5A_355/2023 13.07.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
5A_355/2023  
 
 
Arrêt du 13 juillet 2023  
 
IIe Cour de droit civil  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Herrmann, Président, 
von Werdt et Bovey. 
Greffière : Mme de Poret Bortolaso. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par Me Manuel Bolivar, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________, 
représenté par Me Ana Krisafi Rexha, avocate, 
intimé, 
 
C.________, 
représentée par Me Marie Berger, avocate, 
 
Objet 
modification/révision d'un jugement ordonnant le retour d'un enfant, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile, du 25 avril 2023 (C/19633/2022, DAS/94/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
B.________ (1991), de nationalité suisse, et A.________ (1993), de nationalité péruvienne, sont les parents non mariés de l'enfant C.________, née fin 2020 en France. 
Le couple a vécu ensemble à V.________ (France) de septembre 2019 jusqu'en automne 2021, B.________ quittant ensuite progressivement le domicile familial. 
Fin décembre 2021, A.________ s'est installée à W.________ (Suisse) avec sa fille. 
B.________ réside désormais à V.________ avec sa nouvelle compagne et l'enfant de celle-ci. 
 
B.  
Par arrêt du 13 février 2023, statuant sur requête de B.________ du 7 octobre 2022, la Cour de justice du canton de Genève a ordonné le retour de l'enfant C.________ en France, sa mère se voyant ordonnée d'assurer ce retour dans les dix jours dès la notification de l'arrêt ou de laisser B.________ y emmener l'enfant. 
La cour cantonale a retenu l'illicéité du déplacement de la mineure de la France vers la Suisse dès lors que celui-ci avait été effectué sans l'accord du père, qui, selon le droit français ici applicable, était également détenteur de l'autorité parentale et ainsi, du droit de décider du lieu de résidence de l'enfant. Considérant qu'aucune des exceptions prévues par l'art. 13 CLaH80 n'étaient réalisées, l'autorité cantonale a jugé que le retour de la mineure pouvait être ordonné en application de l'art. 12 al. 1 CLaH80. 
L'arrêt a été notifié aux parties le 16 février 2023 et n'a pas été entrepris par la mère. 
 
C.  
 
C.a. Le 20 février 2023, A.________ a requis la modification de cet arrêt, subsidiairement sa révision, concluant à l'annulation de l'ordre de retour de l'enfant en France et au déboutement de B.________ de toutes ses conclusions sur ce point.  
Elle se prévalait d'un jugement rendu le 31 janvier 2023 par le Tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains (France) sur une requête formée le 28 novembre 2022 par B.________ tendant à l'attribution en sa faveur de l'autorité parentale exclusive, à la fixation de la résidence de la mineure chez lui et à l'octroi d'un droit de visite en faveur de la mère. Se déclarant compétente pour statuer sur celle-ci, la juridiction française ordonnait une enquête sociale et, à titre provisoire, dans l'attente du rapport d'expertise, fixait la résidence habituelle de l'enfant au domicile de sa mère avec un droit de visite en faveur de son père. 
B.________ a appelé de ce jugement. 
 
C.b. Par arrêt du 21 février 2023, la cour cantonale a suspendu le caractère exécutoire de son arrêt du 13 février 2023.  
 
C.c. Statuant le 25 avril 2023, la Cour de justice a rejeté la requête de A.________, lui a fixé un nouveau délai de 30 jours dès la réception de l'arrêt pour exécuter le retour de la mineure en France tel qu'ordonné par son arrêt du 13 février 2023 et a débouté les parties de toutes autres conclusions.  
 
D.  
Agissant le 15 mai 2023 par la voie du recours en matière civile au Tribunal fédéral, A.________ (ci-après: la recourante) conclut à ce que l'ordre de retour de l'enfant soit annulé et à ce que B.________ 
(ci-après: l'intimé) soit débouté de toutes ses conclusions en retour de l'enfant. 
La recourante sollicite le bénéfice de l'assistance judiciaire. 
Invités à se déterminer, la cour cantonale se réfère aux considérants de sa décision; l'intimé et la curatrice de l'enfant concluent au rejet du recours. La recourante n'a pas souhaité déposer d'observations complémentaires. Elle a produit ultérieurement le rapport d'enquête sociale ordonné par le Tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains. 
 
E.  
L'effet suspensif a été attribué au recours le 30 mai 2023. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
La décision rendue sur une requête de modification de la décision ordonnant le retour de l'enfant se fonde sur l'art. 13 al. 1 de la Loi fédérale sur l'enlèvement international d'enfants et les Conventions de La Haye sur la protection des enfants et des adultes (LF-EEA; RS 211.222.32). Elle peut être contestée aux mêmes conditions que la décision de retour elle-même (arrêt 5A_666/2017 du 27 septembre 2017 consid. 1); celles-ci sont ici réalisées (art. 72 al. 2 let. b ch. 1 LTF; art. 75 al. 2 let. a LTF avec l'art. 7 al. 1 LF-EEA; art. 76 al. 1 LTF; art. 90 LTF et 100 al. 2 let. c LTF). 
 
