il appartient au recourant, respectivement à l'intimé pour ses propres griefs, d'établir la réalisation de ces conditions par une argumentation précise répondant aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF.  
 
4.  
Tout d'abord, les recourants reprochent à la cour cantonale d'avoir établi les faits de manière arbitraire sur plusieurs points. 
Ils soutiennent en premier lieu que, selon les constatations de la cour cantonale, l'expert D.________ aurait indiqué que "l'idée qu'une prise en charge immédiate aurait pu changer le diagnostic était une conjecture reposant sur des éventualités hypothétiques, dont la probabilité statistique était difficile à établir", alors que l'expert n'avait pas employé le terme "difficile", mais "impossible". Toutefois, la cour cantonale a conclu, quelques lignes en-dessous, qu'aux yeux de l'expert, il était "impossible" de définir rétrospectivement dans quelle mesure l'incident critique aurait pu être évité. Il en découle que la cour cantonale a bel et bien compris la position de l'expert, contrairement à ce que font valoir les recourants. Ce point n'est quoi qu'il en soit pas susceptible d'influer sur le sort de la cause, tout comme les autres éléments soulevés par les recourants, sur lesquels il n'y a ainsi pas besoin d'entrer en matière. 
 
5.  
S'agissant de la première condition de la responsabilité, la cour cantonale a retenu que la prise en charge de la patiente avait souffert de plusieurs manquements aux règles de l'art, en raison des retards de diagnostic et de traitement; dès lors, la violation du devoir de diligence de la part des Établissements A.________, constituant un acte illicite, devait être admise. 
Il n'y a pas lieu d'analyser les griefs des recourants à cet égard, ce point pouvant demeurer indécis au vu des considérations qui suivent concernant la deuxième condition de la responsabilité. 
 
6.  
Les recourants reprochent à la cour cantonale d'avoir admis de manière arbitraire un lien de causalité entre d'une part, les retards de diagnostic et de traitement, et d'autre part l'atteinte à la santé de la patiente, en s'écartant d'une façon insoutenable des conclusions de l'expertise D.________. Ils dénoncent aussi une violation de l'art. 8 CC et une violation arbitraire du droit cantonal, soit de l'art. 41 CO applicable à titre de droit cantonal supplétif. 
 
6.1.  
 
6.1.1. La causalité naturelle entre deux événements est réalisée lorsque, sans le premier, le second ne se serait pas produit (ATF 143 III 242 consid. 3.7; 133 III 462 consid. 4.4.2).  
En l'occurrence, le manquement reproché aux recourants s'analyse comme une omission. En pareil cas, l'examen du lien de causalité revient à se demander si le dommage serait également survenu si l'acte omis avait été accompli (causalité hypothétique). Une preuve stricte ne peut être exigée en la matière. Il suffit que le cours hypothétique des événements soit établi avec une vraisemblance prépondérante (ATF 132 III 715 consid. 3.2; 124 III 155 consid. 3d). La vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n'entrent raisonnablement en considération (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2; 132 III 715 consid. 3.1). En ce qui concerne le degré de la preuve, le Tribunal fédéral peut contrôler si l'autorité précédente est partie d'une juste conception du degré de la preuve applicable. En revanche, le point de savoir si le degré requis - dont le juge a une juste conception - est atteint dans un cas concret relève de l'appréciation des preuves, que le Tribunal fédéral revoit uniquement sous l'angle de l'arbitraire (ATF 130 III 321 consid. 5). 
En règle générale, lorsque le lien de causalité hypothétique entre l'omission et le dommage est établi, il ne se justifie pas de soumettre cette constatation à un nouvel examen sur la nature adéquate de la causalité (ATF 115 II 440 consid. 5a). Ainsi, lorsqu'il s'agit de rechercher l'existence d'un lien de causalité entre une ou des omissions et un dommage, il convient de s'interroger sur le cours hypothétique des événements. Dans ce cas de figure, le Tribunal fédéral, saisi d'un recours en matière civile, est lié, selon l'art. 105 al. 1 LTF, par les constatations cantonales concernant la causalité naturelle, dès lors qu'elles ne reposent pas exclusivement sur l'expérience de la vie, mais sur des faits ressortant de l'appréciation des preuves (ATF 132 III 305 consid. 3.5 et les références; arrêt 4A_133/2021 du 26 octobre 2021 consid. 9.1.3). 
 
6.1.2. Il convient de rappeler que le droit civil fédéral est appliqué ici à titre de droit cantonal supplétif. Il en va également de l'art. 8 CC, lequel ne concerne que les prétentions fondées sur le droit fédéral (ATF 129 III 18 consid. 2.6; 127 III 519 consid. 2a; arrêt 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.1). Par conséquent, le Tribunal fédéral ne peut en contrôler l'application que sous l'angle restreint de l'arbitraire ou pour violation d'autres droits constitutionnels.  
 
