7B_320/2024 22.05.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
7B_320/2024  
 
 
Arrêt du 22 mai 2024  
 
IIe Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux, Abrecht, Président, 
Koch et Hofmann. 
Greffière : Mme Nasel. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________ SA, 
3. C.________ SA, 
tous les trois représentés par Me Simon Ntah, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
Ministère public de la Confédération, route de Chavannes 31, case postale, 1001 Lausanne. 
 
Objet 
Refus de mise sous scellés (tardiveté), 
 
recours contre la décision de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral du 12 février 2024 (BB.2023.201- 203). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le Ministère public de la Confédération (ci-après: le MPC) mène depuis le 15 janvier 2020 une instruction pénale contre deux prévenus pour soupçons de blanchiment d'argent aggravé (art. 305 bis ch. 1 et 2 CP) et de corruption d'agents publics étrangers (art. 322 septies CP). Il leur reproche notamment d'avoir, dans le cadre de leur activité professionnelle, "promis et octroyé" des commissions de nature présumée corruptive "versées" en faveur de l'agent public D.________, afin de l'amener à placer des deniers publics auprès ou par l'intermédiaire de la Banque E.________ ou à recourir aux services de cette banque. Les investissements effectués généraient, pour ses contreparties, des gains, généralement sous forme de commissions, dont une partie était ensuite rétrocédée à des apporteurs d'affaires, certains desquels en rétrocédant à leur tour tout ou une partie à D.________. Dans ce contexte, des investissements auraient été effectués, notamment, via la C.________ SA (ci-après: C.________ SA) - fonctionnant comme family office de A.________ et famille - et/ou B.________ SA (ci-après: B.________ SA), lesquelles auraient reversé, directement ou par le biais d'une structure offshore, des rétrocommissions, en lien avec lesdits investissements, en faveur d'une ou plusieurs sociétés offshore mises en place dans ce but par l'un des prévenus. Une partie de ces rétrocommissions, dont le bénéficiaire final serait D.________, aurait ensuite été reversée sur un compte aux U.________, dont l'ayant droit économique serait un homme de paille du précité.  
 
A.b. Le 10 novembre 2023, le MPC a chargé la Police judiciaire fédérale (ci-après: la PJF) de perquisitionner, en parallèle, les locaux professionnels des sociétés C.________ SA et B.________ SA. Les mandats de perquisition ont été notifiés le 14 novembre 2023 à l'assistante de F.________, directeur, administrateur secrétaire et directeur juridique des deux sociétés, après information et accord préalable de ce dernier, puis à F.________, à son arrivée dans les locaux de C.________ SA.  
Le procès-verbal de perquisition des archives délocalisées des deux sociétés, avec l'inventaire des objets mis en sûreté, a été remis, pour prise de connaissance et signature, à F.________ à l'issue de la mesure, le 14 novembre 2023. Ceux des locaux de C.________ SA et de B.________ SA, avec les inventaires des objets mis en sûreté, l'ont été le 15 novembre 2023. 
Le procès-verbal de perquisition du 21 novembre 2023, avec l'inventaire des objets mis en sûreté, a été remis le jour même à F.________ et au conseil de la famille A.________ et des sociétés C.________ SA et B.________ SA. Celui-ci a demandé la mise sous scellés desdits objets, ainsi que de ceux saisis les 14 et 15 novembre 2023, au motif qu'ils contenaient des secrets protégés. Le 22 novembre 2023, le MPC a procédé à la mise sous scellés des objets saisis le 21 novembre 2023. 
Le 24 novembre 2023, par leur conseil, A.________ et les sociétés C.________ SA et B.________ SA ont à nouveau requis la mise sous scellés de l'ensemble des données matérielles et immatérielles saisies lors des perquisitions des 14, 15 et 21 novembre 2023. 
 
B. Par ordonnance du 1 er décembre 2023, le MPC a refusé la mise sous scellés des pièces physiques et des données électroniques saisies au cours des perquisitions des 14 et 15 novembre 2023.  
Par décision du 12 février 2024, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (ci-après: la Cour des plaintes ou l'autorité précédente) a rejeté le recours formé par A.________, B.________ SA et C.________ SA contre cette ordonnance. 
 
