9C_672/2023 19.06.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
9C_672/2023  
 
 
Arrêt du 19 juin 2024  
 
IIIe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Parrino, Président, 
Stadelmann et Moser-Szeless. 
Greffier : M. Cretton. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par M e Pierre-Yves Brandt, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue du Général-Guisan 8, 1800 Vevey, 
intimé. 
 
Objet 
Assurance-invalidité (évaluation de l'invalidité), 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 19 septembre 2023 (AI 245/17 - 247/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________, née en 1961, travaillait comme aide-infirmière. Arguant souffrir d'oedèmes aux membres inférieurs et de douleurs dorsales, qui l'empêchaient de travailler depuis le 20 février 2014, elle a sollicité des prestations de l'assurance-invalidité le 25 avril 2014. 
L'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud (ci-après: l'office AI) a notamment recueilli les avis des médecins traitants (singulièrement du docteur B.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie [rapport du 9 juillet 2014]). Il a en outre confié une expertise au Centre d'Expertise Médicale (CEMed), de Nyon. Les docteurs C.________, spécialiste en médecine interne générale, D.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, ainsi que E.________, spécialiste en rhumatologie, ont fait état de cervicalgies chroniques et d'un lymphoedème des membres inférieurs prohibant l'exercice de l'activité habituelle mais autorisant la pratique d'une activité adaptée à 100 %. Entre autres diagnostics, ils ont également évoqué des autres troubles anxieux mixtes, une dysthymie et un syndrome douloureux somatoforme persistant sans effet sur la capacité de travail (rapport du 7 mars 2016). 
Le docteur F.________, médecin du Service médical régional de l'office AI (ci-après: le SMR), a considéré que les conclusions des experts pouvaient être suivies (rapport du 24 mars 2016). Les médecins traitants se sont prononcés sur le rapport du CEMed et sur l'évolution de la situation (cf. en particulier les rapports du docteur B.________ des 18 mai et 4 octobre 2016). Ces avis n'ont pas influé sur la position du docteur F.________ (rapports des 31 mai et 16 août 2016, ainsi que 9 janvier 2017). 
Par décision du 12 juin 2017, l'office AI a nié le droit de l'assurée à des prestations. 
 
B.  
Saisie d'un recours de A.________ contre cette décision, la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud l'a rejeté par arrêt du 19 septembre 2023. 
 
C.  
A.________ forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt. Elle en demande principalement la réforme, en ce sens qu'une rente entière (fondée sur un taux d'invalidité de 70 % au moins) lui est octroyée à compter du 1er février 2015. Elle en sollicite subsidiairement l'annulation et conclut au renvoi de la cause à la cour cantonale pour instruction complémentaire et nouvelle décision dans le sens des considérants. 
L'office AI considère que les éléments développés ne sont pas de nature à remettre en cause l'arrêt cantonal. L'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours en matière de droit public (au sens des art. 82 ss LTF) peut être formé pour violation du droit (circonscrit par les art. 95 et 96 LTF). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est limité ni par l'argumentation de la partie recourante ni par la motivation de l'autorité précédente. Il statue sur la base des faits établis par cette dernière (art. 105 al. 1 LTF). Cependant, il peut rectifier les faits ou les compléter d'office s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Le recourant ne peut critiquer les faits que s'ils ont été constatés de façon manifestement inexacte ou contraire au droit et si la correction d'un tel vice peut influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). 
 