6.2. En l'occurrence, la cour cantonale a retenu un lien de causalité naturelle en s'écartant de l'avis de l'expert D.________. Ce dernier avait estimé qu'en cas de temps d'attente normal, le diagnostic aurait peut-être pu être posé plus rapidement, à condition toutefois qu'un CT-scan ait été pratiqué rapidement et qu'il ait révélé la thrombose basilaire, étant précisé que celle-ci était en cours d'évolution et aurait ainsi rendu le diagnostic plus difficile à établir. Par ailleurs, selon l'expert, la relation entre la rapidité de l'intervention et le pronostic n'était pas clairement établie, de sorte qu'il était impossible d'établir une chance de traitement dans le cas de la patiente.  
La cour cantonale a relevé que si les Établissements A.________ avaient agi de manière diligente, en particulier en assurant une surveillance adéquate de la patiente durant la soirée et en réalisant sans retard les examens diagnostiques dès les premiers symptômes d'altération de l'état de conscience à partir de 1h30, comme le prévoyaient les règles de l'art, l'atteinte subie par la patiente aurait vraisemblablement pu être diagnostiquée et traitée dans le délai adéquat de huit heures à compter de l'occlusion totale, survenue vers 1h30 selon l'expert. La cour cantonale a rappelé que dès que les examens nécessaires avaient été entrepris, soit dès l'avis neurologique puis le CT-scan, l'occlusion avait été immédiatement détectée, ou du moins suspectée, alors que l'état de santé de la patiente demeurait stable depuis 1h30. 
S'agissant de la causalité entre la rapidité du traitement et le pronostic de la patiente, la cour cantonale s'est référée aux explications du Dr E.________, selon lesquelles une intervention dans un délai de huit heures permettait de diminuer les risques de séquelles, puisqu'en extrayant le caillot dans ce laps de temps, on pouvait sauver le tissu cérébral menacé; il avait également précisé qu'en cas de traitement dans un temps adéquat, le taux de morbidité (c'est-à-dire de handicap physique et mental) se réduisait en tout cas de 50 %, certains patients n'ayant même aucune séquelle. Selon la cour cantonale, ces propos n'étaient pas contredits par l'expert, lequel avait pour sa part indiqué qu'avec les méthodes de diagnostics et de traitement, 41 % des patients avaient des pronostics favorables, ce par quoi il fallait entendre une survie et une bonne évolution neurologique. 
La cour cantonale a considéré que les statistiques avancées par les deux spécialistes laissaient apparaître qu'une prise en charge rapide était fortement susceptible de diminuer les risques de morbidité (plus de 50 %) et procurait des chances non négligeables (plus de 40 %) d'obtenir un pronostic favorable avec une bonne évolution. S'il demeurait certes une probabilité que la patiente aurait tout de même subi les séquelles dont elle souffrait à ce jour, aucun élément ne permettait de retenir que cette hypothèse devait prévaloir. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agissait d'hypothèses, dont la probabilité était difficile à établir, sans que les spécialistes ne puissent se prononcer de manière certaine. Selon l'expert, plusieurs autres facteurs que celui du délai de traitement jouaient également un rôle, à savoir la sévérité initiale de la présentation clinique, l'âge du patient, la localisation et l'ampleur de l'occlusion, la présence ou non de vaisseaux collatéraux et la réussite de la recanalisation. A cet égard, la cour cantonale a retenu que la patiente présentait un état clinique plutôt favorable, ce qui avait été confirmé par l'expert, et que la procédure de recanalisation s'était déroulée avec succès. Ces éléments étaient autant d'indices qui plaidaient en faveur d'une possible amélioration de son état si elle avait pu bénéficier du traitement en temps utile. 
Partant, selon la cour cantonale, en dépit du fait que la corrélation entre la rapidité d'intervention et le diagnostic n'était pas scientifiquement prouvée et que l'occlusion basilaire comportait une part aléatoire quant à ses conséquences, il existait une probabilité suffisante, au vu des statistiques, de l'état initial de la patiente et de la recanalisation opérée avec succès, pour admettre qu'une prise en charge sans délai aurait eu un impact sur le cours des événements. La cour cantonale a dès lors retenu que le lien de causalité entre les retards de diagnostic et de traitement et le préjudice subi par la patiente ou, à tout le moins, son aggravation, était rendu suffisamment vraisemblable. 
 