2.  
 
2.1. Le recours en matière civile peut notamment être interjeté pour violation du droit fédéral et du droit international (art. 95 let. a et b LTF). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Cela étant, eu égard à l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 2 LTF, il n'examine en principe que les griefs soulevés (ATF 142 III 364 consid. 2.4). Le recourant doit par conséquent discuter les motifs de la décision entreprise et indiquer précisément en quoi l'autorité précédente a méconnu le droit (ATF 142 I 99 consid. 1.7.1; 142 III 364 consid. 2.4). Le Tribunal fédéral ne connaît par ailleurs de la violation de droits fondamentaux que si un tel grief a été expressément invoqué et motivé de façon claire et détaillée ("principe d'allégation", art. 106 al. 2 LTF; ATF 147 I 73 consid. 2.1; 146 III 303 consid. 2; 142 III 364 consid. 2.4).  
 
2.2. Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté devant le Tribunal fédéral à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF). Le rapport d'enquête sociale produit par la recourante constitue une pièce nouvelle qui doit ainsi être écartée.  
 
3.  
La recourante reproche à la cour cantonale d'avoir mal appliqué l'art. 13 al. 1 LF-EEA
 
3.1. A l'instar des mesures de protection des mineurs en général, la décision ordonnant le retour d'un enfant doit pouvoir être reconsidérée, mais à des conditions très strictes (Message du 28 février 2007 concernant la mise en oeuvre des conventions sur l'enlèvement international d'enfants ainsi que l'approbation et la mise en oeuvre des conventions de La Haye en matière de protection des enfants et des adultes, FF 2007 2433, n. 6.12 [cité: Message]). L'art. 13 al. 1 LF-EEA prévoit ainsi que le tribunal peut, sur requête, modifier la décision ordonnant le retour de l'enfant lorsque les circonstances qui s'y opposent ont changé de manière déterminante.  
Cette reconsidération ne doit toutefois pas sortir des limites posées par la convention; en effet, les motifs qui pourraient s'opposer à un retour sont identiques à ceux qui valent dans toute autre procédure conduite en cas d'enlèvement international d'enfants. La nouvelle procédure se déroule ainsi conformément aux dispositions ad hoc de la CLaH80 et de la LF-EEA. Si le tribunal parvient à la conclusion que les faits nouveaux invoqués ne sont pas suffisamment pertinents pour justifier le refus du retour, il confirme sa première décision tout en adaptant les mesures d'exécution à la nouvelle situation. En revanche, s'il décide de refuser définitivement le retour, non seulement il suspend l'exécution de celui-ci mais encore annule la décision de retour en tant que telle (arrêt 5A_847/2012 du 17 décembre 2012 consid. 2; Message, ibid.).  
 
3.2. La cour cantonale a d'abord rappelé qu'elle avait ordonné le retour de l'enfant le 13 février 2023, en retenant que sa mère l'avait déplacée illicitement en Suisse et qu'aucune des exceptions prévues par la convention pour renoncer à ordonner son retour n'étaient réalisées. Contrairement à ce que soutenait la recourante, la décision française fixant provisoirement la résidence de l'enfant auprès de sa mère ne faisait pas obstacle au retour de la mineure en France. La procédure de retour fondée sur la CLaH80 se limitait en effet à l'examen de l'illicéité du déplacement de l'enfant et des circonstances justifiant de renoncer à ordonner le retour, éléments sur lesquels la décision française attribuant provisoirement la garde effective de l'enfant à sa mère n'avait aucune incidence. Dans cette mesure, considérant que les conditions posées par les art. 3 al. 1 let. a et b CLaH80 étaient remplies et qu'aucune des exceptions prévues par l'art. 13 CLaH80 n'était réalisée, la cour cantonale a ordonné le retour de l'enfant vers la France conformément à l'art. 12 al. 1 CLaH80.  
 
3.3. La recourante voit une modification déterminante de la situation en ce sens qu'en lui attribuant provisoirement la garde de l'enfant, la juridiction française aurait validé la présence de la mineure en Suisse et supprimé ainsi l'illicéité de son déplacement. Elle affirme par ailleurs qu'un retour de sa fille en France bouleverserait son centre de vie et serait contraire à son intérêt supérieur dès lors que l'enfant s'était constitué en Suisse un cadre de vie stable qu'elle n'avait pu trouver en France.  
L'intimé et la curatrice soulignent le caractère provisoire de la décision française. La curatrice en retient son défaut d'utilité dans le contexte de l'art. 13 LF-EEA, dont elle relève qu'il n'est appliqué qu'exceptionnellement, tandis que l'intimé soutient son absence d'incidence sur la procédure de retour, l'illicéité du déplacement de l'enfant en Suisse restant acquise. 
 
