8C_746/2023 07.06.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
8C_746/2023  
 
 
Arrêt du 7 juin 2024  
 
IVe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Wirthlin, Président, 
Maillard et Métral. 
Greffière : Mme Betschart. 
 
Participants à la procédure 
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), Division juridique, 
Fluhmattstrasse 1, 6002 Lucerne, 
recourante, 
 
contre  
 
A.________, 
représenté par M e Rachel Duc, avocate, 
intimé. 
 
Objet 
Assurance-accidents (revenu sans invalidité), 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 23 octobre 2023 (A/2846/2022 ATAS/804/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________, né en 1979, a travaillé comme ferrailleur/chef d'équipe pour le compte de la société B.________ Sàrl (ci-après: l'employeur) depuis le 2 mars 2015. À ce titre, il était assuré contre le risque d'accidents auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA). Le 14 septembre 2015, alors qu'il travaillait sur un chantier, il s'est coincé le pied gauche entre les ferrailles de la structure d'une dalle, a chuté et s'est foulé le pied. La CNA a pris en charge le cas. Dans son appréciation du 10 octobre 2016, le docteur C.________, spécialiste en chirurgie orthopédique et médecin d'arrondissement de la CNA, a indiqué que l'ancienne activité de ferrailleur sur les chantiers n'était plus exigible; cependant, une activité adaptée aux limitations fonctionnelles était possible à plein temps et sans baisse de rendement. Il a retenu en outre une atteinte à l'intégrité d'un taux de 5 %. Considérant que l'état de santé de l'assuré était stabilisé, la CNA l'a informé, par courriers du 9 novembre 2016 et du 25 juillet 2017, qu'elle mettait fin à la prise en charge des traitements et au paiement de l'indemnité journalière au 31 mars 2017.  
 
A.b. En parallèle, A.________, qui avait déposé une demande de prestations auprès de l'Office cantonal de l'assurance-invalidité (ci-après: l'OAI), a bénéficié de diverses mesures de réadaptation, dont un cours de reconversion dans le dessin technique ainsi que divers stages en entreprise. Toujours avec le soutien de l'OAI, l'assuré a bénéficié d'une allocation d'initiation au travail du 1er août 2021 au 27 janvier 2022 au sein de D.________ SA, où il a exercé en tant que projecteur-dessinateur. À la suite de cette mesure, il a été engagé à plein temps par cette entreprise. Par décision du 1er mars 2022, l'OAI lui a refusé tout droit à une rente d'invalidité.  
 
A.c. Par décision du 4 avril 2022, confirmée sur opposition le 27 juillet 2022, la CNA a nié à l'assuré le droit à une rente d'invalidité, en l'absence de perte de capacité de gain. En revanche, elle lui a octroyé une indemnité fondée sur un taux d'atteinte à l'intégrité de 5 %.  
 
B.  
Par arrêt du 23 octobre 2023, la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève a admis le recours formé par A.________ contre la décision sur opposition, qu'elle a annulée en tant qu'elle lui refusait une rente d'invalidité, et a dit qu'il avait droit à une rente d'invalidité de 11 % dès le 28 janvier 2022. 
 
C.  
La CNA interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant à sa réforme en ce sens que sa décision sur opposition du 27 juillet 2022 soit confirmée. 
A.________ conclut au rejet du recours. La cour cantonale et l'Office fédéral de la santé publique ont renoncé à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours est dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable. 
 
2.  
 
2.1. Le recours en matière de droit public peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF) et n'est limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Cela étant, le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, compte tenu de l'exigence de motivation prévue à l'art. 42 al. 2 LTF, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes (ATF 145 V 304 consid. 1.1), et ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties (art. 107 al. 1 LTF).  
 
2.2. Dans les procédures concernant l'octroi ou le refus de prestations en espèces de l'assurance-accidents, le Tribunal fédéral n'est pas lié par les faits établis par l'autorité précédente (art. 97 al. 2 et art. 105 al. 3 LTF).  
 
3.  
Le litige porte sur le droit de l'intimé à une rente d'invalidité et, plus particulièrement, sur le revenu de valide pris en compte par la cour cantonale. 
 
4.  
 
4.1. Conformément à l'art. 16 LPGA, pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu réaliser s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré. La comparaison des revenus s'effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l'un avec l'autre, la différence permettant de calculer le taux d'invalidité (méthode ordinaire de la comparaison des revenus; ATF 137 V 334 consid. 3.1.1).  
 
