6B_863/2023 05.02.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_863/2023  
 
 
Arrêt du 5 février 2024  
 
Ire Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux 
Denys, Juge présidant, Muschietti et van de Graaf. 
Greffière : Mme Meriboute. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________, 
intimé, 
 
Parquet général du canton de Berne, 
Nordring 8, case postale, 3001 Berne. 
 
Objet 
Violation de l'art. 1b LStup et l'art. 2 al. 1 let. b LPTh
 
recours contre le jugement de la Cour suprême du canton de Berne, 2e Chambre pénale, du 25 mai 2023 (SK 22 432-433). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 17 mars 2022, rectifié le 22 juin 2022, le Tribunal régional Jura bernois-Seeland a reconnu B.________ coupable d'acte d'ordre sexuel avec un enfant, de contrainte, de brigandage, d'escroquerie, de menaces, de lésions corporelles par négligence et d'infraction à la loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux (LPTh; RS 812.21), infraction commise à réitérées reprises entre le 1er janvier 2015 et le 29 avril 2019, à U.________, V.________ et ailleurs en Suisse. Il l'a condamné à une peine privative de liberté de 16 mois, la détention provisoire de 127 jours a été imputée à raison de la totalité sur la peine privative de liberté prononcée. Le sursis à l'exécution de la peine privative de liberté a été accordé, le délai d'épreuve ayant été fixé à 3 ans. Il l'a également condamné à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à 30 fr. l'unité, soit un total de 1'800 fr., en tant que peine complémentaire à celle prononcée par jugement du Ministère public du canton de Fribourg du 7 mars 2019. Il a été prononcé une expulsion d'une durée de 6 ans. 
 
B.  
Par jugement du 25 mai 2023, la 2e Chambre pénale de la Cour suprême du canton de Berne a partiellement admis l'appel de B.________. Elle l'a libéré d'infraction à la loi sur les produits thérapeutiques s'agissant de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2018. En revanche, elle l'a condamné pour infraction à l'art. 86 al. 1 let. a LPTh, commise à réitérées reprises entre le 1er janvier 2019 et le 29 avril 2019. Elle l'a également libéré des infractions de menaces et d'escroquerie. Elle l'a condamné à une peine privative de liberté de 13 mois, la détention provisoire de 127 jours est imputée sur la peine privative de liberté prononcée, le sursis à l'exécution de la peine pécuniaire est accordé, le délai d'épreuve étant fixé à 3 ans. Elle l'a condamné à une peine pécuniaire complémentaire nulle s'agissant de l'infraction d'acte d'ordre sexuel avec un enfant, la peine de base entrée en force atteignant déjà le plafond légal de 180 jours-amende. Elle a prononcé son expulsion de Suisse pour une durée de 6 ans et ordonné l'inscription dans le Système d'information Schengen (SIS). 
 
La cour cantonale a retenu les faits suivants en relation avec la LTPh. 
Entre le 1er janvier 2015 et le 29 avril 2019, à U.________ et à V.________ et ailleurs en Suisse, B.________ s'est procuré une centaine de bouteilles de Makatussin® Comp, sirop contre la toux ou encore du Prometh (Actavis) contenant de la codéine, à un prix indéterminé, dont il en a par la suite fait la publicité sur Internet, en particulier au travers de son compte C.________. Le prénommé a par ailleurs personnellement consommé ces produits, mais en a revendu l'essentiel. Il a vendu finalement au moins 100 bouteilles à 60 fr. et réalisé un chiffre d'affaires d'au minimum 6'000 francs. En particulier, pour la période après le 1er janvier 2019, il a vendu 21 bouteilles de codéine pour un chiffre d'affaires de 1'260 francs. 
 
C.  
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement cantonal du 25 mai 2023. Il conclut, principalement à la réforme du jugement en ce sens qu'en lieu et place de la condamnation pour infraction à l'art. 86 al. 1 let. a LPTh, commise à réitérées reprises entre le 1er janvier 2019 et le 29 avril 2019, B.________ est condamné pour délit à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes (art. 19 al. 1 let. b, d et f LStup) commis entre le 1er janvier 2015 et 29 avril 2019, notamment à U.________ et à V.________. Il est condamné à une peine à dire de justice. Subsidiairement, il conclut à l'annulation du jugement et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. Aux termes de l'art. 81 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière pénale quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a) et a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée, soit en particulier les autorités administratives participant à la poursuite et au jugement des affaires pénales administratives (al. 7).  
 