C.  
Par acte du 15 mars 2024, A.________, B.________ SA et C.________ SA interjettent un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cette décision. Ils concluent principalement à sa réforme en ce sens qu'il soit ordonné au MPC de mettre sous scellés les données matérielles sous inventaire n os xxx à xxx, xxx à xxx, xxx et xxx saisies le 14 novembre 2023, les données matérielles et immatérielles sous inventaire n os xxx à xxx, xxx à xxx, xxx et n os xxx à xxx saisies le 15 novembre 2023 ainsi que les données immatérielles sous inventaire n os xxx et xxx saisies le 15 novembre 2023. À titre subsidiaire, ils concluent à l'annulation de la décision entreprise et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Préalablement, les recourants ont requis l'octroi de l'effet suspensif au recours. Cette requête, qui a été traitée comme une demande de mesures provisionnelles, a été admise par ordonnance présidentielle de la IIe Cour de droit pénal du Tribunal fédéral du 4 avril 2024.  
Invités à se déterminer sur le recours, la Cour des plaintes y a renoncé, persistant dans les termes de sa décision, tandis que le MPC a conclu à son rejet, dans la mesure de sa recevabilité. Les recourants ont formulé des dernières observations le 29 avril 2024. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 149 IV 9 consid. 2). 
 
1.1. Le prononcé entrepris, rendu par la Cour des plaintes, confirme le refus du MPC de mettre sous scellés les pièces physiques et les données électroniques saisies au cours des perquisitions des 14 et 15 novembre 2023. Il porte ainsi sur une mesure de contrainte au sens de l'art. 79 LTF et peut donc faire l'objet d'un recours en matière pénale (art. 78 ss LTF; ATF 143 IV 85 consid. 1.2; 139 IV 246 consid. 1.3; arrêt 1B_564/2022 du 14 février 2023 consid. 2.1).  
 
1.2. La décision attaquée - qui traite de la question de la tardiveté de la demande de mise sous scellés - est en principe de nature incidente puisqu'elle ne met pas un terme à la procédure pénale; dans une telle configuration, le recours au Tribunal fédéral n'est recevable qu'en présence d'un risque de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, la lettre b de cette disposition n'étant généralement pas applicable en matière pénale. Cependant, lorsque les prononcés en matière de scellés concernent des tiers au sens de l'art. 105 al. 1 let. f CPP, ils présentent à leur égard le caractère d'une décision partielle (cf. art. 91 let. b LTF; ATF 143 IV 462 consid. 1; arrêt 1B_564/2022 du 14 février 2023 consid. 2.3).  
En l'espèce, il ne ressort pas de l'arrêt attaqué que la procédure pénale serait ouverte contre les recourants, ce qui lie le Tribunal fédéral (cf. art. 105 al. 1 LTF). Ceux-ci doivent donc à ce stade être considérés comme des tiers touchés par un acte de procédure, pour lesquels la décision entreprise pourrait mettre un terme à leur participation à une éventuelle procédure de levée des scellés, faute d'avoir pu obtenir une telle mesure de protection. En tout état de cause, la décision attaquée est susceptible de causer aux recourants un préjudice irréparable, dès lors qu'ils soutiennent que le refus d'apposer les scellés sur les éléments saisis pourrait porter atteinte au secret professionnel de l'avocat. 
 
1.3. Pour le surplus, les autres conditions de recevabilité sont réunies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.  
 
2.  
 
2.1. Les recourants reprochent à la Cour des plaintes d'avoir retenu que leur demande de mise sous scellés formulée le 21 novembre 2023 avait été déposée tardivement s'agissant des perquisitions effectuées les 14 et 15 novembre 2023. Ils soutiennent en particulier que cette demande couvrait l'ensemble des opérations de perquisition réalisées les 14, 15 et 21 novembre 2023, lesquelles se seraient déroulées en plusieurs étapes et sur plusieurs jours pour des raisons techniques, mais constitueraient une seule et même mesure. Au contraire, le MPC, et à sa suite la Cour des plaintes, sont d'avis que chacune des perquisitions constituerait une mesure distincte, pleinement exécutée, ayant chacune donné lieu à une saisie, de sorte que la demande de mise sous scellés des éléments saisis les 14 et 15 novembre 2023 formulée le 21 novembre 2023 serait tardive.  
 
