1C_452/2023 31.05.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_452/2023  
 
 
Arrêt du 31 mai 2024  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Haag, Juge présidant, 
Müller et Merz. 
Greffière : Mme Tornay Schaller. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Me Jean-Jacques Martin, avocat, Evidentia Avocats, 
recourante, 
 
contre  
 
Commune d'Avusy, 
route du Creux-du-Loup 42, 1285 Athenaz (Avusy), représentée par Maîtres Romain Jordan et Stéphane Grodecki, avocats, 
Département du territoire du canton de Genève, case postale 3880, 1211 Genève 3. 
 
Objet 
Cessation d'exploiter une installation de recyclage et de traitement de déchets de chantier; remise en état des parcelles, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève du 9 août 2023 (ATA/818/2023 - A/3773/2021-AMENAG). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Le 6 janvier 1983, le Département de l'intérieur et de l'agriculture du canton de Genève (devenu par la suite le Département du territoire [ci-après: le Département)] a autorisé la société A.________ SA (ci-après: A.________) à exploiter une gravière sur la parcelle n° 85 de la commune d'Avusy, avec remise en culture en 1990. 
Le 15 décembre 1983, le Département a délivré à A.________ une autorisation d'exploiter une gravière sur les parcelles n os 86 et 87 de la commune, prévoyant une remise en culture en 1994. Dans un avenant du 11 octobre 1985, le Département a étendu la validité de l'autorisation du 15 décembre 1983, aux mêmes conditions et charges, sur une partie des parcelles n os 1'899 et 2'969, contiguës à la parcelle n o 87. Par avenant du 29 juillet 1986, le Département a autorisé A.________ à utiliser une station mobile de lavage de matériaux graveleux sur les parcelles n os 85, 86 et 87. Cette autorisation prévoyait que la date pour le remblayage et la remise en culture des parcelles restait inchangée et que l'installation devrait être déplacée dans une autre gravière en temps utile.  
Le 29 juin 1993, A.________ a sollicité du Département la prolongation des autorisations de 5 ans, soit jusqu'en 1999, précisant avoir déposé une demande d'autorisation de construire (DD 92'383) afin de pouvoir conserver à long terme l'installation de recyclage et de récupération. Par courrier du 21 juillet 1993, le Département lui a répondu être "disposé" à lui "accorder une prolongation des délais pour les autorisations" et que "les nouveaux délais seraient définis, d'entente avec les autorités communales", dès que le Département "aurait statué sur la requête DD 92'383 qui faisait l'objet d'une enquête publique en dérogation de destination". 
 
B.  
Le 15 janvier 1996, l'autorisation définitive de construire une installation fixe de recyclage, de concassage et de lavage de matériaux sur les parcelles n os 85, 86 et 87 sises en zone agricole a été délivrée à A.________ (DD 92'383).  
Par prononcé du 3 septembre 1996, cette autorisation de construire a toutefois été annulée par la Commission cantonale de recours en matière de constructions, sur recours de la commune d'Avusy et d'associations. Le Tribunal administratif du canton de Genève puis le Tribunal fédéral ont confirmé l'annulation de cette autorisation de construire respectivement par arrêt du 5 août 1997 et par arrêt 1A.242/1997 du 13 février 1998. 
 
C.  
Le 4 juin 1998, le Département a entamé une procédure de modification des limites de zones sur le territoire de la commune d'Avusy afin notamment de mettre les parcelles n os 85, 86 et 87 en zone industrielle et artisanale. En 2010, des députés du Grand Conseil genevois ont présenté une proposition de motion pour un plan directeur visant à régulariser la situation de A.________.  
 