1.2. A.________ constitue une autorité administrative participant à la poursuite et au jugement des affaires pénales administratives selon la loi fédérale du 22 mars 1974 sur le droit pénal administratif, au sens de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 7 LTF (cf. art. 90 al. 1 LPTh).  
 
1.3. Conformément à l'art. 90 al. 3 LPTh, lorsque la poursuite pénale relève de la compétence d'un canton, l'institut peut, dans la procédure, bénéficier des droits de la partie plaignante. Le ministère public informe l'institut de l'ouverture d'une procédure préliminaire.  
A.________ se plaint d'avoir été privé de la possibilité de prendre part à la procédure devant la cour cantonale. Il indique qu'il a été informé de la procédure pénale ouverte contre l'intimé uniquement par la notification du jugement attaqué. Ainsi, le recourant a été privé de la possibilité de prendre part à la procédure devant l'autorité précédente (art. 81 al. 1 let. a LTF). 
Le recours a été signé par la cheffe de la Division pénale de A.________ et le responsable de l'enquête. L'art. 72a al. 1 let. d LPTh prévoit que le conseil de l'institut édicte le règlement d'organisation de l'institut. Conformément au règlement sur l'organisation de A.________ du 1er janvier 2019, les membres de la direction gèrent leur secteur de manière autonome et prennent les décisions nécessaires dans leur domaine (art. 13 al. 1). Sur la base de l'art. 13 al. 1 et 15 du règlement, la cheffe du secteur juridique a établi le règlement interne du secteur juridique du 1er avril 2023. L'annexe 5 dudit règlement prévoit la double signature pour les dépôts de recours devant le Tribunal fédéral par la cheffe de la Division pénale et le responsable d'enquête. Partant, les signataires avaient qualité pour interjeter recours pour A.________. 
 
1.4. A.________ a pour mission de veiller à une application uniforme de la LPTh dans toute la Suisse (Message du 7 novembre 2012 concernant la modification de la loi sur les produits thérapeutiques, FF 2013 1, p. 112-113). En tant que l'intimé a été condamné pour infraction à l'art. 86 al. 1 let. a LPTh, commise à réitérées reprises entre le 1er janvier 2019 et le 29 avril 2019, le recourant a un intérêt juridique dans la mesure où il invoque que la LPTh a été appliquée à tort à la place de la LStup durant cette période et conclut subsidiairement à l'annulation du jugement attaqué. En revanche, pour ce qui est de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2018, l'intimé a été libéré de toute infraction à la LPTh, ce que le recourant ne conteste pas. Le recourant n'a pas pour mission de veiller à l'application uniforme de la LStup, de sorte que son recours n'est pas recevable s'agissant de cette première période faute d'intérêt juridique.  
 
2.  
Le recourant invoque une violation de l'art. 1b LStup et l'art. 2 al. 1 let. b LPTh
 
2.1. L'art. 1 LStup dispose que cette loi a pour but notamment de préserver la sécurité et l'ordre publics des dangers émanant du commerce et de la consommation de stupéfiants et de substances psychotropes (let. d).  
Aux termes de l'art. 1b LStup, la LPTh s'applique aux stupéfiants utilisés comme produits thérapeutiques. La LStup est applicable si la LPTh ne prévoit pas de réglementation ou que sa réglementation est moins étendue. 
 
2.2. L'art. 1 LPTh dispose que cette loi, en vue de protéger la santé de l'être humain et des animaux, vise à garantir la mise sur le marché de produits thérapeutiques de qualité, sûrs et efficaces (al. 1). En outre, elle vise à protéger les consommateurs de produits thérapeutiques contre la tromperie (al. 2 let. a), à contribuer à ce que les produits thérapeutiques mis sur le marché soient utilisés conformément à leur destination et avec modération (al. 2 let. b) et à contribuer à ce que l'approvisionnement en produits thérapeutiques, y compris l'information et le conseil spécialisés nécessaires, soit sûr et ordonné dans tout le pays (al. 2 let. c).  
 
