6B_1052/2023 04.03.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_1052/2023  
 
 
Arrêt du 4 mars 2024  
 
Ire Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux 
Muschietti, Juge présidant, van de Graaf et von Felten. 
Greffière : Mme Corti. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Lionel Ducret, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
1. Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD, 
2. B.________, 
représenté par Me Marc Cheseaux, avocat, 
intimés. 
 
Objet 
Injure; arbitraire, 
 
recours contre le jugement de la Cour d'appel pénale 
du Tribunal cantonal du canton de Vaud, du 12 juin 2023 (n° 217 PE20.008943-LCR/ACP). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 9 janvier 2023, le Tribunal de police de l'arrondissement de l'Est vaudois a libéré A.________ de l'infraction de menaces et l'a condamné pour voies de fait ainsi qu'injure à une peine pécuniaire de 20 jours-amende à 30 fr. le jour, avec sursis durant 2 ans, et à une amende de 300 fr., la peine privative de liberté de substitution en cas de non-paiement fautif étant fixée à 3 jours. Le tribunal a également donné acte à B.________ et C.________ de leurs réserves civiles à l'encontre de A.________. 
 
B.  
Par jugement du 12 juin 2023, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a partiellement admis l'appel de A.________. Elle a réformé le jugement attaqué en ce sens qu'elle a libéré A.________ des chefs de prévention de voies de fait et de menaces, elle a pris acte du retrait de la plainte pénale déposée par C.________, elle a condamné A.________ pour injure à une peine pécuniaire de 5 jours-amende à 30 fr. le jour, avec sursis pendant 2 ans, et elle a donné acte à B.________ de ses réserves civiles à l'encontre de A.________. 
Elle a retenu les faits suivants concernant l'infraction d'injure encore litigieuse devant le Tribunal fédéral: 
 
B.a. Le 14 février 2020, vers 22h00, dans les cuisines de l'Hôtel "D.________", sis chemin de U.________, à V.________, A.________ a insulté B.________ en ces termes: "fuck you, fuck off".  
B.________ a déposé plainte le 15 février 2020. 
 
B.b. Ressortissant britannique, A.________ est né en juin 1969 à W.________ en Angleterre. |l a effectué sa scolarité dans son pays d'origine et en Nouvelle-Zélande. Il a travaillé durant 35 ans comme cuisinier professionnel. |l est actuellement à la recherche d'un emploi. Il perçoit l'aide sociale à raison d'environ 1'200 fr. par mois. || vit avec son épouse, à X.________, celle-ci travaillant au CMS.  
L'extrait du casier judiciaire de A.________ ne comporte aucune condamnation. 
 
 
C.  
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement du 12 juin 2023. Il conclut, avec suite de frais et dépens, à ce que ledit jugement soit réformé en ce sens qu'il est libéré de l'infraction d'injure. Il sollicite en outre le bénéfice de l'assistance judiciaire. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recourant conteste sa condamnation pour injure au sens de l'art. 177 CP
 
1.1. Se rend coupable d'injure celui qui aura, par la parole, l'écriture, l'image, le geste ou par des voies de fait, attaqué autrui dans son honneur (art. 177 al. 1 CP).  
L'honneur que protège l'art. 177 CP est le sentiment et la réputation d'être une personne honnête et respectable, c'est-à-dire le droit de ne pas être méprisé en tant qu'être humain (ATF 132 IV 112 consid. 2.1; arrêts 6B_777/2022 du 16 mars 2023 consid. 2.2 non publié aux ATF 149 IV 170; 6B_1254/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.1; 6B_1149/2019 du 15 janvier 2020 consid. 5.1). L'injure peut consister dans la formulation d'un jugement de valeur offensant, mettant en doute l'honnêteté, la loyauté ou la moralité d'une personne de manière à la rendre méprisable en tant qu'être humain ou entité juridique ou celui d'une injure formelle, lorsque l'auteur a, en une forme répréhensible, témoigné de son mépris à l'égard de la personne visée et l'a attaquée dans le sentiment qu'elle a de sa propre dignité. La marque de mépris doit revêtir une certaine gravité, excédant ce qui est acceptable (arrêts 6B_777/2022 précité consid. 2.2 et les arrêts cités; 6B_1215/2020 du 22 avril 2021 consid. 5.2; 6B_1254/2019 précité consid. 8.1 et l'arrêt cité). 
A titre d'exemple, il a été reconnu que le terme italien "vaffanculo" constituait une injure formelle (arrêt 6B_794/2007 du 14 av ril 2008 consid. 3.2; cf. aussi arrêt 6B_777/2022 précité consid. 2.2). 
Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il faut procéder à une interprétation objective selon le sens que le destinataire non prévenu devait, dans les circonstances d'espèce, lui attribuer (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3). Les mêmes termes n'ont donc pas nécessairement la même portée suivant le contexte dans lequel ils sont employés (ATF 118 IV 248 consid. 2b). Selon la jurisprudence, un texte doit être analysé non seulement en fonction des expressions utilisées, prises séparément, mais aussi selon le sens général qui se dégage du texte dans son ensemble (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3). Déterminer le contenu d'un message relève des constatations de fait. Le sens qu'un destinataire non prévenu confère aux expressions et images utilisées constitue en revanche une question de droit (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3). 
 