2.  
Dans un grief de nature formelle qu'il convient d'examiner au préalable (cf. ATF 127 V 431 consid. 3d/aa), la recourante assimile sa demande (déposée en première instance) d'auditionner ses médecins traitants (pour qu'ils s'expliquent sur leurs rapports respectifs) à une demande de débats publics garantis par les art. 30 al. 3 Cst. et 6 par. 1 CEDH (cf. ATF 128 V 288 consid. 2). Elle reproche au tribunal cantonal de ne pas y avoir donné suite, alors que sa requête en remplissait toutes les conditions. Cet argument est cependant mal fondé. Une demande d'organisation de débats publics doit effectivement être formulée de manière claire et sans équivoque. Or la requête formulée en l'espèce avait pour seul but clairement intelligible d'auditionner des témoins, soit les médecins traitants. Il s'agit incontestablement d'une demande d'administration de preuve qui, selon la jurisprudence, ne suffit pas à fonder l'obligation de l'autorité judiciaire de première instance d'organiser des débats publics (cf. ATF 122 V 47 consid. 3a; arrêt 8C_390/2012 du 10 octobre 2012 consid. 2.3). 
 
3.  
Est litigieux sur le fond le droit de la recourante à une rente entière de l'assurance-invalidité depuis le 1er février 2015. Compte tenu des motifs du recours, il s'agit substantiellement d'examiner si, en appréciant l'état de santé de l'assurée ainsi que ses effets sur la capacité de travail, les premiers juges ont fait preuve d'arbitraire ou violé leur devoir d'instruction. 
 
4.  
 
4.1. Dans le cadre du "développement continu de l'AI", la LAI, le RAI et la LPGA - notamment - ont été modifiés avec effet au 1er janvier 2022 (RO 2021 705; FF 2017 2535). Compte tenu cependant du principe de droit intertemporel prescrivant l'application des dispositions légales qui étaient en vigueur lorsque les faits juridiquement déterminants se sont produits (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1), le droit applicable reste, en l'occurrence, celui qui était en vigueur jusqu'au 31 décembre 2021 dès lors que la décision administrative a été rendue avant cette date.  
 
4.2. L'arrêt attaqué cite les normes et la jurisprudence nécessaires à la résolution du cas, singulièrement celles relatives à la notion d'invalidité (art. 6-8 LPGA en lien avec l'art. 4 al. 1 LAI), à son évaluation (art. 16 LPGA), aux conditions du droit à la rente (art. 28 al. 1 LAI), au rôle des médecins dans l'assurance-invalidité (ATF 132 V 93 consid. 4), au principe de la libre appréciation des preuves (art. 61 let. c LPGA), à la valeur probante des rapports médicaux (ATF 134 V 231 consid. 5.1), ainsi qu'à l'évaluation du caractère invalidant des troubles psychiques (ATF 143 V 418; 409; 141 V 281). Il suffit d'y renvoyer.  
 
4.3. Le Tribunal fédéral annule une décision au titre de l'arbitraire dans l'appréciation des preuves ou la constatation des faits uniquement si la décision litigieuse est manifestement insoutenable, si elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, si elle viole gravement une disposition légale ou un principe juridique indiscuté ou si elle heurte de façon choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Non seulement la motivation, mais aussi le résultat de la décision doivent être arbitraires. L'existence d'une autre solution, même préférable à celle retenue, ne saurait suffire (cf. ATF 140 III 264 consid. 2.3; 139 III 334 consid. 3.2.5 et les références).  
 
5.  
 
5.1. Le tribunal cantonal a considéré que les nombreux diagnostics somatiques posés par les médecins traitants et ceux du CEMed, ainsi que les limitations fonctionnelles qui en résultaient, ne faisaient pas obstacle à l'exercice d'une activité adaptée à plein temps. Il a aussi indiqué de quels troubles psychiques souffrait la recourante selon les experts. Il a en particulier relevé que, contrairement aux critiques émises par le docteur B.________, ces derniers avaient tenu compte des épisodes dépressifs survenus en 1991 et 1994 dans le cadre d'un conflit conjugal, ainsi que de l'enfance chaotique de l'assurée et de sa situation en relation avec l'éducation de ses enfants. Il a précisé, notamment, que dans ses deux rapports établis en 2016, le psychiatre traitant avait admis une évolution sensiblement favorable, au contraire du docteur G.________, spécialiste en médecine interne générale, qui faisait état d'une évolution globalement défavorable depuis juillet 2014. La juridiction cantonale a cependant écarté l'avis du docteur G.________ au motif qu'il n'était pas psychiatre et que des rapports radiographiques de juillet 2018 avaient objectivé des atteintes ne semblant pas faire obstacle à l'exercice d'une activité adaptée sur le plan somatique. Elle a considéré que, dans ces circonstances, il n'existait pas de raisons de s'écarter des conclusions du rapport d'expertise, jugé probant, qui retenait une capacité totale de travail dans une activité adaptée.  
 
