8C_443/2023 14.06.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
8C_443/2023  
 
 
Arrêt du 14 juin 2024  
 
IVe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Wirthlin, Président, 
Maillard et Métral. 
Greffière : Mme von Zwehl. 
 
Participants à la procédure 
Service des prestations complémentaires, route de Chêne 54, 1208 Genève, 
recourant, 
 
contre  
 
A.________, 
intimé. 
 
Objet 
Prestation complémentaire à l'AVS/AI (revenu hypothétique), 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 12 juin 2023 (A/2670/2022 ATAS/422/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________, né en 1960, marié et père d'un enfant majeur, est au bénéfice d'une rente entière de l'assurance-invalidité (AI) depuis le 1er mars 2020. Le 3 janvier 2022, il a présenté une demande de prestations complémentaires auprès du Service des prestations complémentaires du canton de Genève (ci-après: le SPC). 
Par décision du 27 avril 2022, le SPC a fixé le droit aux prestations complémentaires fédérales et cantonales de l'assuré pour la période du 1er mars 2020 au 30 avril 2022, puis pour la période à venir dès le 1er mai 2022. 
A.________ a formé opposition contre cette décision, contestant en particulier la prise en considération d'un revenu hypothétique pour son épouse, B.________, née en 1969. Il a invoqué le fait que celle-ci était inapte à travailler pour des raisons de santé et a produit des certificats d'arrêts de travail la concernant depuis le 20 mai 2021. Le 28 juin 2022, le SPC a écarté l'opposition. 
 
B.  
A.________ a recouru contre la décision sur opposition du 28 juin 2022 devant la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève. À l'appui de son recours, il a transmis plusieurs documents, dont le contrat de travail de son épouse, la lettre de résiliation dudit contrat par l'employeur pour le 31 août 2022, l'accusé de réception par l'Office AI de la demande de prestations de B.________ ainsi qu'une attestation médicale de la doctoresse C.________ datée du 14 juillet 2022. 
Par arrêt du 12 juin 2023, la cour cantonale a admis le recours et annulé la décision litigieuse, renvoyant la cause au SPC pour nouvelle décision au sens des considérants. 
 
C.  
Le SPC interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt dont il demande l'annulation. Il conclut, principalement, à la confirmation de sa décision sur opposition du 28 juin 2022 et, subsidiairement, au renvoi de la cause à la cour cantonale pour instruction complémentaire au sujet de l'état de santé de l'épouse de l'intimé respectivement sa capacité de travail, notamment en s'enquérant de l'avancée de la demande AI auprès de l'Office AI. 
A.________ a renoncé à répondre au recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. En l'espèce, les juges cantonaux ont renvoyé la cause au recourant pour qu'il rende une nouvelle décision en faisant abstraction d'un revenu hypothétique pour l'épouse dans le calcul des prestations complémentaires de l'intimé dès le 1 er mars 2020. Un prononcé de renvoi constitue en principe une décision incidente qui ne peut faire l'objet d'un recours au Tribunal fédéral qu'aux conditions de l'art. 93 LTF (ATF 133 V 477 consid. 4.2 et 4.3). Dans la mesure toutefois où l'arrêt entrepris contient des instructions impératives destinées au recourant qui ne lui laissent plus aucune latitude de jugement quant au contenu de la nouvelle décision qu'il est tenu de rendre, ce dernier subit un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (cf. arrêt 9C_153/2022 du 26 avril 2023 consid. 1.1 et la référence). Il y a donc lieu d'entrer en matière sur son recours, sous réserve de ce qui suit.  
 
1.2. Le recourant n'a pas qualité pour former un recours en matière de droit public contre l'arrêt entrepris dans la mesure où celui-ci concerne les prestations complémentaires de droit cantonal (ATF 134 V 53 consid. 2). Il s'ensuit que ses conclusions ne sont recevables qu'en tant qu'elles portent sur les prestations complémentaires fondées sur le droit fédéral.  
 