2.3. Aux termes de l'art. 2 al. 1 let. b LPTh, cette loi s'applique aux stupéfiants visés par la LStup lorsqu'ils sont utilisés comme produits thérapeutiques.  
 
2.4. Selon l'art. 86 al. 1 let. a LPTh, dans sa teneur jusqu'au 31 décembre 2018, est passible de l'emprisonnement ou d'une amende de 200'000 fr. au plus, à moins qu'il n'ait commis une infraction plus grave au sens du CP ou de la LStup, quiconque met intentionnellement en danger la santé d'êtres humains du fait qu'il néglige son devoir de diligence lorsqu'il effectue une opération en rapport avec des produits thérapeutiques.  
Dans sa nouvelle teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2019, l'art. 86 al. 1 let. a LPTh punit d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire quiconque, intentionnellement, fabrique, met sur le marché, utilise, prescrit, importe ou exporte des médicaments ou en fait le commerce à l'étranger sans l'autorisation nécessaire, en enfreignant les exigences et conditions liés à l'autorisation obtenue ou en enfreignant les devoirs de diligence visés aux art. 3, 7, 21, 22, 26, 29 et 42 LPTh. 
 
2.5. La cour cantonale a retenu que l'intimé devait être libéré de la prévention d'infraction à la LPTh en ce qui concerne les faits commis entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2018. Elle a retenu que le texte de l'art. 86 al. 1 aLPTh en vigueur à cette période était plus restrictif, cette norme était conçue comme une infraction de mise en danger concrète et non abstraite. Les faits ne suffisaient pas pour considérer qu'il y avait eu une mise en danger concrète des consommateurs auxquels l'intimé avait vendu de la codéine. Ces faits permettaient encore moins d'établir, sur le plan subjectif, que l'intimé aurait intentionnellement ou par négligence mis concrètement des personnes en danger.  
Pour les faits commis après le 1er janvier 2019, la cour cantonale a retenu que l'intimé avait vendu à des tiers 21 bouteilles de codéine - qui est un médicament au sens de l'art. 4 al. 1 en lien avec l'art. 2 al. 1 let. a LPTh - pour un chiffre d'affaires de 1'260 francs. Les éléments constitutifs objectifs de l'infraction à l'art. 86 al. 1 let. a LPTh étaient réalisés. Subjectivement, l'intimé avait agi avec conscience et volonté, il savait qu'il vendait sans autorisation des médicaments. Il ne disposait d'aucune autorisation pour ce faire. Partant, elle a reconnu l'intimé coupable d'infraction à l'art. 86 al. 1 let. a LPTh, commise à réitérées reprises entre le 1er janvier 2019 et le 29 avril 2019, notamment à U.________ et à V.________. 
 
2.6.  
 
2.6.1. Le recourant soutient que la Makatussin® Comp, sirop contre la toux comme le Prometh (Actavis) contient de la dihydrocodéine qui figure à l'annexe 2 de l'ordonnance du 30 mai 2011 du Département fédéral de l'intérieur sur les tableaux des stupéfiants, des substances psychotropes, des précurseurs et des adjuvants chimiques (OTStup-DFI; RS 812.121.11). Il affirme qu'il s'agissait d'un stupéfiant et que seule la LStup était applicable, car l'intimé s'était livré à un trafic de sirops destinés à des fins récréatives, en dehors de tout traitement thérapeutique.  
 