D.  
Entre novembre 2014 et mai 2015, la commune d'Avusy a demandé à plusieurs reprises qu'un délai soit imparti à A.________ pour cesser ses activités et pour remettre les parcelles dans un état conforme à la zone agricole. 
Par décision du 4 juin 2015, le Département a refusé de suspendre les activités de A.________ sur les parcelles nos 85, 86 et 87 et d'ordonner l'évacuation des installations ainsi que la remise en état des lieux. 
Par jugement du 26 mai 2016, le Tribunal administratif de première instance du canton de Genève (ci-après: le TAPI) a admis le recours formé par la commune d'Avusy contre cette décision et a renvoyé le dossier au Département pour nouvelle décision dans le sens des considérants, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP
Par arrêt du 26 juin 2018, la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a annulé ce jugement sur recours de l'exploitante et du Département et a rétabli la décision du 4 juin 2015. La commune d'Avusy a recouru contre l'arrêt du 26 juin 2018 auprès du Tribunal fédéral. La cause a d'abord été suspendue jusqu'à droit connu sur le référendum cantonal déposé contre la loi n° 11976 adoptée le 2 novembre 2018 par le Grand Conseil genevois qui approuve la création d'une zone industrielle et artisanale exclusivement affectée à des activités de recyclage de matériaux minéraux sur les parcelles nos 85, 86 et 87 et qui rejette, dans la mesure de leur recevabilité, les oppositions formées à cette loi. La cause a ensuite été suspendue jusqu'à droit connu sur la procédure de recours contre la décision du Département du 1er octobre 2021 (voir infra F). L'instruction a été reprise le 3 mai 2023. Par ordonnance 1C_423/2018 du 30 juin 2023, le Tribunal fédéral a déclaré le recours dirigé contre l'arrêt du 26 juin 2018 sans objet et a rayé la cause du rôle. 
 
E.  
La loi n° 11976 a été rejetée lors de la votation populaire du 29 novembre 2020. 
 
F.  
Par décision du 1 er octobre 2021, le Département a notamment ordonné la remise en état du site ainsi que la cessation des activités de A.________ selon le planning suivant: 31 décembre 2021 pour l'interdiction de reprise de nouveaux déchets; 31 décembre 2022 pour la fin du traitement des matériaux bruts présents sur site; 31 juillet 2023 pour la fin de l'évacuation des matériaux recyclés présents sur site et le démantèlement des installations; 31 décembre 2023 pour la fin de la phase de reconstitution des sols conformément à la carte géographique annexée; 31 décembre 2026 pour la fin de la phase transitoire de remise en culture et la restitution des terrains à l'agriculture (ch. 1 let. a à e).  
Par jugement du 22 février 2023, le TAPI a confirmé la décision du 1 er octobre 2021 s'agissant de la cessation des activités et de la remise en état, mais a admis partiellement le recours déposé par A.________ s'agissant des échéances fixées et les a reportées de deux ans.  
Par arrêt du 9 août 2023, la Cour de justice a rejeté le recours dirigé par A.________ contre le jugement du 22 février 2023. 
 
G.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande principalement au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 9 août 2023 et de dire que le ch. 1 de la décision du 1 er octobre 2021 est modifié en ce sens que la cessation des activités sur la commune d'Avusy suivra le planning suivant dès l'entrée en force de l'autorisation de construire et d'exploiter la parcelle n° 4629 de la commune de Vernier (DD 327'276) :  
 