2.  
Le litige porte sur le montant des prestations complémentaires fédérales dues à l'intimé à partir du 1er mars 2020. 
Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 22 mars 2019 de la LPC (Réforme des PC; RO 2020 585 et 599). Selon l'al. 1 des dispositions transitoires de ladite modification, l'ancien droit reste applicable pendant trois ans à compter de l'entrée en vigueur de la présente modification aux bénéficiaires de prestations complémentaires pour lesquels la réforme des PC entraîne, dans son ensemble, une diminution de la prestation complémentaire annuelle ou la perte du droit à la prestation complémentaire annuelle. Suivant en cela le recourant, la cour cantonale a appliqué au cas d'espèce les dispositions de la LPC en vigueur jusqu'au 31 décembre 2020 (ci-après: aLPC) plus favorables à l'intimé. Il y a lieu de confirmer ce point de vue (voir l'art. 11 al. 1 let. a LPC versus l'art. 11 al. 1 let. a aLPC). 
Selon l'art. 9 al. 1 aLPC, le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants. Les dépenses reconnues et les revenus déterminants des conjoints et des personnes qui ont des enfants ayant droit à une rente d'orphelin ou donnant droit à une rente pour enfant de l'AVS ou de l'AI sont additionnés (art. 9 al. 2, première phrase, aLPC). 
Sont comptés comme revenus déterminants deux tiers des ressources en espèces ou en nature provenant de l'exercice d'une activité lucrative, pour autant qu'elles excèdent annuellement 1000 francs pour les personnes seules et 1500 francs pour les couples et les personnes qui ont des enfants ayant droit à une rente d'orphelin ou donnant droit à une rente pour enfant de l'AVS ou de l'AI (art. 11 al. 1 let. a aLPC). Sont également comptabilisées les rentes, pensions et autres prestations périodiques, y compris les rentes de l'AVS et de l'AI (art. 11 al. 1 let. d aLPC), de même que les ressources et parts de fortune dont un ayant droit s'est dessaisi (art. 11 al. 1 let. g aLPC). Sous cet angle, il est tenu compte d'un revenu hypothétique du conjoint de la personne qui sollicite des prestations complémentaires lorsque celui-ci s'abstient d'exercer une activité lucrative ou d'étendre une telle activité que l'on est en droit d'exiger de lui (ATF 117 V 287 consid. 3b; VSI 2001 p. 127 s. consid. 1b; arrêt 9C_255/2023 du 8 juin 2023 consid. 4.2). 
Selon la jurisprudence, le point de savoir s'il est exigible d'un conjoint qu'il reprenne ou qu'il étende son activité doit être examiné à l'aune des critères posés en droit de la famille, plus particulièrement de l'art. 163 CC. Les critères décisifs auront notamment trait à l'âge de la personne concernée, à son état de santé, à ses connaissances linguistiques, à sa formation professionnelle, à l'activité exercée jusqu'ici, au marché de l'emploi, et le cas échéant, au temps plus ou moins long pendant lequel elle aura été éloignée de la vie professionnelle (ATF 142 V 12 consid. 3.2; 134 V 53 consid. 4.1). On ajoutera que selon l'art. 6, deuxième phrase, LPGA [RS 830.1], en cas d'incapacité de travail de longue durée, l'activité qui peut être exigée de l'assuré peut aussi relever d'une autre profession ou d'un autre domaine d'activité. 
 
3.  
En fait, les juges cantonaux ont constaté que l'épouse de l'intimé était nettoyeuse de profession et qu'elle présentait, selon l'attestation de son médecin traitant, des gonalgies bilatérales invalidantes allant en s'aggravant depuis plusieurs années lesquelles entraînaient des difficultés à la marche, pour monter ou descendre des escaliers, rester longtemps debout ou encore porter des poids supérieurs à 5 kg. En conséquence, ils ont considéré que l'intéressée était inapte à travailler dans son activité habituelle d'agente de nettoyage depuis le début de l'incapacité de travail médicalement attestée et qu'elle devait changer d'activité. Les juges cantonaux ont également constaté qu'elle était âgée de plus de 50 ans, qu'elle ne disposait d'aucune formation certifiée et que son expérience professionnelle passée se limitait à des activités d'auxiliaire en cuisine et d'aide dans l'agriculture. Aussi bien ont-ils jugé que le SPC n'aurait pas dû retenir un quelconque gain potentiel pour l'épouse. 
Invoquant un établissement des faits arbitraire, le recourant reproche aux premiers juges d'avoir retenu que l'épouse de l'intimé ne pouvait plus exercer une quelconque activité professionnelle sur la base d'une unique attestation du médecin traitant portant sur la capacité de travail de celle-ci dans le domaine du nettoyage. Il leur fait également grief d'avoir mal appliqué les critères jurisprudentiels permettant d'apprécier le caractère exigible de l'exercice d'une activité lucrative par le conjoint et d'avoir ainsi violé l'art. 11 aLPC. 
 
4.  
Le recours en matière de droit public (au sens des art. 82 ss LTF) peut être formé pour violation du droit (circonscrit par les art. 95 et 96 LTF). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est limité ni par l'argumentation de la partie recourante ni par la motivation de l'autorité précédente. Il peut admettre un recours pour un autre motif que ceux qui ont été invoqués et il peut le rejeter en adoptant une argumentation différente. Par ailleurs, le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'instance précédente (art. 105 al. 1 LTF). 
Selon l'art. 112 al. 1 let. b LTF, les décisions qui peuvent faire l'objet d'un recours devant le Tribunal fédéral doivent contenir les motifs déterminants de fait et de droit. Sur les points de fait décisifs et litigieux, le Tribunal fédéral doit savoir ce que l'autorité précédente a en définitive retenu, écarté ou considéré comme non prouvé. Si la décision attaquée ne satisfait pas à ces exigences, il peut soit la renvoyer à l'autorité cantonale en invitant celle-ci à la parfaire, soit l'annuler (art. 112 al. 3 LTF). 
 