2.2. L'art. 248 al. 1 CPP (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2023) prévoit que les documents, enregistrements et autres objets qui ne peuvent être ni perquisitionnés ni séquestrés parce que l'intéressé fait valoir son droit de refuser de déposer ou de témoigner ou pour d'autres motifs sont mis sous scellés et ne peuvent être ni examinés, ni exploités par les autorités pénales.  
Selon la jurisprudence, la requête de mise sous scellés, après que l'ayant droit a été informé de cette possibilité, doit être formulée immédiatement, soit en relation temporelle directe avec la mesure coercitive; cette demande coïncide donc en principe avec l'exécution de la perquisition, respectivement la production des documents requis. L'exigence d'immédiateté tend à empêcher que la police ou le ministère public prenne connaissance du contenu des documents avant leur mise sous scellés; elle vise également à éviter tout retard dans le déroulement de la procédure pénale conformément au principe de la célérité qui prévaut en matière pénale (art. 5 CPP), répondant ainsi à un intérêt public évident (arrêts 7B_88/2024 du 29 avril 2024 consid. 6.2.3; 7B_48/2023 du 29 janvier 2024 consid. 3.2.3; 7B_47/2023 du 21 septembre 2023 consid. 3.1.1; 1B_564/2022 du 14 février 2023 consid. 3.1). 
Cependant, afin de garantir une protection effective des droits de l'intéressé, celui-ci doit pouvoir se faire conseiller par un avocat; ainsi, l'opposition à un séquestre devrait pouvoir encore être déposée quelques heures après que la mesure a été mise en oeuvre, voire exceptionnellement quelques jours plus tard lorsque la procédure est particulièrement complexe. Une requête déposée plusieurs semaines ou mois après la perquisition est en principe tardive (arrêts 7B_88/2024 du 29 avril 2024 consid. 6.2.3; 7B_48/2023 du 29 janvier 2024 consid. 3.2.3; 7B_47/2023 du 21 septembre 2023 consid. 3.1.1; 1B_564/2022 du 14 février 2023 consid. 3.1), tandis que la requête formée une semaine plus tard peut, le cas échéant, avoir été déposée en temps utile (arrêts 1B_100/2021 du 7 juillet 2021 consid. 2; 1B_176/2019 du 17 septembre 2019 consid. 2.2). En tout état de cause, cette appréciation dépend avant tout des circonstances du cas d'espèce (arrêts 7B_88/2024, 7B_48/2023, 7B_47/2023 et 1B_564/2022 précités, ibidem). 
 