5.2. La recourante conteste que le docteur B.________ ait admis une évolution favorable. Elle reconnaît certes que, dans ses rapports des 18 mai et 4 octobre 2016, son psychiatre traitant a fait état d'une telle évolution. Elle précise toutefois que cette évolution ne concernait que le tableau dépressif en lien avec la mise à distance de l'environnement professionnel alors que le tableau anxieux et algique s'était péjoré. Elle indique en outre que depuis l'établissement de son rapport du 9 juillet 2014, son médecin a toujours diagnostiqué un trouble mixte de la personnalité à traits paranoïaques et attesté une incapacité totale de travail dans toute activité depuis le 15 février 2014. Elle considère que ces éléments n'ont pas été pris en compte par la juridiction cantonale. Elle remet par ailleurs en cause la valeur probante du rapport d'expertise dès lors qu'il consisterait en la juxtaposition de l'avis de chaque expert et non pas en une analyse interdisciplinaire des répercussions des affections somatiques sur les affections psychiques et réciproquement. Elle reproche également aux premiers juges de ne pas avoir répondu aux critiques du docteur B.________ contre le rapport d'expertise. Selon elle, il existe dès lors d'importantes divergences entre l'avis des experts et les avis (détaillés et complets) des médecins traitants, en particulier de son psychiatre traitant, qui ne pouvaient être écartés sans autres examens. Elle soutient que ces éléments démontrent une appréciation arbitraire des preuves ainsi qu'une violation de la maxime inquisitoire par le tribunal cantonal.  
 
6.  
 
6.1. La violation de la maxime inquisitoire (ou du devoir d'administrer les preuves nécessaires; cf. ATF 139 V 176 consid. 5.2 et les références) dans le sens invoqué par la recourante est une question qui n'a pas de portée propre par rapport au grief tiré d'une mauvaise appréciation des preuves (cf. arrêt 8C_15/2009 du 11 janvier 2010 consid. 3.2, in SVR 2010 IV n° 42 p. 132), de sorte que ces griefs seront traités conjointement.  
 