- cessation de l'alimentation en matériaux de démolition du site de Sous-Forestal, parcelles n os 85, 86, 87, 2249, 2250, 2251, 2252, 2253, 2964, 3523: un an  
- fin du traitement des matériaux bruts présents sur le site: deux ans  
- fin de l'évacuation des matériaux recyclés présents sur le site et démantèlement des installations: trois ans  
- remise en culture des parcelles: six ans. 
A.________ conclut subsidiairement à la modification du ch. 1 de la décision du 1 er octobre 2021 en ce sens qu'un délai de 10 ans doit être accordé pour mettre fin aux activités et remettre les parcelles conformes à l'agriculture. À titre encore plus subsidiaire, elle demande que la cause soit renvoyée à l'autorité intimée pour fixer des délais appropriés pour la cessation des activités sur la commune d'Avusy.  
Le Département et la commune d'Avusy concluent au rejet du recours. La recourante réplique. 
Par ordonnance du 9 octobre 2023, le Président de la I re Cour de droit public du Tribunal fédéral a admis la requête d'effet suspensif déposée par la recourante.  
Le 23 mai 2024, la commune d'Avusy a sollicité le retrait de l'effet suspensif. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Dirigé contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine de l'aménagement du territoire (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions mentionnées à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. 
La recourante a pris part à la procédure devant la Cour de justice. En tant que destinataire de l'ordre de remise en état, elle est particulièrement touchée par l'arrêt attaqué et peut ainsi se prévaloir d'un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit annulée (art. 89 al. 1 LTF). 
Les autres conditions de recevabilité sont au surplus réunies, si bien qu'il y a en principe lieu d'entrer en matière sur le recours. 
 
2.  
L'ordre de cessation des activités et de remise en état n'est plus contesté. Le litige ne porte plus que sur la question des différents délais dans lesquels celles-ci doivent être opérées. 
 
3.  
La recourante énonce son planning de déménagement sur un site en zone industrielle de la commune de Vernier. Elle relève qu'un tel déménagement n'a de sens que si la coordination des actions permet d'éviter une interruption de l'activité de la société, ce d'autant plus que l'aménagement du nouveau site réclamerait un investissement supplémentaire de 13,5 millions de francs, investissement qui ne pouvait se justifier que si la société pouvait survivre économiquement dans l'intervalle. Elle prétend que si l'interdiction de reprise de nouveaux déchets devait prendre effet avant le début de l'exploitation sur le site de Vernier, elle ne pourrait survivre économiquement. Elle se plaint d'une violation du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), au motif que ses demandes d'instruction complémentaires en lien notamment avec sa proposition d'un nouveau calendrier de remise en état des terrains ont été refusées. Elle reproche à la cour cantonale d'avoir retenu qu'elle "pourra continuer à traiter les matériaux déjà présents sur le site jusqu'au 31 décembre 2024, moment auquel elle devrait pouvoir commencer son exploitation sur le nouveau site": cela ne correspondrait pas à la réalité du marché. Elle fait grief à la cour cantonale de n'avoir pas tenu compte "du lien indissoluble, sur le marché du recyclage, entre le transfert des matériaux depuis les chantiers, avec leur transformation, leur recyclage en sable et leur revente". À cet égard, elle se plaint aussi d'un établissement arbitraire des faits (art. 97 LTF; sur cette notion voir infra consid. 4.1). 
 
3.1. Le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) comprend le droit pour le justiciable d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (cf. ATF 148 II 73 consid. 7.3.1; 145 I 167 consid. 4.1). Cette garantie constitutionnelle n'empêche pas le juge de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, il a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1; 140 I 285 consid. 6.3.1). Par ailleurs, le droit d'être entendu ne comprend pas celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1; arrêt 2C_850/2014 du 10 juin 2016 consid. 6.1, non publié in ATF 142 II 388). Le refus d'une mesure probatoire par appréciation anticipée des preuves ne peut être remis en cause devant le Tribunal fédéral qu'en invoquant l'arbitraire (art. 9 Cst.) de manière claire et détaillée (art. 106 al. 2 LTF; ATF 146 III 73 consid. 5.2.2; 144 II 427 consid. 3.1.3).  
 