2.3. Le cas d'espèce présente la particularité que les opérations de perquisition diligentées par le MPC dans les locaux des sociétés recourantes se sont déroulées en plusieurs étapes et sur plusieurs jours.  
Un mandat de perquisition a été émis le 10 novembre 2023 pour chacune des sociétés recourantes. Ces deux mandats donnent pour mission à la PJF de perquisitionner les locaux professionnels des sociétés recourantes, "tous les locaux annexes ainsi que tout autre endroit dans lequel des moyens de preuve utiles à la procédure sont susceptibles d'être découverts"; ils la chargent en outre de perquisitionner "tous documents physiques et/ou tous supports informatiques et/ou toutes données électroniques en lien avec les soupçons [d'infractions] pour la période du 1 er janvier 2003 au 31 décembre 2018".  
Le 14 novembre 2023, les archives délocalisées des sociétés recourantes ont été perquisitionnées. Lors de la perquisition de leurs locaux, qui a commencé le même jour, le tri informatique n'a pas pu se terminer. Il a ainsi été convenu de suspendre la perquisition à 18h40 pour la reprendre le lendemain, soit le 15 novembre 2023, à 8h00 (cf. act. 4.3 et 4.4 du dossier de l'autorité précédente, p. 5). La PJF a été avisée le 14 novembre 2023 par le "directeur IT" des sociétés recourantes que l'ensemble des données électroniques de ces dernières étaient externalisées, soit détenues sur un serveur auprès de la société G.________ SA (ci-après: G.________ SA); elle a requis qu'un accès à distance soit mis en place pour lui permettre d'accéder auxdites données, de procéder à leur tri et à leur saisie (cf. act. 4 du dossier de l'autorité précédente, p. 4). 
Le 15 novembre 2023, la perquisition des locaux des sociétés recourantes s'est poursuivie à 8h00 comme prévu. À 15h10, F.________ a été informé du fait que la PJF "arrêtait les recherches concernant les 7 boîtes e-mail vu la durée et l'incertitude des données transmises par G.________ SA via le canal C.________ SA. [...] Pour des raisons de confidentialité", F.________ a proposé de fournir les données obtenues pour les 7 boîtes e-mail par la société G.________ SA dès lors qu'elles seraient disponibles, soit d'ici au 22 novembre 2023 (cf. act. 4.3 et 4.4 du dossier de l'autorité précédente, p. 6). 
S'agissant de la perquisition du 21 novembre 2023, qui a eu lieu dans la salle des serveurs de C.________ SA, elle donnait suite aux mandats de perquisition émis le 10 novembre 2023. Le procès-verbal de perquisition du 21 novembre 2023 indique en outre que celle-ci constitue la "suite de la perquisition des 14 et 15.11.2023" et rappelle que lors de ces dernières perquisitions, l'extraction des données des 7 boîtes e-mail était incertaine et le temps nécessaire pour ce faire inconnu, de sorte que la PJF avait décidé d'arrêter les recherches via le canal C.________ SA. Il précise en outre que seules 4 boîtes e-mail (sur les 7) figuraient dans l'export final (cf. act. 4.6 du dossier de l'autorité précédente, p. 3). Avec les recourants, force est ainsi de constater que cette troisième journée de perquisition avait pour objet la remise, par F.________ à la PJF, des données dont il avait été question le 15 novembre 2023 et non pas de données différentes. 
Dans ces conditions, on ne saurait suivre la Cour des plaintes lorsqu'elle considère que les perquisitions exécutées sur plusieurs jours constituaient une mesure distincte. Compte tenu des circonstances spécifiques du cas d'espèce, en particulier du fait que la perquisition effectuée le 21 novembre 2023 se fondait sur les mêmes mandats que les perquisitions réalisées les 14 et 15 novembre 2023 et que ces mandats couvraient l'ensemble des opérations menées jusqu'au 21 novembre 2023, les recourants pouvaient considérer de bonne foi que les perquisitions qui s'étaient déroulées sur ces trois jours constituaient une seule et même opération, laquelle s'était prolongée pour des raisons techniques, respectivement qu'elles relevaient de la même mesure. 
 
2.4. Partant, en considérant que la demande de mise sous scellés formulée par les recourants le 21 novembre 2023 était tardive, la Cour des plaintes, à la suite du MPC, a violé le droit fédéral.  
 
3.  
Il s'ensuit que le recours doit être admis et la décision attaquée réformée en ce sens qu'il est ordonné au MPC de placer sous scellés les pièces et les données saisies les 14 et 15 novembre 2023. Le MPC saisira, le cas échéant, l'autorité compétente dans les vingt jours suivant la notification de l'arrêt du Tribunal fédéral (cf. arrêts 1B_564/2022 du 14 février 2023 consid. 2.4; 1B_321/2022 du 30 novembre 2022 consid. 2.3). Pour le surplus, la cause sera renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle statue sur les frais et indemnités de la procédure cantonale (art. 67 et 68 al. 5 LTF). 
L'issue du recours rend sans objet les autres griefs des recourants par lesquels ils tentent de démontrer l'absence de tardiveté de leur demande de mise sous scellés du 21 novembre 2023. 
 
4.  
Il ne sera pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). Les recourants, qui obtiennent gain de cause avec l'assistance d'un avocat, ont droit à des dépens (cf. art. 68 al. 1 LTF), à la charge de la Confédération. Le montant alloué aux recourants tiendra compte du fait qu'ils agissent par un mandataire commun. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis et la décision attaquée réformée en ce sens qu'il est ordonné au MPC de placer sous scellés les pièces et les données saisies les 14 et 15 novembre 2023. 
 
2.  
La cause est renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision sur les frais et indemnités de la procédure cantonale. 
 
3.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
4.  
Une indemnité de dépens, fixée à 2'000 fr., est allouée, de manière globale, aux recourants, à la charge de la Confédération. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourants, au Ministère public de la Confédération et à la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral. 
 
 
Lausanne, le 22 mai 2024 
 
Au nom de la IIe Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Abrecht 
 
La Greffière : Nasel