1C_134/2023 28.11.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_134/2023  
 
 
Arrêt 28 novembre 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix et Merz. 
Greffière : Mme Tornay Schaller. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________, 
3. C.________, 
tous les trois représentés par Me Léonard Bruchez, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
D.________, 
représenté par Me Nathanaëlle Petrig, avocate, 
intimé, 
 
Préfecture de la Sarine, case postale 616, 1701 Fribourg. 
 
Objet 
Permis de construire; qualité pour recourir, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg, IIe Cour administrative, du 1er février 2023 (602 2022 165). 
 
 
Faits :  
 
A.  
D.________ est propriétaire de la parcelle n° 17594 du registre foncier de la commune de Fribourg. Par décision du 24 juillet 2019, le Préfet du District de la Sarine a accordé le permis de construire pour des transformations intérieures et extérieures (construction d'un ascenseur, agrandissement de balcons et création de lucarnes) ainsi que le changement d'affectation des combles - de galetas en habitat - de l'immeuble sis à la rue des Alpes 40 sur la parcelle précitée. Sur recours des voisins A.________, B.________, E.________ et C.________ (ci-après: A.________ et consorts), cette autorisation de construire a été annulée par la IIe Cour administrative du Tribunal cantonal du canton de Fribourg (ci-après: le Tribunal cantonal), par arrêt du 13 mai 2020. Par arrêt 1C_357/2020 du 18 mars 2021, le Tribunal fédéral a admis partiellement le recours de D.________ contre l'arrêt du 13 mai 2020. Il a réformé l'arrêt cantonal en ce sens que la décision préfectorale du 24 juillet 2019 est confirmée en ce qui concerne le changement d'affectation des combles ainsi que les transformations intérieures et qu'elle est annulée pour la construction d'un volume comprenant un ascenseur, pour l'agrandissement de deux balcons et la création d'un troisième balcon ainsi que pour les dimensions de la fenêtre dite "Stebler". 
Les 1er juillet 2021, 2 août 2021 et 13 septembre 2021, l'avocat de A.________ et consorts a adressé des courriers à la Préfecture de la Sarine pour rappeler notamment que le Tribunal fédéral avait annulé "les permis de construire concernant les aménagements projetés sur l'enveloppe extérieure du bâtiment" et qu'"ils s'opposent à la délivrance de toute autorisation (supplémentaire) concernant l'extérieur du bâtiment, en particulier concernant l'ascenseur, l'agrandissement des balcons inexistant en l'état et les lucarnes". 
 
B.  
D.________ a déposé une nouvelle demande de permis de construire portant sur la construction d'un balcon dans les combles et sur l'agrandissement des balcons des premier et deuxième étages de l'immeuble sis à la rue des Alpes 40. Ce nouveau projet tient compte des conditions posées par le Tribunal cantonal dans son arrêt du 13 mai 2020 et par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 18 mars 2021. 
Mis à l'enquête publique du 27 août au 10 septembre 2021, le projet n'a suscité aucune opposition. 
Le Conseil communal de la Ville de Fribourg, l'Etablissement cantonal d'assurance des bâtiments, le Service archéologique, le Service des biens culturels, le Service de l'environnement, le Service des constructions et de l'aménagement du canton de Fribourg ont rendu des préavis favorables ou favorables sous conditions. Par décision du 21 janvier 2022, la Lieutenante de Préfet du District de la Sarine a accordé le permis de construire requis. Les travaux ont été réalisés. 
 
C.  
Le 24 juin 2022, A.________, B.________ et C.________, voisins du projet en cause, ont déposé un recours contre la décision du 21 janvier 2022 auprès de la IIe Cour administrative du Tribunal cantonal du canton de Fribourg (ci-après: le Tribunal cantonal). Par arrêt du 1er février 2023, celle-ci a déclaré le recours irrecevable, faute de qualité pour recourir (les recourants n'ayant pas fait opposition motivée au projet dans le délai de mise à l'enquête). 
 
D.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________, B.________ et C.________ demandent principalement au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt du 1er février 2023 en ce sens que le recours est déclaré recevable, la décision du 21 janvier 2022 est réformée en ce sens que les oppositions des recourants sont maintenues et l'autorisation de construire est annulée, la remise en état de l'immeuble (suppression des balcons et comblement des ouvertures créées en façade pour y accéder) est ordonnée dans un délai que justice dira sous la commination de la peine de l'art. 292 CP. Ils concluent subsidiairement à l'annulation de l'arrêt du 1er février 2023 et au renvoi de la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. 
Le Tribunal cantonal et l'intimé concluent au rejet du recours. La Lieutenante de Préfet de la Sarine renonce à se déterminer. Les recourants ont répliqué. L'intimé a encore déposé un courrier qui a été communiqué aux recourants. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Formé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) sur la base du droit public cantonal (art. 82 let. a LTF), le présent recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public au sens des art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Les recourants sont directement touchés par le prononcé d'irrecevabilité de l'arrêt attaqué et ont un intérêt digne de protection à en obtenir l'annulation. Ils ont dès lors qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF
Les recourants ne sauraient prendre des conclusions allant au-delà de l'objet du litige. Or, en l'espèce, les juges cantonaux ayant refusé d'entrer en matière sur le recours, seule la question de la recevabilité du recours cantonal peut être portée devant le Tribunal fédéral qui n'a, à ce stade, pas à examiner le fond de la contestation (ATF 133 II 409 consid. 1.4). En cas d'admission du recours, la cause devrait être renvoyée à l'instance précédente pour qu'elle entre en matière sur le recours et statue au fond. Les conclusions et les griefs portant sur le fond du litige sont donc irrecevables. 
 