1.2. Le recourant ne conteste pas avoir prononcé les mots "fuck you, fuck off" à l'encontre de l'intimé. Il ne conteste également pas que les termes "fuck you" soient constitutifs d'injure. A l'inverse, de l'avis du recourant, les termes "fuck off", qui pouvaient être traduits par "fous-moi la paix" ne dépassaient pas ce qui était acceptable et pouvaient, dans le contexte du cas d'espèce, tout au plus être considérés comme une manière impolie de demander à une personne de nous laisser tranquille. A cet égard, il sied de relever qu'une phrase ou un ensemble de mots, à l'instar d'un texte, doivent être analysés non seulement en fonction des expressions utilisées, prises séparément, mais aussi selon le sens général qui se dégage de la phrase ou de l'ensemble de mots pris dans sa globalité (cf. supra consid. 1.1 in fine). Ainsi, puisque les termes "fuck you" prononcés à l'égard de l'intimé sont constitutifs d'injure au sens de l'art. 177 al. 1 CP, ce que le recourant lui-même admet, il en va de même, a fortiori, pour les propos " fuck you, fuck off " pris dans son ensemble.  
La cour cantonale pouvait ainsi considérer, sans violer le droit fédéral, que les mots "fuck you, fuck off" avaient indéniablement un caractère méprisant à l'égard de la personne contre laquelle ils étaient prononcés et ils excédaient ce qui était acceptable. 
 
1.3. Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 177 al. 2 CP. Il reproche à la cour cantonale de ne pas avoir suffisamment pris en compte le contexte dans lequel les propos "fuck you, fuck off" auraient été prononcés. Il soutient que ces propos seraient une réaction immédiate au comportement répréhensible de l'intimé à son égard, à savoir le fait que ce dernier avait commencé à le filmer sans son consentement.  
 
1.3.1. L'art. 177 al. 2 CP prévoit que le juge peut renoncer à prononcer une peine si l'injurié a provoqué directement l'injure par une conduite répréhensible. Le juge ne peut faire usage de cette faculté que si l'injure a consisté en une réaction immédiate à un comportement répréhensible de l'injurié, lequel peut consister en une provocation ou en tout autre comportement blâmable (ATF 117 IV 270 consid. 2c; arrêts 6B_826/2019 du 21 janvier 2020 consid. 4; 6B_938/2017 du 2 juillet 2018 consid. 5.3.2). La notion d'immédiateté doit être comprise comme une notion de temps dans le sens que l'auteur doit avoir agi sous le coup de l'émotion provoquée par la conduite répréhensible de l'injurié, sans avoir eu le temps de réfléchir tranquillement (ATF 83 IV 151; arrêts 6B_826/2019 précité consid. 4; 6B_938/2017 précité consid. 5.3.2).  
 
1.3.2. En premier lieu, il convient de préciser que l'art. 177 al. 2 CP instaure un motif facultatif d'exemption de peine. Un acquittement, tel que demandé par le recourant, ne serait donc pas compatible avec les termes de la loi et une exemption de peine resterait à l'appréciation du tribunal même en présence d'un tel motif (ATF 109 IV 39 consid. 4b in fine; arrêts 6B_1056/2020 du 25 août 2021 consid. 4.3.5; 6B_640/2008 du 12 février 2009 consid. 2.1; 6B_146/2007 du 24 août 2007 consid. 5 non publié aux ATF 133 IV 293). Par conséquent, la conclusion du recourant tendant à son acquittement du chef de prévention d'injure doit être rejetée.  
La cour cantonale pouvait donc, sans violer le droit fédéral, condamner le recourant pour injure. 
 
1.3.3. Pour ce qui est de l'exemption de peine, bien que le recourant ne formule aucune conclusion dans ce sens en instance fédérale, on comprend cependant qu'il reproche à la cour cantonale de ne pas l'avoir exempté de peine en application de l'art. 177 al. 2 CP. Il est à relever que la cour cantonale ne s'exprime pas du tout sur la question dans son jugement, malgré le fait que le recourant ait déjà soulevé ce grief en instance cantonale. Le recourant n'invoque cependant pas une violation de son droit d'être entendu ou un déni de justice à cet égard. Il n'y a donc pas lieu d'examiner son argumentation sous l'angle de cette garantie formelle (cf. art. 106 al. 2 LTF).  
 