4.2. Aux termes de l'art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu'il n'y a plus lieu d'attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l'état de l'assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l'assurance-invalidité ont été menées à terme. Cette disposition (ainsi que l'art. 16 LPGA) suppose que les traitements et les mesures de réadaptation exigibles aient été effectués au préalable, car ils sont susceptibles d'influer le taux d'invalidité; en particulier, ce n'est qu'une fois que toutes les possibilités de réadaptation ont été utilisées ou qu'il est clair que de telles mesures ne sont pas nécessaires pour maintenir ou améliorer la capacité de gain de la personne assurée que le revenu d'invalide peut être déterminé (THOMAS FLÜCKIGER, in Basler Kommentar UVG, 2019, n. 18 ad art. 19 LAA; MARGIT MOSER-SZELESS, Commentaire Romand LPGA, 2018, n. 28 ad art. 16 LPGA).  
 
4.3. Pour déterminer le revenu sans invalidité, il faut établir au degré de la vraisemblance prépondérante quel salaire l'assuré aurait réellement pu obtenir au moment déterminant de la naissance du droit à la rente, s'il n'était pas devenu invalide. Ce revenu doit être évalué de la manière la plus concrète possible. Partant de la présomption que l'assuré aurait continué d'exercer son activité sans la survenance de son accident, ce revenu se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par la personne assurée avant l'atteinte à la santé, en tenant compte de l'évolution des salaires jusqu'au moment de la naissance du droit à la rente; des exceptions ne peuvent être admises que si elles sont établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2; 135 V 297 consid. 5.1; 134 V 322 consid. 4.1; 129 V 222 consid. 4.3.1; arrêt 8C_706/2022 du 5 décembre 2023 consid. 5.1 avec les références). Toutefois, lorsque la perte de l'emploi est due à des motifs étrangers à l'invalidité, le salaire doit être établi sur la base de valeurs moyennes. Autrement dit, dans un tel cas, n'est pas déterminant pour la fixation du revenu hypothétique de la personne valide le salaire que la personne assurée réaliserait actuellement auprès de son ancien employeur, mais bien plutôt celui qu'elle réaliserait si elle n'était pas devenue invalide (arrêt 8C_50/2022 du 11 août 2022 consid. 5.1.1, in SVR 2023 UV n° 8 p. 22 et la référence). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, un tel cas d'exception se présente par exemple lorsque le poste de travail que l'assuré occupait avant la survenance de l'atteinte à la santé n'existe plus au moment de l'évaluation de l'invalidité, lorsqu'il n'aurait pas pu conserver son poste en raison des difficultés économiques, en cas de faillite ou de restructuration de l'entreprise (arrêts 8C_240/2023 du 14 mars 2024, consid. 6.1; 8C_148/2017 du 19 juin 2017 consid. 6.2.2; 8C_462/2014 du 18 novembre 2014 consid. 4.2; 9C_501/2013 du 28 novembre 2013 consid. 4.2; CHRISTOPH FREY/NATHALIE LANG, Basler Kommentar ATSG, 2020, n° 33 ad art. 16 LPGA; MARGIT MOSER-SZELESS, CR LPGA, 2019, n° 25 ad art. 16 LPGA; MICHEL VALTERIO, Commentaire de la Loi fédérale sur l'assurance-invalidité [LAI], 2018, n° 45 ad art. 28a LAI).  
 
5.  
 
5.1. En l'occurrence, la recourante a relevé que l'entreprise B.________ Sàrl, qui employait l'intimé au moment de l'accident avait été dissoute par suite de faillite en décembre 2017. Par conséquent, elle a déterminé le revenu de valide sur la base des données statistiques - issues de l'Enquête Suisse sur les salaires (ESS) - et l'a fixé à 75'204 fr. 73 (TA1-skill-level, 41-43 Construction, homme, niveau de compétence 2). À cela, elle opposait un revenu avec invalidité de 75'400 fr. (non litigieux en l'espèce). Il en ressortait que l'intimé ne souffrait aucune perte de gain, et, partant, qu'il n'avait pas droit à une rente d'invalidité.  
 
