6B_1319/2023 23.04.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_1319/2023  
 
 
Arrêt du 23 avril 2024  
 
Ire Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux 
Denys, Juge présidant, 
von Felten et Pont Veuthey, Juge suppléante. 
Greffière : Mme Klinke. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Ronald Asmar, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
intimé. 
 
Objet 
Prescription de la créance d'honoraires d'avocat d'office, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale 
de recours, du 23 octobre 2023 
(P/21583/2014 ACPR/827/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par décision du 10 novembre 2014, Me A.________ a été désigné défenseur d'office de B.________ dans le cadre de la procédure P/21583/2014. Il l'a notamment assisté, par le truchement d'une stagiaire, lors d'une audience devant le ministère public, le 4 décembre 2014. 
Par ordonnance pénale et de non-entrée en matière partielle du 4 décembre 2014, le Ministère public de la République et canton de Genève a, d'une part, reconnu B.________ coupable de vol par métier et en bande ainsi que d'infraction à l'art. 115 al. 1 let. a LEtr (désormais LEI) et, d'autre part, décidé de ne pas entrer en matière sur le vol d'une somme d'argent de 80 francs. 
Cette décision n'a fait l'objet d'aucune contestation. 
 
B.  
Par lettre du 9 juin 2023 adressée au service de l'assistance juridique, qui l'a transmise au ministère public, Me A.________ a remis son état de frais couvrant l'ensemble de l'activité déployée dans le cadre de la procédure précitée. Il a également produit une facture d'interprète de 80 fr. relative à une visite à la prison de Champ-Dollon le 19 novembre 2014. Il indiquait avoir valablement interrompu la prescription, précisant que les pièces utiles étaient à disposition. 
Par ordonnance du 21 juillet 2023, le ministère public a constaté la prescription de la créance d'honoraires d'avocat d'office de Me A.________, dans la procédure P/21583/2014. 
Par lettre du 3 août 2023 adressée au ministère public, Me A.________ a contesté cette ordonnance en demandant qu'elle soit corrigée, et à défaut, transmise à l'autorité de recours (" la présente, qui vaut recours "). Le ministère public a persisté dans sa décision et transmis le courrier précité à la Cour de justice de la République du canton de Genève - comme valant recours - le 5 septembre 2023.  
 
C.  
Par arrêt du 23 octobre 2023, la Chambre pénale de recours de la Cour de Justice de la République et canton de Genève a admis très partiellement le recours; elle a annulé l'ordonnance en tant qu'elle n'a pas retenu de débours et fixé à 80 fr. le montant dû à Me A.________ à titre de remboursement des frais d'interprète et rejeté le recours pour le surplus, le tout avec suite de frais et dépens. 
 
D.  
Agissant par la voie du recours en matière pénale, Me A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt et de renvoyer la cause à la cour cantonale pour instruction complémentaire et nouvelle décision dans le sens des considérants, en ce sens que son activité doit être taxée. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours en matière pénale est une voie de réforme (art. 107 al. 2 LTF). Le recourant ne peut se borner à demander l'annulation de la décision et le renvoi de la cause à l'autorité cantonale, mais doit également, sous peine d'irrecevabilité, prendre des conclusions sur le fond du litige. Il n'est fait exception à ce principe que lorsque le Tribunal fédéral, s'il admettait le recours, ne serait pas en mesure de statuer lui-même sur le fond et ne pourrait que renvoyer la cause à l'autorité cantonale (ATF 137 II 313 consid. 1.3; 134 III 379 consid. 1.3; arrêt 6B_1362/2021 du 26 janvier 2023 consid. 2.1). 
En l'occurrence, le recourant n'a pas pris de conclusions sur le fond, ni chiffré ses prétentions. Il a uniquement sollicité l'annulation du jugement attaqué et le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Une telle manière de faire est admissible s'agissant du grief de violation du droit d'être entendu (cf. infra consid. 2; arrêts 6B_868/2016 du 9 juin 2017 consid. 2; 6B_111/2015 du 3 mars 2016 consid. 1.7). En revanche, la question peut se poser s'agissant de la question des actes interruptifs de la prescription de la créance d'honoraires d'avocat et de l'administration des preuves sur ce point. Dans la mesure où ces griefs sous-tendent la requête initiale en paiement de la créance d'avocat d'office, laquelle ne fait pas l'objet de conclusion réformatoire chiffrée, il est douteux qu'ils soient recevables. Néanmoins, cette question peut souffrir de demeurer indécise en l'espèce compte tenu du sort du recours.  
 
2.  
Le recourant invoque la violation de son droit d'être entendu au motif que la cour cantonale a rendu son arrêt sans lui donner connaissance de la lettre de transmission du ministère public du 5 septembre 2023 et sans l'informer qu'elle avait été saisie. 
 