3.2. En l'espèce, la cour cantonale a considéré que la recourante avait eu l'occasion de produire toutes les pièces utiles et de faire valoir ses arguments par écrit devant elle et devant le TAPI, lequel avait en outre procédé à des mesures d'instruction. Les actes d'instruction demandés par la recourante afin de déterminer précisément les conséquences d'une interruption de ses activités (notamment les auditions de l'administrateur de A.________, de l'architecte du nouveau projet, d'un ingénieur civil et d'un ingénieur en environnement) n'étaient pas susceptibles d'apporter des éléments conduisant à une issue différente du litige, compte tenu des intérêts publics en jeu.  
Au sujet de la procédure d'autorisation des activités de A.________ sur les nouvelles parcelles identifiées à Vernier, la Cour de justice a expressément relevé que "si l'autorisation sollicitée ne devait pas être accordée ou faisait l'objet d'un recours, les activités de la recourante seraient alors davantage touchées puisqu'elle n'aurait plus le droit de traiter des matériaux. Cela étant, il convient de garder à l'esprit que la tolérance dont elle a bénéficié pendant près d'un quart de siècle ne saurait perdurer jusqu'à ce que d'autres parcelles soient trouvées et aménagées, alors qu'il est difficile de proposer rapidement des terrains puisque ceux de la Fondation pour les terrains industriels de Genève (FTI) sont généralement attribués pour plusieurs décennies, selon les déclarations de son directeur général devant le TAPI" (arrêt attaqué consid. 5.5 p. 28). 
 
3.3. La Cour de justice a ainsi jugé que quand bien même les intérêts privés de la recourante seraient d'avantage touchés si la procédure d'autorisation de ses activités sur les nouvelles parcelles à Vernier devait ne pas aboutir ou être ralentie par d'éventuels recours, la pesée des intérêts restait la même. En d'autres termes, le lien entre le transfert des matériaux, leur traitement et leur revente ne justifiait pas de modifier l'échéancier fixé par le Département et prolongé de deux ans par le TAPI. Vu les intérêts publics en cause, les conséquences précises du planning litigieux sur les activités de la recourante n'étaient pas susceptibles de modifier le raisonnement de la cour cantonale. En réalité, la recourante ne critique pas l'établissement des faits susceptibles d'influer sur le sort de la cause mais s'en prend à leur appréciation juridique. Sur le fond, elle ne démontre cependant pas en quoi la prise en compte de ces éléments aurait une incidence sur l'issue du litige, notamment sur la pesée des intérêts effectuée par l'instance précédente.  
Dans ces conditions, la cour cantonale a procédé à une appréciation anticipée des preuves non arbitraire en déniant à ces moyens de preuve une valeur probante décisive pour le jugement. Le grief de violation du droit d'être entendu doit par conséquent être écarté. Il en va de même de la critique relative à l'appréciation arbitraire des faits. 
 
4.  
La recourante prétend ensuite que la Cour de justice aurait apprécié une partie des faits retenus de manière arbitraire. 
 
4.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), hormis dans les cas visés à l'art. 105 al. 2 LTF. Selon l'art. 97 al. 1 LTF, le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (ATF 145 V 188 consid. 2).  
 
4.2. En l'espèce, la recourante soutient que la Cour de justice aurait complètement passé sous silence les investissements consentis entre 2003 et 2020 pour améliorer et assainir les installations de recyclage.  
Il ressort toutefois de l'arrêt attaqué que la recourante "qui a poursuivi l'exploitation d'une gravière qu'elle savait illégale depuis 1998 et qui a étendu ses activités au recyclage et au traitement de déchets de chantier sans la moindre autorisation, ne peut se prévaloir des investissements que ses activités ont nécessités et qui au demeurant lui ont permis de se développer et de réaliser un chiffre d'affaires". 
Ainsi, les investissements consentis par A.________ ont bien été pris en compte par l'autorité précédente, dans le cadre de la pesée des intérêts. Quant à la question de savoir l'importance de cet élément dans la pesée des intérêts opérée, elle relève du fond. 
Pour ces raisons, le grief de constatation arbitraire des faits doit être écarté. 
 