5.2. Cependant, la cour cantonale s'est référée au revenu que l'intimé obtenait auprès de son ancien employeur, indexé à l'an 2022, soit 84'885 fr. 55 et lui a ainsi reconnu le droit à une rente d'invalidité d'un taux de 11 %.  
Pour motiver sa conclusion, elle s'est appuyée sur l'arrêt 9C_238/2008 du 5 janvier 2009. Le Tribunal fédéral y a exposé que, lorsque "la jurisprudence précise qu'il y a lieu de recourir aux données salariales statistiques quand le poste de travail qu'occupait la personne assurée avant la survenance de l'atteinte à la santé n'existe plus au moment déterminant de l'évaluation de l'invalidité, elle envisage la situation où l'activité en question n'a plus d'existence avérée sur le marché général du travail. Dans la mesure toutefois où la profession concernée n'est pas tombée en désuétude, rien ne justifie de s'écarter du montant du dernier salaire réalisé par la personne assurée. Contrairement à ce que laisse sous-entendre la juridiction cantonale, la jurisprudence n'exige pas de l'administration qu'elle exerce un suivi de l'évolution économique du dernier employeur de la personne assurée. L'éventuelle faillite ultérieure de celui-ci ne saurait ainsi constituer une circonstance propre à influencer le degré d'invalidité, donc le droit à la rente, et, partant, à motiver une révision de celle-ci au sens de l'art. 17 LPGA. Mises à part les complications administratives évidentes qu'une telle obligation engendrerait, elle ne serait pas conforme au principe de l'égalité de traitement entre assurés, puisqu'elle aurait pour effet de lier le droit aux prestations de la personne assurée à un facteur aléatoire, à savoir la pérennité de l'activité de son ancien employeur" (consid. 4.1 de l'arrêt cité). 
Les juges cantonaux ont considéré qu'en l'espèce, la situation était identique à celle examinée dans l'arrêt cité, de sorte que la faillite ultérieure de l'employeur ne justifiait pas de s'écarter du dernier salaire touché par l'intéressé pour procéder au calcul du revenu sans invalidité. 
 
5.3. Les premiers juges ne sauraient être suivis lorsqu'ils estiment que l'état de fait de l'arrêt 9C_238/2008 serait similaire à celui du cas d'espèce. En effet, en l'occurrence, on est en présence d'un premier examen du droit à la rente, tandis que l'arrêt du 5 janvier 2009 a pour objet la révision d'une rente d'invalidité selon l'art. 17 al. 1 LPGA; on peut déduire de cet arrêt qu'il interdit la révision du droit aux prestations pour le seul motif que l'ancien employeur est tombé en faillite après l'octroi initial d'une rente à l'assuré. On ne peut pas en déduire, en revanche, que la faillite de l'employeur devrait être ignorée si elle a été prononcée avant la naissance éventuelle du droit à la rente.  
 
5.4. En l'occurrence, le droit éventuel à la rente a pris naissance le 28 janvier 2022, au terme des mesures de réadaptation de l'OAI (le 27 janvier 2022). Il est par ailleurs établi que la société B.________ Sàrl est tombée en faillite en décembre 2017, selon l'extrait du Registre du commerce du canton de Genève, fait notoire qui peut être pris en compte par le Tribunal fédéral (cf. ATF 143 IV 380 consid. 1.2; 138 II 557 consid. 6.2).  
Certes, il ressort également de l'extrait du Registre de commerce que B.________ Sàrl, en liquidation, a été réinscrite par décision du Tribunal de première instance du 12 septembre 2019. Toutefois, selon l'art. 935 al. 2 CO une telle réinscription peut principalement être demandée lorsque, après la liquidation de l'entité juridique radiée, il existe encore des actifs qui n'ont pas été réalisés ou distribués (ch. 1); l'entité juridique radiée est partie à une procédure judiciaire (ch. 2); la réinscription est nécessaire pour l'adaptation d'un registre public (ch. 3); ou la réinscription est nécessaire pour que la liquidation de la faillite de l'entité juridique radiée puisse être terminée (ch. 4). En substance, une entité juridique en liquidation ne peut donc être réinscrite au Registre de commerce que pour lui attribuer la capacité d'agir nécessaire pour accomplir les actes requis pour achever la liquidation. L'entité juridique radiée est rétablie dans l'état où elle se trouvait au moment de la radiation, et la réinscription n'entraîne pas simultanément la révocation de la décision de dissolution. Dès que la liquidation est terminée, l'entité juridique est radiée à nouveau du Registre du commerce (cf. RINO SIFFERT, Berner Kommentar Obligationenrecht - Das Handelsregister, 2021, n° 6 s ad Art. 935 CO; Message du 15 avril 2015 concernant la modification du code des obligations [Droit du registre du commerce], FF 2015 3282). En l'occurrence, il ressort du Registre du commerce que la raison de commerce de l'ancien employeur a été réinscrite avec la mention "en liquidation". En outre, rien n'indique que l'ancien employeur aurait repris son activité opérationnelle après la réinscription. Par conséquent, l'intimé ne peut pas prétendre qu'il serait toujours occupé par cette même entreprise s'il n'avait pas souffert d'atteinte à la santé. Le salaire qu'il avait obtenu de cet employeur ne saurait donc être déterminant pour la fixation du revenu sans invalidité. Il s'ensuit que le recours doit être admis, l'arrêt attaqué annulé et la décision sur opposition confirmée. 
 
6.  
L'intimé, qui succombe, supportera les frais de justice (art. 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt de la cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 23 octobre 2023 est annulé et la décision sur opposition de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents du 27 juillet 2022 est confirmée. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimé. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral de la santé publique. 
 
 
Lucerne, le 7 juin 2024 
 
Au nom de la IVe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Wirthlin 
 
La Greffière : Betschart