5.  
Dans leurs considérants, les juges cantonaux n'ont fait aucune référence aux plans de calcul établis par le recourant, lesquels font partie intégrante de la décision initiale du 27 avril 2022 et fixent le droit de l'intimé aux prestations complémentaires pour la période du 1er mars 2020 au 30 avril 2022, puis pour la période dès le 1er mai 2022. En particulier, ils ne se sont pas prononcés sur les montants retenus au titre de revenus déterminants concernant l'épouse de l'intimé (33'192 fr. 35 du 1er mars au 31 décembre 2020; 33'297 fr. 70 du 1er janvier au 31 mai 2021; 15'022 fr. 55 du 1er juin au 31 décembre 2021; 15'958 fr. 70 à partir du 1er janvier 2022 et au-delà du 1er avril 2022). D'après les indications contenues dans les plans de calcul, pour obtenir ces chiffres, le recourant a pris en compte un revenu tiré de l'exercice d'une activité lucrative auquel il a ajouté un revenu hypothétique jusqu'au 31 mai 2021, puis uniquement un revenu hypothétique dès le 1er juin 2021, sommes dont il a soustrait 1'500 fr. et pris le solde aux 2/3. Or les juges cantonaux, devant lesquels l'intimé a pourtant produit des documents dont il ressort que son épouse exerçait une activité lucrative depuis le 1er octobre 2014 et a été licenciée pour le 31 août 2022, n'ont établi aucun fait concernant la situation professionnelle concrète de celle-ci (taux d'activité, revenus, etc.). Dans ces conditions, ils ne pouvaient pas, sur la seule base de leurs constatations de fait, exiger du recourant qu'il fasse abstraction d'un revenu hypothétique dès le mois de mars 2020, sans autre clarification sur le revenu effectif réalisé par l'épouse qui était sous contrat de travail jusqu'au 31 août 2022. 
Cela étant, les décisions rendues par le recourant comportent des lacunes manifestes qu'il eût également appartenu aux juges cantonaux de combler. Premièrement, on ne comprend pas sur quelles bases il a calculé le revenu hypothétique de l'épouse, étant précisé que la prise en compte d'un tel revenu implique en l'espèce de retenir qu'une augmentation du taux d'activité était exigible de la part de celle-ci pour toute la période prise en considération, alors qu'apparemment elle travaillait - sans que l'on connaisse son horaire de travail - et qu'à partir du 20 mai 2021, elle présentait une incapacité de travail à 100 %. Deuxièmement, il figure parmi les pièces produites par l'intimé en instance cantonale, une fiche de salaire de l'épouse du mois de mai 2022 mentionnant le versement d'indemnités journalières pour perte de gain en cas de maladie, prestation périodique dont on ne trouve nulle trace dans les décisions en cause ni dans l'arrêt entrepris. Troisièmement, si l'on peut certes adhérer au raisonnement des juges cantonaux selon lesquels le recourant ne pouvait pas simplement faire abstraction des certificats d'incapacité de travail de l'épouse et fixer le droit aux prestations de l'intimé comme si cette dernière ne présentait aucune atteinte à la santé, on ne saurait pour autant les suivre lorsqu'ils admettent une incapacité de travail dans toute activité. En effet, comme on vient de le dire, l'épouse a apparemment travaillé durant une partie de la période déterminante. De plus, les arrêts de travail se rapportent à l'activité habituelle uniquement (cf. supra consid. 2 in fine). En ce qui concerne l'état de santé et la capacité de travail résiduelle de celle-ci, tant les décisions du recourant que l'arrêt attaqué reposent sur une instruction insuffisante sur le plan médical. 
En définitive, faute d'un état de fait clair concernant la situation de l'épouse, il n'est pas possible pour la Cour de céans de se prononcer plus avant sur le litige et de contrôler la correcte application du droit fédéral. Il convient en conséquence d'annuler l'arrêt attaqué et de renvoyer la cause à la cour cantonale (cf. art. 112 al. 3 LTF) afin qu'elle établisse les éléments de fait déterminants et complète l'instruction du dossier en vue de statuer à nouveau sur le droit aux prestations complémentaires de l'intimé depuis mars 2020. 
Le recours doit être admis en ce sens. 
 
6.  
Le renvoi de la cause pour nouvel examen et décision revient à obtenir gain de cause (cf. ATF 141 V 281 consid. 11.1). Partant, l'intimé, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est partiellement admis. L'arrêt du 12 juin 2023 de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève est annulé, la cause lui étant renvoyée pour une nouvelle décision. Le recours est rejeté pour le surplus. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de l'intimé. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances sociales. 
 
 
Lucerne, le 14 juin 2024 
 
Au nom de la IVe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Wirthlin 
 
La Greffière : von Zwehl