2.1. Conformément aux art. 29 al. 2 Cst. et 6 CEDH, les parties ont le droit d'être entendues. Compris comme l'un des aspects de la notion générale de procès équitable, le droit d'être entendu comprend en particulier le droit, pour une partie à un procès, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur le jugement à rendre. Il appartient en effet aux parties, et non au juge, de décider si une prise de position ou une pièce nouvellement versée au dossier contient des éléments déterminants qui appellent des observations de leur part. Toute prise de position ou pièce nouvelle versée au dossier doit dès lors être communiquée aux parties pour leur permettre de décider si elles veulent ou non faire usage de leur faculté de se déterminer (ATF 146 III 97 consid. 3.4.1; 142 III 48 consid. 4.1.1; arrêt 6B_767/2023 du 29 novembre 2023 consid. 3.2.2).  
Un éventuel deuxième échange d'écritures ou l'exercice du droit de réplique n'est pas destiné à compléter une motivation insuffisante, ni à introduire des arguments nouveaux après l'expiration du délai (cf. ATF 142 III 413 consid. 2.2.4 et les arrêts cités; cf. également arrêts 6B_255/2023 du 31 août 2023 consid. 1.4; 5A_160/2023 du 5 juillet 2023 consid. 3.3). 
 
2.2. En l'occurrence, le recourant ne saurait se prévaloir de la violation de son droit de répliquer. En effet, à la suite d'une première ordonnance du ministère public du 21 juillet 2023 refusant l'indemnisation réclamée, il a demandé, le 3 août 2023, à cette même autorité de revoir sa décision de refus, en n'invoquant aucune disposition légale lui permettant de formuler une telle requête. Le recourant précisait en revanche qu'en cas de refus, sa demande devait être considérée comme un recours et transmise directement à l'autorité supérieure. Ce faisant, il a lui-même présumé et expressément indiqué que son écriture du 3 août 2023 valait recours en cas de refus. Dès lors, la lettre de transmission du ministère public ne saurait être considérée ni comme une pièce, ni comme une prise de position versée au dossier et dont le recourant devrait être informé; elle ne faisait que concrétiser la requête expresse du recourant à cet égard.  
Dans ces circonstances, le recourant ne saurait se prévaloir d'une violation de son droit d'être entendu sous l'angle du droit à la réplique. 
 
3.  
Le recourant se plaint en substance du refus de lui indemniser les honoraires qu'il a fait valoir en qualité de défenseur d'office dans le cadre de la procédure P/21583/2014. Il conteste que cette créance soit prescrite. 
 
3.1. Aux termes de l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. L'art. 135 al. 2 CPP (dans sa teneur jusqu'au 31 décembre 2023; RO 2010 1881; équivalant à l'art. 135 al. 2 1 ère phrase CPP modifié en vigueur depuis le 1er janvier 2024; RO 2023 468; FF 2019 6351) prévoit que le ministère public ou le tribunal qui statue au fond fixe l'indemnité à la fin de la procédure.  
Les jugements de première instance doivent ainsi contenir dans leur exposé des motifs une motivation des frais et indemnités (art. 81 al. 3 let. a CPP) et dans leur dispositif le prononcé relatif aux frais et aux indemnités (art. 81 al. 4 let. b CPP). Le tribunal doit se prononcer sur l'indemnisation du défenseur d'office ou du conseil juridique gratuit dans le jugement au fond (ATF 139 IV 199 consid. 5.1), afin qu'il puisse être formé appel, respectivement recours contre cette décision (ATF 139 IV 199 consid. 5.2). Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a écarté la possibilité que l'indemnité de l'avocat d'office ou du conseil juridique gratuit puisse être fixée dans une décision séparée postérieure (ATF 139 IV 199 consid. 5.3; cf. arrêts 6B_212/2014 du 9 octobre 2014 consid. 1.1; 6B_985/2013 du 19 juin 2014 consid. 1.1 publié in SJ 2015 I 245). 
Ces principes sont transposables à la décision du ministère public qui clôt la procédure pénale, notamment par une ordonnance pénale (cf. NIKLAUS RUCKSTUHL, in Basler Kommentar, Strafprozessordnung/ Jugendstrafprozessordnung, 3e éd. 2023, no 9 ad art. 135 CPP; JOSITSCH/SCHMID, in Praxiskommentar Schweizerische Strafprozessordnung, 4e éd. 2023, no 4 ad art. 135 CPP; cf. également VIKTOR LIEBER, Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung StPO, 3e éd. 2020, no 9 ad art. 135 CPP; JEANNERET/KUHN, Précis de procédure pénale, 2e éd. 2018, no 5083 s. en référence notamment à l'art. 353 al. 1 let. g CPP et no 7009b; cf. néanmoins l'approche minoritaire de HARARI/JAKOB/SANTAMARIA, Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2e éd. 2019, no 8 ad art. 135 CPP, selon lesquels une décision séparée s'impose en tout état lorsque la décision finale est prise sans avis de prochaine clôture ou interpellation préalable, notamment en cas d'ordonnance pénale non frappée d'opposition ou d'ordonnance de non-entrée en matière).  
Selon l'art. 135 al. 3 let. a aCPP (dans sa teneur jusqu'au 31 décembre 2023; applicable au moment où l'ordonnance du 4 décembre 2014 a été rendue), le défenseur d'office peut recourir devant l'autorité de recours, contre la décision du ministère public et du tribunal de première instance fixant l'indemnité. Depuis le 1er janvier 2024, l'art. 135 al. 3 CPP prévoit que le défenseur d'office peut contester la décision fixant l'indemnité en usant du moyen de droit permettant d'attaquer la décision finale. 
Dans une cause concernant le recourant, le Tribunal fédéral a relevé que l'absence de régime de prescription de la créance en indemnisation de l'avocat d'office au pénal dans le CPP s'expliquait notamment par la règle de l'art. 135 al. 2 CPP, imposant l'examen de la prétention de l'avocat d'office au moment où l'autorité statue au fond (arrêt 6B_1198/2017 du 18 juillet 2018 consid. 6.3.3). Il en a notamment déduit que la question du délai de prescription ne devrait, pratiquement, guère se poser (arrêt 6B_1198/2017 précité consid. 6.4). Le Tribunal fédéral a néanmoins précisé que l'approche selon laquelle l'indemnisation du conseil d'office en procédure pénale suivrait le même régime de prescription que celui prévu à l'art. 128 ch. 3 CO, n'était pas critiquable (arrêt 6B_1198/2017 précité consid. 6.3; confirmé par arrêt 6B_546/2018 du 16 août 2018 consid. 7). 
 