6.3. Les recourants ne remettent ici pas valablement en cause la première partie du raisonnement de la cour cantonale quant au diagnostic et au traitement dans un délai adéquat. En revanche, ils s'attaquent au lien de causalité qu'elle a admis entre la rapidité du traitement et le pronostic de la patiente. Ils lui reprochent d'avoir considéré qu'un lien de causalité "possible" suffisait à retenir l'existence d'un lien de causalité et d'avoir jugé qu'un taux de succès de l'ordre de 20 à 40 %, voire de 50 %, suffisait pour admettre l'existence d'un tel lien. Les recourants fondent ces chiffres sur l'expertise D.________, lequel exposait qu'entre 20 % et 40 % (recte: 44 %) des patients soumis à une recanalisation évoluaient favorablement; le Dr E.________ avait quant à lui relevé qu'en cas de traitement dans un délai adéquat, le taux de morbidité diminuait en tout cas de moitié et que malgré un traitement approprié, seulement un tiers des patients évoluait de manière favorable et regagnait son autonomie. Les recourants soutiennent encore que la cour cantonale s'est écartée de manière arbitraire de l'expertise D.________.  
 
6.4. La cour cantonale était consciente que le degré de la vraisemblance prépondérante était applicable (cf. consid. 3.1.2 de l'arrêt du 28 février 2020). Or, sa conception du degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante est manifestement erronée.  
Pour rappel, la vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, que d'autres possibilités existent, mais qu'elles ne semblent pas avoir joué de rôle déterminant ou n'entrent pas raisonnablement en considération (cf. consid. 6.1.1 supra; ATF 130 III 321 consid. 3.3). Le Tribunal fédéral a précisé que la jurisprudence n'avait pas établi de pourcentages, mais que selon la doctrine, une vraisemblance de 51 % ne suffisait pas, un degré de vraisemblance nettement plus élevé devant être appliqué: un degré de 75 % était cité (arrêt 4A_424/2020 du 19 janvier 2021 consid. 4.1 non publié in ATF 147 III 73 et les références).  
En l'occurrence, il ressort des faits constatés par la cour cantonale que selon l'expert D.________, avec les méthodes de traitement modernes, 41 % des patients avaient des pronostics favorables; il ajoutait qu'entre 20 % et 44 % des patients traités par une recanalisation évoluaient bien. De telles probabilités ne suffisent manifestement pas s'agissant du degré de la vraisemblance prépondérante. 
Il est vrai que le Dr E.________ a pour sa part relevé qu'en cas de traitement dans un délai adéquat, le taux de morbidité se réduisait d'en tout cas de moitié, ce qui pourrait être interprété dans le sens que chaque patient voyait ses séquelles diminuer d'en tout cas de moitié. Le Dr E.________ a néanmoins précisé que pour un tiers des patients, l'autonomie n'était pas complète mais permettait à certains de retourner à domicile. Ceci ne permet pas de s'éloigner sans autre des statistiques présentées par l'expert et, s'agissant de la proportion d'un tiers, elle ne suffit quoi qu'il en soit pas au regard du degré de la vraisemblance prépondérante. 
La cour cantonale relève certes avoir tenu compte non seulement des statistiques avancées par ces spécialistes, mais également des facteurs propres à la patiente, à savoir le succès de l'opération intervenue tardivement et son état clinique initial. Cela n'est toutefois d'aucun secours. En effet, l'expert D.________ a précisément pris en considération ces deux éléments. Lors de son audition devant le tribunal, il a rappelé que dans le cas d'une lésion du tronc basilaire, la relation entre la rapidité d'intervention et le pronostic n'était pas clairement établie; il a ajouté que deux éléments avaient une influence, soit la réussite de la recanalisation et l'état clinique initial, lequel était plutôt favorable chez la patiente. Il a néanmoins confirmé qu'il était impossible d'affirmer la notion de perte de chance par rapport à un délai en cas de lésion basilaire, contrairement à un AVC classique. 
Dans sa réponse, la patiente soutient - à raison - que l'existence du lien de causalité ne doit pas être analysée selon un calcul arithmétique découlant de statistiques, mais au regard de l'ensemble des circonstances du cas particulier. Elle se réfère à l'arrêt 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.3. Dans cette affaire, il ressortait du rapport d'expertise que les complications présentées par le patient à la suite de l'intervention litigieuse étaient déclenchées dans 13 % des cas par une opération chirurgicale. Le Tribunal fédéral avait relevé que ce pourcentage ne permettait pas à lui seul d'établir un rapport de causalité naturelle, et a analysé les circonstances du cas d'espèce pour conclure que la cour cantonale n'avait pas admis de manière arbitraire que l'intervention était bien la cause de ces complications. Toutefois, il s'agit en l'espèce d'une problématique de conception du degré de la preuve, la cour cantonale ayant appliqué des exigences insuffisantes au degré de la vraisemblance prépondérante. Au demeurant, tel qu'on l'a vu, outre les statistiques présentées par les spécialistes, les circonstances entourant le cas ne lui sont d'aucun secours. La cour cantonale a d'ailleurs relevé elle-même à plusieurs reprises de grandes incertitudes s'agissant du pronostic de la patiente, ce qui ne correspond clairement pas aux exigences relatives au degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante. 
Ainsi, en partant d'une conception manifestement fausse du degré de la preuve applicable, la cour cantonale a versé dans l'arbitraire dans l'application du droit fédéral à titre de droit cantonal supplétif. 
Le degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante n'est à l'évidence pas atteint. 
Au vu de ce qui précède, il n'y a pas lieu d'examiner les autres griefs concernant le lien de causalité formulés par les recourants. 
 