2.6.2. En l'espèce, l'état de faits de la cour cantonale retient que les flacons de sirop contenaient de la codéine. Selon l'art. 1 al. 2 lit. a OTStup-DFI sont des stupéfiants, des substances psychotropes, des matières premières et des produits ayant un effet supposé similaire à celui des stupéfiants au sens des art. 2a et 7 LStup, les substances qui figurent dans les tableaux des annexes 1 à 6. Tant la codéine que la dihydrocodéine figurent dans le tableau général des substances soumises à contrôle des tableaux a à d de OTStup-DFI. Ces substances sont prévues dans le tableau a (annexe 2) de l'OTStup-DFI, soit celui des "substances soumises à contrôle soumises à toutes les mesures de contrôle" (cf. art. 3 al. 2 let. a de l'ordonnance sur le contrôle des stupéfiants [OCStup; RS 812.121.1]), sous réserve des préparations qui contiennent de la codéine/dihydrocodéine qui figurent dans le tableau c (annexe 4), soit celui des "substances soumises à contrôle pouvant en concentration réduite dans des préparations et pouvant être soustraites partiellement aux mesures de contrôle (art. 3 al. 2 LStup et art. 3 al. 2 let. c OCStup). Il s'agissait donc de stupéfiants.  
 
2.6.3. La LPTh est applicable aux stupéfiants lorsqu'ils sont utilisés comme produits thérapeutiques (cf. art. 2 al. 1 let. b LPTh). Le critère déterminant n'est pas l'aptitude potentielle du stupéfiant à être utilisé comme produit thérapeutique, mais l'utilisation effective de la substance pour diagnostiquer, prévenir ou traiter des maladies, des blessures et des handicaps (cf. THOMAS EICHENBERGER, in Basler Kommentar, Heilmittelgesetz, 2021, n° 21 ad art. 2 LPTh; GUSTAV HUG-BEELI, Kommentar zum Bundesgesetz über die Betäubungsmittel und die psychotropen Stoffe, 2016, n° 4 ad art. 1b LStup). Si un même stupéfiant est consommé sur la base d'une indication médicale, il relèvera de la notion de produit thérapeutique, alors que s'il est consommé sans une telle indication médicale, il sera classé parmi les stupéfiants (cf. THOMAS EICHENBERGER, op. cit., n° 21 ad art. 2 LPTh). A cet égard, le Tribunal fédéral a déjà statué sur la remise sans droit de médicaments figurant dans la liste des stupéfiants (cf. arrêts 6B_220/2015 du 10 février 2016 consid. 3; 6B_288/2016 du 13 mai 2016 consid. 2-3). Il a également exclu l'application de la LPTh dans le cadre de la remise de pentobarbital en vue d'un suicide (cf. arrêt 6B_646/2020 du 9 décembre 2021 consid. 1-2; GRODECKI/JEANNERET, Petit commentaire, LStup, 2022, n° 126 ad art. 19 LStup).  
 
2.6.4. La cour cantonale a appliqué la LPTh, or aucun élément de l'état de fait ne permet de conclure à une quelconque finalité thérapeutique du trafic de l'intimé. La cour cantonale n'a pas discuté de la question. Partant, la motivation cantonale n'est pas conforme à l'art. 112 LTF. Elle ne permet pas de comprendre pourquoi la cour cantonale a estimé que la LPTh trouvait application s'agissant des activités de l'intimé. Ainsi, le jugement entrepris doit être annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale afin qu'elle examine et explique en détail cette question. Dans l'hypothèse où la LPTh n'était pas applicable, il appartiendra à la cour cantonale d'examiner dans quelle mesure une appréciation juridique différente de celle retenue jusqu'ici pour la période entre le 1er janvier 2019 et le 29 avril 2019 est encore possible, en particulier sous l'angle de la LStup, au regard de l'acte d'accusation.  
 
3.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision. 
Le renvoi peut être ordonné sans demander des déterminations à la cour cantonale et aux intimés, car le Tribunal fédéral n'a pas traité la cause sur le fond et n'a pas préjugé de l'issue de la cause (ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2). 
Il est statué sans frais (art. 66 al. 4 LTF). 
Il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité à A.________ qui agit dans l'exercice de ses attributions officielles (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis, le jugement attaqué est annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision. 
 
2.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Parquet général du canton de Berne et à la Cour suprême du canton de Berne, 2e Chambre pénale. 
 
 
Lausanne, le 5 février 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Denys 
 
La Greffière : Meriboute