5.  
La recourante soutient que son activité est légale et repose sur l'autorisation provisoire du 21 juillet 1993. Elle prétend que le courrier du 21 juillet 1993 devrait être qualifié de décision administrative partielle admettant sur son principe le renouvellement des autorisations d'exploiter une gravière sur les parcelles n os 85, 86 et 87 de la commune, mais remettant à plus tard le prononcé d'une décision finale statuant sur les délais y afférents. Elle semble faire grief à la cour cantonale d'avoir appliqué arbitrairement le droit cantonal en lien avec la qualification du courrier du 21 juillet 1993.  
 
5.1. Le Tribunal fédéral ne revoit l'interprétation et l'application faite du droit cantonal que sous l'angle de l'arbitraire (ATF 147 I 433 consid. 4.2; 146 II 367 consid. 3.1.5). Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de justice et d'équité. Le Tribunal fédéral n'a pas à déterminer quelle est l'interprétation correcte que l'autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables; il doit uniquement examiner si l'interprétation qui a été faite est défendable. Si l'application de la loi défendue par l'autorité cantonale ne se révèle pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution - éventuellement plus judicieuse - paraît possible (ATF 145 II 32 consid. 5.1; 145 I 108 consid. 4.4.1).  
 
5.2. Selon l'art. 4 de la loi sur la procédure administrative genevoise du 12 septembre 1985 (LPA; RS/GE E 5 10) sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d'annuler des droits et des obligations (al. 1 let. a), de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits (al. 1 let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (al. 1 let. c). Sont également considérées comme décisions les décisions incidentes, les décisions sur réclamation ou recours, les décisions prises en matière de révision et d'interprétation (al. 2). Lorsqu'une autorité rejette ou invoque des prétentions à faire valoir par voie d'action judiciaire, sa déclaration n'est pas considérée comme une décision (al. 3). Lorsqu'une autorité mise en demeure refuse sans droit de statuer ou tarde à se prononcer, son silence est assimilé à une décision (al. 4). Cette disposition définit la notion de décision de la même manière que l'art. 5 al. 1 de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA; RS 172.021).  
La notion de décision implique donc un rapport juridique obligatoire et contraignant entre l'autorité et l'administré. En revanche, de simples déclarations, comme des opinions, des communications, des prises de position, des recommandations et des renseignements n'entrent pas dans la catégorie des décisions, faute de caractère juridique contraignant (arrêts 1C_82/2022 du 1 er décembre 2022 consid. 2.1.1; 8D_1/2011 et 8D_2/2011 du 2 mars 2012 consid. 4 in SJ 2013 I 18).  
Pour déterminer s'il y a ou non décision, il y a lieu de considérer les caractéristiques matérielles de l'acte. Un acte peut ainsi être qualifié de décision (matérielle), si, par son contenu, il en a le caractère, même s'il n'est pas intitulé comme tel et ne présente pas certains éléments formels typiques d'une décision, telle l'indication des voies de droit (ATF 143 III 162 consid. 2.2.1 et les références). 
 
