6B_659/2022 17.05.2023
Avis important:
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_659/2022  
 
 
Arrêt du 17 mai 2023  
 
Cour de droit pénal  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Jacquemoud-Rossari, Présidente, 
Denys et van de Graaf. 
Greffière: Mme Meriboute. 
 
Participants à la procédure 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
recourant, 
 
contre  
 
A._________, 
représenté par Me Jacques Roulet, avocat, 
intimé. 
 
Objet 
Droit d'être entendu, fixation de la peine 
(violation grave des règles de la circulation), 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision, du 30 mars 2022 
(P/25298/2019 AARP/82/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 5 octobre 2021, le Tribunal de police de la République et canton de Genève a reconnu A._________ coupable de violation grave des règles de la circulation routière (art. 90 al. 2 de la loi sur la circulation routière [LCR]) et l'a condamné à une amende de 400 fr. (art. 100 ch. 4 in fine LCR, 48 let. a ch. 1, 48a al. 2 et 106 al. 1 CP), assortie d'une peine privative de liberté de substitution de quatre jours. Ses conclusions en indemnisation ont été rejetées et la moitié des frais de la procédure ont été mis à sa charge.  
 
B.  
Par arrêt du 30 mars 2022, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise a rejeté les appels formés par A._________ et le ministère public contre le jugement du 5 octobre 2021, qui a été confirmé. En outre, elle a condamné A._________ à la moitié des frais de la procédure d'appel de 1'175 fr., (soit 587 fr. 50) qui comprennent un émolument de 1'000 fr. et laissé le solde à la charge de l'État. Elle a alloué à A._________ une indemnité à la charge de l'État de Genève de 2'544 fr. 40, TVA comprise, pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure pour la procédure d'appel. Elle a rejeté les conclusions en indemnisation de A._________ pour le surplus et a compensé, à due concurrence, la créance de l'État de Genève en paiement de la part des frais de procédure mis à la charge de A._________ dans les procédures de première instance et d'appel avec l'indemnité de procédure qui lui est allouée en appel pour ses frais de défense. 
Il en ressort les éléments suivants. 
 
B.a. Le 14 août 2019, en soirée, A._________, en service, circulait seul au volant d'une voiture banalisée. Vers 21h15, la Centrale d'engagement et de coordination des alarmes (CECAL) a signalé une moto qui se dérobait à un contrôle de police sur la route U._________ et prenait la fuite. Comprenant que ce véhicule arrivait dans sa direction, A._________ s'est rendu au carrefour de la route V._________ et de la rue W._________ afin de l'intercepter et a placé son véhicule de manière à lui barrer la route. A l'arrivée du fuyard, un léger heurt s'est produit entre la moto et le véhicule de service, les constatations effectuées démontrant que la moto s'était appuyée sur le flanc droit de l'automobile, occasionnant peu de dommages. A._________ a annoncé sur les ondes radio avoir été percuté et est sorti de son véhicule dans le but d'interpeller le motard, qui a repris la fuite. Il a ensuite poursuivi l'individu sur le quai X._________ et feux bleus, gyrophare et avertisseur à deux sons alternés enclenchés. Plus loin sur le quai, le motard a heurté le véhicule d'un tiers qui circulait devant lui. Il a chuté suite au choc et a été blessé. Il a été interpellé par le prénommé.  
 
B.b. Le RAG du véhicule banalisé a été prélevé. Le rapport de renseignements indique que l'appareil répertoriait les 12'000 derniers mètres parcourus et que l'analyse des 1'120 derniers mètres avait été effectuée. Cette analyse démontre que le véhicule a circulé, à un certain moment lors de la course-poursuite sur le quai X._________, à 112.5 km/h alors que la vitesse était limitée à 50 km/h. Entre 357.28 mètres et 95.57 mètres avant l'arrêt du véhicule soit, sur une distance de 261.71 mètres, la vitesse était située entre 100.1 km/h et 112 km/h (soit entre 86.1km/h et 98.5 km/h marge de sécurité déduite), la vitesse du véhicule 250 mètres avant son arrêt étant de 110.8 km/h (96.8 km/h marge de sécurité déduite). Entre 95.57 mètres et 60.14 mètres avant l'arrêt du véhicule, celui-ci avait encore roulé à une vitesse de plus de 94 km/h (soit plus de 80km/h, marge de sécurité déduite). La voiture avait ensuite décéléré, jusqu'à son arrêt complet. Le RAG avait été contrôlé six jours avant les faits.  
 