3.4. Contrairement à ce dont se prévaut la recourante, l'on ne saurait déduire que la décision rendue en France le 31 janvier 2023 rendrait licite le déplacement de la mineure: la procédure concernant le retour de l'enfant et celle relative au fond portent en effet sur deux objets distincts (cf. art. 16 et 19 CLaH80; ATF 133 III 146 consid. 2.4; 131 III 334 consid. 5.3). Il n'en demeure pas moins que la juridiction de l'État d'origine de l'enfant, saisie du litige opposant les parties au fond, indique qu'il n'apparaît pas opportun de modifier à nouveau le lieu de vie de l'enfant " dont les premières années de vie ont d'ores et déjà été marquées par un dysfonctionnement important des relations parentales qui ne pourra qu'avoir des conséquences importantes sur la stabilité émotionnelle de l'enfant et la qualité de son développement ". Elle en déduit que la résidence habituelle de l'enfant doit être fixée au domicile de la mère " en ce qu'elle s'avère être de son intérêt, préservant son équilibre et sa stabilité ". En statuant ainsi, la juridiction de l'État de provenance de l'enfant, dont la compétence pour statuer sur les prérogatives parentales n'est pas contestée, privilégie ainsi expressément le maintien de l'enfant en Suisse avec le parent ravisseur à son retour dans son État d'origine; elle renonce ainsi explicitement à la nécessité de la présence de la mineure sur son territoire dans l'attente de la décision à rendre au fond, objectif auquel tend en définitive la CLaH80. Quoi qu'en disent enfin les parties, le caractère uniquement provisoire de la décision rendue en France - dont il n'est pas soutenu qu'elle ne serait pas exécutoire - n'est pas décisif, étant rappelé que l'art. 13 LF-EEA indique que le fait propre à reconsidérer la décision ordonnant le retour de l'enfant doit être "déterminant" et non durable. Il s'ensuit qu'au regard de la décision rendue par le Tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains le 31 janvier 2023, l'ordre de retour de l'enfant doit être annulé.  
 
4.  
En définitive, le recours est admis et l'arrêt cantonal qui ordonne le retour de l'enfant en France est annulé. Les art. 26 CLaH80 et 
14 LF-EEA prévoient la gratuité de la procédure; toutefois, conformément aux dispositions de l'art. 42 CLaH80 et par application de l'art. 26 al. 3 CLaH80, la France a déclaré qu'elle ne prendra en charge les frais visés à l'art. 26 al. 2 CLaH80 que dans la mesure où ces frais sont couverts par le système français d'aide judiciaire. La Suisse applique dans ce cas le principe de la réciprocité (art. 21 al. 1 let. b de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités [RS 0.111]), en sorte que la procédure devant le Tribunal fédéral n'est pas gratuite (arrêts 5A_990/2019 du 21 janvier 2020 consid. 8; 5A_701/2019 du 23 octobre 2019 consid. 8). Pour autant qu'elle n'est pas sans objet, la requête d'assistance judiciaire déposée par la recourante est admise et Me Manuel Bolivar lui est désigné comme conseil d'office pour la procédure fédérale (art. 64 al. 1 LTF). Les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et les dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF) sont mis à la charge de l'intimé qui succombe. La Caisse du Tribunal fédéral versera une indemnité de 1'500 fr. à la curatrice des enfants, qui a été invitée à se déterminer. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis et l'arrêt cantonal est annulé. 
 
2.  
Autant qu'elle n'est pas sans objet, la requête d'assistance judiciaire de la recourante est admise et Me Manuel Bolivar, avocat, lui est désigné comme conseil d'office pour la procédure fédérale. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'500 fr., sont mis à la charge de l'intimé. 
 
4.  
Une indemnité de 2'000 fr., à verser à la recourante à titre de dépens, est mise à la charge de l'intimé; au cas où les dépens ne pourraient être recouvrés, la Caisse du Tribunal fédéral versera à Me Manuel Bolivar une indemnité de 1'800 fr. à titre d'honoraires d'avocat d'office. 
 
5.  
La Caisse du Tribunal fédéral versera une indemnité de 1'500 fr. à Me Marie Berger, curatrice de l'enfant. 
 
6.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à C.________, à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile, et à l'Office fédéral de la justice, Autorité centrale en matière d'enlèvement international d'enfants. 
 
 
Lausanne, le 13 juillet 2023 
 
Au nom de la IIe Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Herrmann 
 
La Greffière : de Poret Bortolaso