5.3. En l'occurrence, dans son courrier du 21 juillet 1993, le Département s'est déclaré "disposé" à "accorder une prolongation des délais pour les autorisations" et que "les nouveaux délais seraient définis, d'entente avec les autorités communales", dès que le Département "aurait statué sur la requête DD 92'383 qui faisait l'objet d'une enquête publique en dérogation de destination".  
La cour cantonale a considéré que le Département s'était déclaré "disposé" à une prolongation des autorisations, tout en exposant très clairement que de nouveaux délais seraient définis ultérieurement, dès que le Département aurait statué sur la requête en autorisation de construire DD 92'383, d'entente avec les autorités communales; ainsi, cette missive n'admettait pas, sur le principe, le renouvellement des autorisations demandées; elle contenait une simple information lui précisant que de nouvelles échéances pourraient être fixées ultérieurement, sans viser des effets juridiques; elle n'avait donc en aucun cas réglé la situation concrète de la recourante, de manière impérative et contraignante, et n'avait pas tendu à modifier sa situation juridique, ni à constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits; elle n'était donc pas une décision partielle qui admettait le renouvellement des autorisations d'exploiter une gravière. 
Par ailleurs, la Cour de justice a rappelé que toute exploitation d'une gravière était subordonnée à l'octroi d'une autorisation d'exploiter, laquelle porte notamment sur la phase de remise en état des lieux et doit mentionner la durée maximum de l'exploitation, de sorte qu'il n'était pas plausible que le Département ait pu admettre le principe d'un renouvellement sans fixer les délais requis; de plus, l'autorisation délivrée le 15 janvier 1996 avait été annulée par décision de la commission de recours du 3 septembre 1996, annulation confirmée en dernier lieu par le Tribunal fédéral le 13 février 1998; par ailleurs, le courrier du 21 juillet 1993 répondait à celui de la recourante du 29 juin 1993, sollicitant la prolongation des autorisations délivrées en 1983 et 1986, pour une durée de cinq ans, "soit jusqu'en 1999"; une éventuelle prolongation serait donc de toute façon arrivée à échéance cette année-là; partant, la poursuite de l'exploitation de la gravière reposait sur une simple tolérance de la part du Département, qui n'avait pas renouvelé l'autorisation de 1983; il en allait de même de l'activité de recyclage de déchets de chantiers sur les mêmes parcelles, qui n'avait jamais été formellement autorisée. 
 
5.4. Face à ce raisonnement détaillé, la recourante se contente de reprocher, de façon appellatoire, à la Cour de justice de ne pas avoir considéré que le courrier du 21 juillet 1993 était une décision lui permettant d'exploiter ses installations au-delà de l'échéance de l'exploitation de la gravière. Partant elle ne répond pas à l'argumentation de la cour cantonale qui a exposé pourquoi cette lettre ne pouvait être qualifiée de décision et ne démontre pas en quoi le raisonnement des juges cantonaux serait arbitraire.  
En effet, ce courrier ne règle pas une situation concrète de façon impérative mais vise à informer l'intéressée des conditions posées à la suite de sa demande de prolongation provisoire des autorisations qui lui avaient été précédemment délivrées: il y est énoncé les conditions préalables qui devaient être remplies avant que le Département n'entre en matière sur l'octroi de la prolongation, soit le fait que les délais soient définis d'entente avec les autorités communales et le fait que le Département ait statué sur la requête n° 92'383. À cet égard, la commune d'Avusy s'est opposée à la prolongation des délais en question et la décision du Département dans le dossier n° 92'383, délivrant une autorisation de construire à la requérante, a été définitivement annulée par le Tribunal fédéral le 13 février 1998. Ainsi, les deux conditions fixées par le Département pour entrer en matière sur la prolongation des installations n'ont jamais été remplies. 
Par conséquent, le grief d'application arbitraire de l'art. 4 LPA doit être écarté dans la faible mesure de sa recevabilité. 
 
6.  
La recourante fait valoir, pour la première fois devant le Tribunal fédéral, que l'intérêt public de l'activité de recyclage de déchets de chantier de A.________ serait protégé par l'art. 73 Cst. et devrait être sauvegardé à travers une coordination entre le début de sa future activité à Vernier et la fin de son activité sur la commune d'Avusy. 
 
6.1. La LTF ne prévoit aucune disposition quant aux arguments juridiques que la partie recourante peut faire valoir devant le Tribunal fédéral. Elle connaît certes l'épuisement des instances (cf. art. 86 LTF pour le recours en matière de droit public), mais ne prévoit formellement aucune règle quant à l'épuisement des griefs. Cela signifie donc que, dans la mesure où un nouveau grief se fonde sur l'état de fait retenu et qu'il n'augmente ni ne modifie les conclusions, il devrait en principe être recevable. Cette règle vaut en principe toujours lorsqu'il s'agit de droit fédéral (ATF 142 I 155 consid. 4.4.3).  
 