B.c. Par courrier du 14 avril 2022, le ministère public a demandé la rectification, au sens de l'art. 83 CPP, de l'arrêt du 30 mars 2022 à la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise. Selon le ministère public, la cour cantonale avait procédé à une atténuation libre de la peine en application de l'art. 100 ch. 4 dernière phrase LCR, sans retenir le motif du mobile honorable de l'art. 48 let. a ch. 1 CP. Or, la cour cantonale après avoir, dans son dispositif, rejeté l'appel de A._________ et celui du ministère public, avait confirmé le jugement de première instance en reproduisant le dispositif, lequel mentionnait expressément l'art. 48 let. a ch. 1 CP. Ainsi, le dispositif de l'arrêt devait être remplacé par une formule ne mentionnant pas l'art. 48 let. a ch. 1 CP.  
 
B.d. Par courrier du 27 avril 2022, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise a répondu qu'il n'était pas possible de procéder à la rectification requise. Selon elle, "[c]onsidérer en l'espèce que l'arrêt du 30 mars 2022 procéderait à une substitution de circonstances atténuantes, alors qu'il n'est nulle part mentionné que l'art. 100 ch. 4 LCR remplacerait 48 CP, irait au-delà de ce que permet l'art. 83 CPP, qui n'a pas pour objet d'expliciter ou suppléer une motivation déficiente".  
 
C.  
Le Ministère public genevois forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal et conclut, avec suite de frais, préalablement, à l'admission des pièces 2 et 3 nouvellement produites. Principalement, il conclut au constat de la violation du droit d'être entendu, à la réforme de l'arrêt en ce sens que A._________ est condamné à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à 160 fr., avec sursis pendant 3 ans et, à titre de sanction immédiate, à une amende de 960 fr., assortie d'une peine privative de liberté de substitution de 6 jours. L'intégralité des frais de la procédure est mise à la charge de A._________ et aucune indemnité ne lui est due pour ses frais de défense en appel. 
A titre subsidiaire, il conclut au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision sur la peine, les frais de procédure d'appel et les indemnités. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
A l'appui de son recours, le recourant produit deux pièces, à savoir une "demande de rectification (art. 83 CPP) " adressée à la cour cantonale, le 14 avril 2022, ainsi que le courrier de réponse de celle-ci, du 27 avril 2022. 
Les moyens de preuve produits par le recourant sont nouveaux. Ils sont néanmoins recevables, dans la mesure où ils résultent de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF). 
 
2.  
L'accusateur public, auquel l'art. 81 al. 1 let. b ch. 3 LTF confère, sans réserve, la qualité pour former un recours en matière pénale, est en principe habilité à invoquer toute violation du droit commise dans l'application du droit pénal matériel ou du droit de procédure pénale, donc aussi une violation des droits constitutionnels, comme notamment le droit d'être entendu ou l'interdiction de l'arbitraire (ATF 145 IV 65 consid. 1.2; 134 IV 36 consid. 1.4; arrêts 6B_246/2022 du 12 décembre 2022 consid. 1.1; 6B_736/2017 du 23 mai 2018 consid. 1). 
 
3.  
Le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst. et 3 al. 2 let. c CPP), dans la mesure où la cour cantonale n'a pas examiné son grief relatif à une application erronée de l'art. 48 let. a ch. 1 CP
 
3.1. L'obligation de motiver, telle qu'elle découle du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst., art. 3 al. 2 let. c et 107 CPP; cf. aussi art. 6 par. 1 CEDH), est respectée lorsque le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision (ATF 146 II 335 consid. 5.1), de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3; 141 IV 249 consid. 1.3.1; 139 IV 179 consid. 2.2). Il n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents (ATF 142 II 154 consid. 4.2; 139 IV 179 consid. 2.2). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, la motivation pouvant d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1).  
 
3.2. Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation doit entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recourant sur le fond. Selon la jurisprudence, sa violation peut cependant être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen. Toutefois, une telle réparation doit rester l'exception et n'est admissible, en principe, que dans l'hypothèse d'une atteinte qui n'est pas particulièrement grave aux droits procéduraux de la partie lésée. Cela étant, une réparation de la violation du droit d'être entendu peut également se justifier, même en présence d'un vice grave, lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 et les arrêts cités). Par ailleurs, le droit d'être entendu n'est pas une fin en soi. Il constitue un moyen d'éviter qu'une procédure judiciaire ne débouche sur un jugement vicié en raison de la violation du droit des parties de participer à la procédure, notamment à l'administration des preuves. Lorsqu'on ne voit pas quelle influence la violation du droit d'être entendu a pu avoir sur la procédure, il n'y a pas lieu d'annuler la décision attaquée (ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1; arrêts 6B_646/2022 du 18 janvier 2023 consid. 3.2.2; 6B_1012/2020 du 8 avril 2021 consid. 1.1; 6B_218/2020 du 17 avril 2020 consid. 2.1).  
 