6.2. Il est vrai que, comme le soutient l'assurée, dans ses rapports des 18 mai et 4 octobre 2016, le docteur B.________ n'a pas retenu une évolution favorable de la situation générale mais seulement une évolution favorable de la pathologie dépressive (en lien avec la mise à distance de l'environnement professionnel), qu'il a fait état d'une péjoration du tableau anxieux et algique (s'accompagnant d'un changement dans l'expression du trouble somatoforme avec un glissement d'un trouble hypocondriaque vers un trouble de type somatisation), qu'il a toujours diagnostiqué depuis son rapport du 9 juillet 2014 un trouble de la personnalité apparu à l'adolescence et qu'il a attesté une incapacité de travail durable depuis le 14 février 2014. Ces différents éléments ont effectivement été ignorés ou mal interprétés par la juridiction cantonale. Il est ainsi erroné que, comme le soutiennent les premiers juges, l'avis du docteur G.________ diverge de celui du psychiatre traitant. Si, durant la procédure administrative, le docteur G.________ s'est pour l'essentiel prononcé sur l'état de santé somatique de sa patiente, se limitant sur le plan psychiatrique avant tout à renvoyer aux observations et conclusions du docteur B.________ (rapports des 15 juillet 2014 ainsi que 18 juillet et 25 novembre 2016), il a non seulement fait état durant la procédure cantonale de recours d'une évolution défavorable de la situation somatique avec une augmentation des limitations entravant la capacité de travail, mais aussi d'une péjoration des symptômes psychiques mis en évidence par le psychiatre traitant et d'un accroissement des effets des symptômes physiques dans la sphère mentale et psychique (rapports des 18 octobre et 22 décembre 2017, 9 août et 28 novembre 2019, ainsi que 19 août 2020).  
Dans ces circonstances, l'appréciation confuse et extrêmement lapidaire de certains faits par les premiers juges est manifestement insoutenable. Elle ne suffit en tout cas pas pour démontrer que l'avis des médecins traitants ne remet pas en question les conclusions des experts sur le plan psychiatrique, même s'il ressort de la partie "en fait" de l'arrêt cantonal que chaque avis des médecins traitants a été apprécié, et écarté, par les médecins du CEMed ou du SMR. En effet, les experts ne se sont notamment pas prononcés sur le trouble dépressif récurrent diagnostiqué par le docteur B.________. Ils se sont limités à analyser et à décrire l'humeur de la recourante au moment de leurs examens pour en déduire une dysthymie et exclure un quelconque épisode dépressif actuel sans tenir compte des épisodes antérieurs attestés par le psychiatre traitant. Ils n'ont pas davantage pris position sur le trouble de la personnalité à traits paranoïaques existant depuis l'adolescence selon le docteur B.________. Le docteur G.________ a en outre plusieurs fois attiré l'attention sur l'incidence de ce trouble sur le comportement de sa patiente mais les premiers juges n'y ont fait aucune allusion et n'en ont pas tenu compte. Les médecins du SMR ne sont par ailleurs par convaincants et leurs avis ne permettent pas de nier toute pertinence aux avis des médecins traitants sur le plan psychiatrique en particulier. Ils répondent effectivement aux critiques successives des médecins traitants d'une façon très succincte, essentiellement par des généralités (concernant par exemple la valeur probante du rapport d'expertise) ou par des affirmations catégoriques non motivées (comme le fait qu'un trouble dépressif sévère est incompatible avec la conduite automobile), ou en ignorant totalement certains faits pourtant dûment allégués et figurant au dossier (tels que l'attestation par le psychiatre traitant d'un trouble de la personnalité existant depuis l'adolescence et influençant la capacité de travail). 
 
6.3. Compte tenu de ces éléments et de la date d'établissement du rapport d'expertise (le 7 mars 2016), la juridiction cantonale ne pouvait pas exclure une évolution défavorable de la situation sur le plan psychique. Par conséquent, les griefs de l'assurée sont bien fondés. Les premiers juges ont bien procédé à une appréciation arbitraire des preuves et violé la maxime inquisitoire. Le recours doit être admis. Il convient dès lors d'annuler l'arrêt attaqué ainsi que la décision administrative litigieuse et de renvoyer la cause à l'office intimé pour qu'il complète l'instruction sur le plan psychique et rende une nouvelle décision.  
 
7.  
Vu l'issue du litige, les frais judiciaires et les dépens doivent être mis à la charge de l'office intimé (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 LTF). La cause est renvoyée au tribunal cantonal pour nouvelle décision sur les frais et les dépens de la procédure antérieure (art. 67 et 68 al. 5 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour des assurances sociales, du 19 septembre 2023 et la décision de l'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud du 12 juin 2017 sont annulés. La cause est renvoyée à l'intimé pour qu'il procède conformément aux considérants. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimé. 
 
3.  
L'intimé versera à la recourante la somme de 2'800 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
4.  
La cause est renvoyée au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour des assurances sociales, pour nouvelle décision sur les frais et les dépens de la procédure antérieure. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales. 
 
 
Lucerne, le 19 juin 2024 
 
Au nom de la IIIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Parrino 
 
Le Greffier : Cretton