6.2. La recourante se prévaut de l'intérêt public de l'activité de recyclage des déchets de chantier, en affirmant que "l'industrie du béton et du ciment est responsable de 8 % des émissions de CO2 dans le monde [...]", que "l'activité de recyclage de déchets de chantier [...] permet d'éviter aux déchets de chantier d'être simplement enfouis dans des décharges, souvent à des centaines de kilomètres du lieu de leur prise en charge, et au sable que contient ces déchets d'être utilisés) ". Ces éléments de fait sont des pseudo nova, soit des faits qui existaient déjà avant l'arrêt cantonal. Les pseudo nova ne peuvent être admis que s'ils ne pouvaient pas être invoqués antérieurement, bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise. On ne discerne pas en l'espèce ce qui empêchait la recourante de faire valoir ces éléments auparavant. Ces faits sont donc irrecevables dans le cadre du présent recours (art. 99 al. 1 LTF).  
Au demeurant, si la recourante affirme qu'il faut prendre en compte l'intérêt public au recyclage des déchets, elle ne critique pas la pesée des intérêts opérée par la cour cantonale et ne prétend pas que, dans le cas d'espèce, l'intérêt public au recyclage des déchets de chantier l'emporterait face à celui à la préservation des zones agricoles et face à la distinction fondamentale entre espace bâti et non bâti. On peine dès lors à voir ce que tente d'en tirer la recourante. 
Le grief doit donc être écarté dans la faible mesure de sa recevabilité. 
 
7.  
La recourante demande enfin que les différents délais fixés par le Département et prolongés de deux ans par le TAPI soient encore prolongés, le temps d'obtenir une autorisation de construire et d'exploiter en force sur le nouveau site de Vernier. Elle se plaint d'une violation du principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.). 
 
7.1. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité); en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts; ATF 149 I 49 consid. 5.1; 146 I 157 consid. 5.4 et les arrêts cités).  
Un ordre de démolir une construction édifiée sans droit et pour laquelle une autorisation ne peut être accordée n'est en soi pas contraire au principe de la proportionnalité. Dans le cadre du principe de la proportionnalité au sens étroit, l'autorité peut renoncer à une telle mesure si les dérogations à la règle sont mineures, si l'intérêt public lésé n'est pas de nature à justifier le dommage que la démolition causerait au maître de l'ouvrage, si celui-ci pouvait de bonne foi se croire autorisé à construire ou encore s'il y a des chances sérieuses de faire reconnaître la construction comme conforme au droit (ATF 132 II 21 consid. 6; 123 II 248 consid. 3a/bb). Celui qui place l'autorité devant un fait accompli doit s'attendre à ce que celle-ci se préoccupe plus de rétablir une situation conforme au droit que d'éviter les inconvénients qui en découlent pour lui (ATF 123 II 248 consid. 4a; 111 Ib 213 consid. 6b). 
S'il peut certes être tenu compte de situations exceptionnelles par le biais de solutions spécifiques, notamment par la fixation d'un délai de remise en état plus long, une utilisation illégale, qui contrevient au principe fondamental en matière d'aménagement du territoire de la séparation du territoire bâti et non bâti, ne doit pas se poursuivre indéfiniment sur la base du simple écoulement du temps (ATF 147 II 309 consid. 5.5 et 5.6). 
 