3.3. Dans la partie en fait, la cour cantonale a retenu que le ministère public persistait dans les conclusions de sa déclaration d'appel. Il considérait, notamment que "le TP avait appliqué à tort l'art. 48 let. a ch. 1 CP, dès lors que l'art. 100 al. 4 LCR constituait une lex specialis permettant d'appréhender les cas d'atténuation de peine dans le cadre de courses officielles urgentes" (cf. arrêt entrepris, p. 7). En outre, pour le ministère public la peine prononcée était trop faible, "une peine de 30 jours-amende à 160 fr. l'unité paraissait justifiée au regard des circonstances et tiendrait suffisamment compte de l'atténuation prévue par l'art. 100 al. 4 LCR" (cf. arrêt entrepris, p. 7).  
Dans la partie en droit, la cour cantonale a reconnu l'intimé coupable de violation grave d'une règle de la circulation routière au sens de l'art. 90 al. 2 LCR. Elle a estimé qu'il ne pouvait pas bénéficier de l'impunité prévue à l'art. 100 ch. 4 LCR. Elle a cependant, procédé à une atténuation de la peine en application de l'art. 100 ch. 4 dernière phrase LCR. 
Dans le dispositif de l'arrêt, la cour cantonale a repris la formulation du jugement de première instance: " Condamne [l'intimé] à une amende de CHF 400.- (art. 100 ch. 4 in fine LCR, 48 let. a ch. 1, 48a al. 2 et 106 al. 1 CP) ".  
 
3.4. Le recourant soutient que la cour cantonale n'a pas répondu à son grief relatif à une violation de l'art. 48 let. a ch. 1 CP. Selon lui, en omettant de discuter ce grief et de motiver sa conclusion la cour cantonale aurait violé son droit d'être entendu.  
En l'espèce, la cour cantonale qui mentionne, dans la partie en fait de l'arrêt, le grief du recourant relatif à une application erronée de l'art. 48 let. a ch. 1 CP, ne l'examine nullement dans la partie en droit. La cour cantonale fait application de l'atténuante de l'art. 100 ch. 4 dernière phrase LCR sans mentionner, ni analyser, la problématique du mobile honorable (art. 48 let. a ch. 1 CP). Cependant, l'art. 48 let. a ch. 1 CP est mentionné dans le dispositif qui reprend intégralement le dispositif du jugement de première instance. Au regard du courrier du 27 avril 2022 de la cour cantonale qui semble admettre "une motivation déficiente" et exclure une substitution de circonstances atténuantes, on ne peut avoir la certitude que la cour cantonale a écarté implicitement l'application du mobile honorable ou si, au contraire, elle entendait l'appliquer conformément au dispositif de l'arrêt attaqué en omettant toute motivation. Ainsi, on ne comprend pas de la motivation de l'arrêt ce que la cour cantonale a retenu s'agissant d'un éventuel mobile honorable. Il n'est ainsi pas possible de savoir si la peine a été fixée en considération de la seule atténuation prévue à l'art. 100 ch. 4 LCR ou d'un cumul d'atténuation des art. 100 ch. 4 LCR et 48 CP. 
Il s'ensuit que le grief du recourant s'avère fondé et que le recours doit être admis sans qu'il y ait lieu d'examiner plus avant les autres griefs soulevés. L'arrêt attaqué doit être annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale afin qu'elle traite le grief - dûment motivé - soulevé par le recourant concernant le mobile honorable. 
 
4. Au regard de la nature procédurale du vice examiné et dans la mesure où le Tribunal fédéral n'a pas traité la cause sur le fond, ne préjugeant ainsi pas de l'issue de celle-ci, il peut être procédé au renvoi sans ordonner préalablement un échange d'écritures (cf. ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2; arrêts 6B_679/2022 du 30 mars 2023 consid. 3; 6B_1180/2020 du 10 juin 2021 consid. 5).  
Il est statué sans frais judiciaires, ni dépens. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision. 
 
2.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision. 
 
 
Lausanne, le 17 mai 2023 
 
Au nom de la Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jacquemoud-Rossari 
 
La Greffière : Meriboute