1.3.4. Dans l'ensemble, il apparaît que l'instance inférieure n'a pas fait application de l'art. 177 al. 2 CP. La cour cantonale a certes relevé le contexte particulier du cas d'espèce, en considérant, à l'instar de l'autorité de première instance, que le recourant avait certainement été agacé par le fait d'être filmé par son employeur. Elle a également souligné que le climat tendu au sein de la cuisine ainsi que l'énervement respectif des protagonistes étaient manifestes (cf. jugement attaqué consid. 4.2 p. 14) et que l'atmosphère qui régnait était explosive. Compte tenu de ces éléments, elle a retenu que les insultes reprochées au recourant s'inscrivaient dans un déroulement plausible de l'altercation. On comprend du raisonnement de la cour cantonale que ces circonstances particulières n'étaient pas suffisantes pour que l'autorité précédente considère que l'intimé avait à ce point provoqué le recourant et pour ainsi justifier une exemption de peine au sens de l'art. 177 al. 2 CP.  
Comme susmentionné (cf. supra consid. 1.3.2), l'art. 177 al. 2 CP est de nature potestative. Le juge a ainsi la faculté, mais non l'obligation, d'exempter l'auteur de toute peine; il peut également se contenter d'atténuer la peine. Le juge dispose, en ce domaine, d'un large pouvoir d'appréciation et le Tribunal fédéral n'intervient qu'en cas d'abus (ATF 109 IV 39 consid. 4b in fine; arrêts 6B_640/2008 du 12 février 2009 consid. 2.1; 6B_477/2007 du 17 décembre 2008 consid. 5.1; 6S.634/2001 du 20 décembre 2001 consid. 3).  
En l'occurrence, il importe peu de savoir si l'injurié aurait provoqué directement l'injure par une conduite répréhensible au sens de l'art. 177 al. 2 CP. En effet, même à considérer que cette disposition trouverait application dans les circonstances particulières évoquées plus haut - ce qui apparaît douteux - le recourant échoue à démontrer en quoi l'autorité précédente aurait versé dans l'arbitraire, ou abusé de son pouvoir d'appréciation en décidant de ne pas faire usage de la faculté que lui offrait l'art. 177 al. 2 CP et en ne l'exemptant pas de toute peine ou, a fortiori en n'atténuant pas sa peine. La cour cantonale n'a dès lors pas violé le droit fédéral en n'exemptant pas le recourant de toute peine.  
 
2.  
Pour le surplus, il convient de relever que le recourant ne critique devant le Tribunal fédéral ni le genre de peine infligée (cf. art. 34 CP), ni la quotité de la peine en tant que telle (cf. art. 47 CP). Ses griefs se focalisent uniquement sur la question de l'application de l'art. 177 al. 2 CP
De toute manière, par son argumentation, le recourant échoue à démontrer en quoi la juridiction précédente aurait versé dans l'arbitraire en retenant qu'il n'avait formulé aucune excuse et, durant toute la procédure, avait adopté une posture de victime, sans s'interroger sur ses propres torts. S'il est vrai que la cour cantonale a considéré qu'il n'y avait pas d'éléments à décharge, elle a quand même pris en considération le contexte particulier évoqué plus haut - celui-ci étant mentionné dans les consid. 4.2 p. 14 et 6.3.2 p. 20 in fine du jugement attaqué. Il importe peu que l'autorité précédente n'ait pas expressément rappelé ces éléments au stade de la fixation de la peine, dans la mesure où le jugement forme un tout et on admet que le juge garde à l'esprit l'ensemble des éléments y figurant (arrêts 6B_849/2022 du 21 juin 2023 consid. 4.3.1; 6B_808/2022 du 8 mai 2023 consid. 5.3; 6B_252/2022 du 11 avril 2023 consid. 5.3).  
La cour cantonale a du reste réduit la peine pécuniaire de 20 à 5 jours-amende en tenant certes également compte du retrait de plainte de C.________ concernant les propos injurieux dont il a été la cible. Ainsi, la peine prononcée, qui se situe dans la fourchette basse du cadre légal, n'apparaît pas excessive et demeure proportionnée à la faute du recourant, que l'autorité précédente a qualifiée de légère. 
Enfin, il n'y a pas lieu de revenir sur le montant du jour-amende, qui n'est pas contesté (cf. art. 34 al. 2 CP). 
En définitive, la cour cantonale pouvait, dans les circonstances établies sans que l'arbitraire n'en soit démontré, condamner le recourant à une peine pécuniaire de 5 jours-amende à 30 fr. le jour pour l'infraction d'injure retenue, peine qui n'apparaît pas exagérément sévère au point de constituer un abus du large pouvoir d'appréciation dont dispose le juge sur ce point. 
 
3.  
Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Comme il était dénué de chances de succès, la demande d'assistance judiciaire doit être rejetée (art. 64 al. 1 LTF). Le recourant, qui succombe, supporte les frais judiciaires, dont le montant sera fixé en tenant compte de sa situation financière, laquelle n'apparaît pas favorable (art. 65 al. 2 et 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
La demande d'assistance judiciaire est rejetée. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'200 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
 
Lausanne, le 4 mars 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Muschietti 
 
La Greffière : Corti