7.2. En l'espèce, aucune des conditions permettant de renoncer à un ordre de démolition ne peut être considérée comme remplie. En effet, les dérogations à la règle ne peuvent en aucun cas être qualifiées de mineures dès lors que A.________ exploite sans autorisation des installations sur un terrain non conforme à son affectation, en violation de la LAT. Par ailleurs, il n'y a pas de chances sérieuses de faire reconnaître la construction comme conforme au droit, vu le refus du peuple genevois en votation populaire du 29 novembre 2020 de modifier la zone agricole concernée. Enfin, la bonne foi de la recourante ne saurait être invoquée comme motif prépondérant, car la volonté des autorités cantonales de régulariser la situation par la voie de la planification ne peut pas être comprise comme l'assurance que la recourante pourrait continuer à long terme son activité. L'intéressée ne peut pas non plus se fonder sur le courrier du 21 juillet 1993 pour appuyer sa bonne foi (voir supra consid. 5). Au contraire, depuis 1998, elle a pu bénéficier d'une tolérance des autorités alors même que son activité ne bénéficiait d'aucune autorisation.  
Par ailleurs, la décision du 1 er octobre 2021 a prévu cinq échéances différentes pour l'arrêt de la reprise des matériaux, puis le traitement des matériaux bruts encore présents sur le site, puis la fin de l'évacuation des matériaux et le démantèlement des installations, puis la reconstitution des sols et la remise en culture, afin de permettre à la recourante de traiter et d'évacuer la quantité de matériaux stockés. Le TAPI a encore prolongé de deux ans tous les délais fixés dans l'échéancier de la décision du 1 er octobre 2021, prenant en compte l'intérêt public au recyclage des déchets ainsi que l'intérêt privé de la recourante à ne pas devoir cesser définitivement son activité. Le fait que l'autorisation sollicitée sur la commune de Vernier pouvait ne pas être accordée ou faire l'objet de recours a aussi été pris en compte par l'instance précédente. La Cour de justice a toutefois jugé que la tolérance dont avait bénéficié la recourante depuis près d'un quart de siècle ne saurait perdurer jusqu'à ce que d'autres parcelles soient trouvées et aménagées, alors qu'il était difficile de proposer rapidement des terrains car ceux de la FTI étaient généralement attribués pour plusieurs décennies. La pesée des intérêts opérée par la cour cantonale respecte le principe de la proportionnalité, dans la mesure où les différentes échéances posées par le Département ainsi que la prolongation de tous les délais de deux ans sont l'expression d'un rapport raisonnable entre les différents intérêts en cause. Il a aussi été suffisamment tenu compte de la situation particulière du cas d'espèce. S'ajoute à cela que la recourante avait à l'origine sollicité des autorisations limitées dans le temps (à 1990, à 1994 puis à 1999).  
Partant, l'instance précédente n'a pas violé le principe de la proportionnalité en confirmant les échéances fixées par le TAPI et en considérant que le planning de remise en état ne saurait être reporté à une date indéfinie, ce d'autant moins que la recourante a bénéficié d'une longue tolérance de plus de 25 ans. 
 
8.  
Dans sa réplique, la recourante fait valoir que l'art. 25 al. 5 LAT, adopté le 29 septembre 2023 mais pas encore en vigueur (FF 2023 2488) devrait permettre de prolonger la tolérance dont elle a fait l'objet depuis 37 ans. Selon cette disposition, "le droit au rétablissement de la situation conforme au droit se prescrit après 30 ans. Le délai est respecté lorsque l'autorité compétente intervient pour la première fois avant la fin de ce délai. Il n'y a pas de prescription si des biens de police, en particulier l'ordre public, la tranquillité, la sécurité ou la santé publics, sont mis en péril". 
Ce grief est irrecevable dans la mesure où la révision de la LAT du 29 septembre 2023 n'est pas encore en vigueur. 
 
9.  
Il s'ensuit que le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité, ce qui rend sans objet la demande de retrait de l'effet suspensif. 
Les frais judiciaires sont mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité. 
 
2.  
La demande de retrait de l'effet suspensif est sans objet. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 francs, sont mis à la charge de la recourante. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires de la recourante et de la Commune d'Avusy, au Département du territoire et à la Cour de justice du canton de Genève (Chambre administrative) ainsi qu'à l'Office fédéral du développement territorial. 
 
 
Lausanne, le 31 mai 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Haag 
 
La Greffière : Tornay Schaller