3.2. La cour cantonale a retenu en substance que le mandat d'office du recourant avait pris fin avec le prononcé de l'ordonnance du 4 décembre 2014 qui, faute d'avoir été contestée, était entrée en force. Elle a considéré que le délai quinquennal prévu à l'art. 128 al. 3 CO, qui avait commencé à courir depuis cette date, était arrivé à échéance le 4 décembre 2019. Elle n'a pas retenu d'acte interruptif de prescription au sens de l'art. 135 CO. Aussi, elle a considéré que le ministère public était fondé à constater que la prescription faisait obstacle à l'indemnisation du recourant.  
 
3.3. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF), sous réserve de la violation de droits fondamentaux ainsi que de celle de dispositions de droit cantonal et intercantonal, qui doivent être invoquées et motivées par le recourant (art. 106 al. 2 LTF). Il n'est pas lié par l'argumentation des parties et il apprécie librement la portée juridique des faits. Il peut admettre un recours pour des motifs autres que ceux invoqués par la partie recourante; il peut aussi rejeter un recours en opérant une substitution de motifs, c'est-à-dire en adoptant un raisonnement juridique autre que celui de la juridiction cantonale (ATF 146 IV 88 consid. 1.3.2; arrêts 7B_166/2023 du 29 septembre 2023 consid. 2.3.1; 6B_987/2023 du 21 février 2024 consid. 1.2.2).  
 
3.4. En l'espèce, la procédure pénale pour laquelle le recourant a été désigné défenseur d'office s'est close par ordonnance du ministère public du 4 décembre 2014, laquelle n'a pas été contestée.  
Or, faute pour le recourant d'avoir attaqué cette ordonnance par les moyens prévus par le CPP, il est forclos à se prévaloir d'une indemnité pour ses honoraires d'avocat d'office ultérieurement (cf. supra consid. 3.1). Certes, le ministère public n'a pas interpelé l'avocat d'office pour qu'il fasse valoir sa liste des opérations avant que l'ordonnance soit rendue. Néanmoins, le recourant ne se plaint d'aucune manière d'un déni de justice sur ce point. Ses griefs déduits d'une violation de son droit d'être entendu ont trait à la procédure entamée par courrier du 9 juin 2023, à l'exclusion de la procédure pénale au terme de laquelle le ministère public a statué au fond le 4 décembre 2014.  
En définitive, le recourant ne saurait faire valoir sa liste d'opérations en juin 2023 pour une procédure close par ordonnance du ministère public du 4 décembre 2014, indépendamment de la question de la prescription de la créance ou de l'interruption de celle-ci (cf. en ce sens arrêt 6B_1198/2017 précité consid. 6 dans une cause concernant le recourant). Dans la mesure où le recourant, déjà concerné par l'affaire précitée, pouvait s'attendre à cette motivation, il n'y a pas lieu de l'entendre préalablement sur ce point (cf. arrêts 1B_13/2021 du 1er juillet 2021 consid. 3.1; 4A_126/2019 du 17 février 2020 consid. 2). Au vu de ce qui précède, les griefs du recourant en lien avec l'interruption du délai de prescription et l'administration de ses moyens de preuves sur ce point sont sans objet. 
 
4.  
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Le recourant qui succombe supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours. 
 
 
Lausanne, le 23 avril 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Denys 
 
La Greffière : Klinke