7.  
Pour la même raison, il est superflu d'analyser les autres conditions (cumulatives) de la responsabilité des recourants. 
 
8.  
Il en va également ainsi des arguments des recourants relatifs à la répartition des frais de justice et des dépens devant les instances précédentes, puisque la cause sera renvoyée à la cour cantonale sur ce point. 
Toutefois, on peut relever ce qui suit s'agissant de la fixation des frais de justice de première instance, que les recourants ont notamment critiquée sous l'angle de l'arbitraire. 
 
8.1. La cour cantonale a expliqué que selon l'art. 17 du règlement genevois fixant le tarif des frais en matière civile du 22 décembre 2010 (RTFMC/GE; RS/GE E 1 05.10), pour une cause dont la valeur litigieuse était comprise entre 1'000'001 fr. et 10'000'000 fr., l'émolument forfaitaire de la décision s'élevait entre 20'000 fr. et 100'000 fr. Elle a constaté que dans sa demande initiale, la patiente avait conclu au paiement de la somme totale de 2'041'249 fr., avant de réduire ses prétentions à 1'026'027 fr. dans ses plaidoiries finales. Les frais judiciaires de première instance avaient été fixés à 67'600 fr., comprenant notamment un émolument de jugement de 50'000 fr. Mis en perspective avec la procédure qui a duré 8 ans devant le tribunal, nécessité de nombreuses audiences et déterminations sur des questions techniques et complexes et abouti à deux décisions d'envergure sur le fond, les frais judiciaires étaient conformes aux barèmes prévus par la loi et justifiés par la complexité de l'affaire et le travail particulièrement important qu'elle avait occasionné. Ils devaient ainsi être confirmés dans leur quotité.  
 
8.2. Il découle des explications de la cour cantonale qu'elle a pris en considération le fait que la patiente avait dans un second temps réduit la somme de ses prétentions, contrairement à ce que semblent supposer les recourants. Le montant arrêté entre d'ailleurs dans le cadre du barème prévu par l'art. 17 RTFMC/GE, dont les recourants n'invoquent pas expressément la violation arbitraire. En outre, le document "Tarif interne des demandes d'avances de frais pour le TPI" auquel ils se réfèrent ne ressort pas des faits constatés, sans qu'ils ne demandent valablement de complètement de l'état de fait à cet égard, ni même soutiennent s'en être déjà prévalus précédemment. L'appréciation de la cour cantonale, confirmant des frais judiciaires de première instance d'un montant de 67'600 fr., n'est pas arbitraire.  
 
9.  
En définitive, le recours doit être admis et les arrêts attaqués réformés en ce sens que l'intimée est déboutée de toutes ses conclusions. 
Selon l'art. 64 al. 1 LTF, le Tribunal fédéral peut accorder l'assistance judiciaire à une partie à condition que celle-ci ne dispose pas de ressources suffisantes et que ses conclusions ne paraissent pas d'emblée vouées à l'échec. En l'occurrence, faute de chances de succès de la réponse, la demande d'assistance judiciaire présentée par l'intimée doit être rejetée. Cette dernière doit ainsi être condamnée au paiement des frais et dépens de l'instance fédérale (art. 66 al. 1 et art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
La cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision sur les frais judiciaires et les dépens de la procédure cantonale (cf. consid. 8 supra).  
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis et les arrêts attaqués sont réformés en ce sens que l'intimée est déboutée de toutes ses conclusions. 
 
2.  
La demande d'assistance judiciaire de l'intimée est rejetée. 
 
3.  
Les frais judiciaires de la procédure fédérale, fixés à 7'000 fr., sont mis à la charge de l'intimée. 
 
4.  
L'intimée versera aux recourants une indemnité de 8'000 fr. à titre de dépens pour la procédure fédérale. 
 
5.  
La cause est renvoyée à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève pour nouvelle décision sur les frais judiciaires et les dépens de la procédure cantonale. 
 
6.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 15 mai 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
La Greffière : Raetz