2.  
Les recourants font grief au Tribunal cantonal d'avoir jugé leur recours irrecevable, faute de qualité pour recourir. Ils ne font cependant pas valoir une application arbitraire des art. 140 et 141 al. 4 de la loi fribourgeoise sur l'aménagement du territoire et les constructions du 2 décembre 2008 (LATeC; RSF 710.1). Ils se plaignent uniquement à cet égard d'un établissement incomplet des faits (art. 97 LTF), d'une violation du droit d'être entendu et de formalisme excessif (art. 29 al. 2 Cst.). 
 
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), hormis dans les cas visés à l'art. 105 al. 2 LTF. Selon l'art. 97 al. 1 LTF, le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (ATF 145 V 188 consid. 2).  
L'état de fait a été complété d'office sur la base des pièces du dossier cantonal et de l'arrêt du Tribunal fédéral 1C_357/2020 du 18 mars 2021. Il a ainsi été donné suite, dans la mesure utile, aux demandes de compléments des faits pertinents pour l'issue du litige. 
 
2.2. Le Tribunal fédéral ne revoit l'interprétation et l'application du droit cantonal que sous l'angle de l'arbitraire. Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral n'a pas à déterminer quelle est l'interprétation correcte que l'autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables; il doit uniquement examiner si l'interprétation qui a été faite est défendable. Par conséquent, si celle-ci ne se révèle pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation cantonale en cause, elle sera confirmée, même si une autre solution paraît également concevable, voire préférable. De plus, il ne suffit pas que les motifs de la décision attaquée soient insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit arbitraire dans son résultat (ATF 144 I 170 consid. 7.3). Dans ce contexte, la partie recourante est soumise aux exigences accrues de motivation de l'art. 106 al. 2 LTF.  
 
2.3. Selon l'art. 76 let. a du code de procédure et de juridiction administrative du canton de Fribourg du 23 mai 1991 (CPJA; RSF 150.1), a qualité pour recourir quiconque est atteint par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.  
L'art. 141 al. 4 LATeC prévoit qu'ont qualité pour recourir les requérants, les opposants, la commune, lorsqu'elle intervient comme autorité de préavis, ainsi que les autorités qui y sont habilités par la loi. Aux termes de l'art. 140 al. 1, 1ère phrase LATeC, toute demande de permis de construire faisant l'objet de la procédure ordinaire doit être mise à l'enquête publique, par insertion dans la Feuille officielle, durant quatorze jours. L'art. 140 al. 3, 1ère phrase LATeC prévoit que, pendant le délai d'enquête, toute personne intéressée peut faire opposition par le dépôt d'un mémoire motivé auprès du secrétariat communal. 
Selon la jurisprudence cantonale, le non-respect de l'obligation légale de motiver une opposition dans le délai fixé entraîne l'irrecevabilité de celle-ci (RFJ 1993 p. 351 consid. 2a). En outre, à l'instar de l'obligation analogue de motiver un recours prévue par l'art. 81 CPJA, il a été jugé qu'il n'est pas possible de réparer ultérieurement cette informalité par le biais de l'art. 82 al. 1 CPJA, cette faculté étant réservée aux situations mentionnées par l'art. 81 al. 2 CPJA, soit uniquement lorsque les moyens de preuve, les pièces ou la signature manquent (RFJ 1993 p. 351 consid. 2c). Instituée sous l'empire de l'ancienne LATeC du 9 mai 1983, cette règle stricte fondée sur des considérations de sécurité juridique est encore valable actuellement dès lors que la loi actuelle de 2008 n'a pas modifié le régime de l'opposition (arrêt du Tribunal cantonal FR 602 2016 144 du 25 janvier 2018 consid. 2a). 
Par ailleurs, en vertu de l'art. 118 CPJA, le recours auprès d'une autorité supérieure n'est recevable qu'après épuisement des voies préalables de réclamation ou de recours. 
 
2.4. En l'espèce, les recourants ne contestent pas ne pas avoir fait formellement opposition à la demande de permis de construire mise à l'enquête du 27 août au 10 septembre 2021. Ils reprochent cependant à la cour cantonale de ne pas avoir considéré que leurs courriers des 1er juillet 2021, 2 août 2021 et 13 septembre 2021 adressés à la Préfecture de la Sarine représenteraient des oppositions motivées au projet de construction en cause. Ils prétendent que par ces courriers ils se seraient valablement opposés "à la délivrance de toute autorisation supplémentaire, notamment en lien avec les travaux de construction afférents aux balcons".  
Le Tribunal cantonal a relevé à cet égard que lesdits courriers avaient été déposés dans le cadre d'une autre procédure et ne l'avaient pas été durant le délai de mise à l'enquête publique. Il en a déduit que les recourants ne s'étaient pas manifestés comme opposants dans le délai de mise à l'enquête. Il a ajouté que les recourants ne mentionnaient pas les motifs pour lesquels ils s'opposeraient à la demande de permis pour la construction et l'agrandissement de balcons; ils se bornaient en effet à déclarer de manière générale s'opposer à toute autorisation supplémentaire mais ne faisaient pas spécifiquement référence à la demande de permis litigieuse. L'instance précédente en a conclu qu'une opposition motivée au sens de l'art. 140 al. 3 LATeC faisait défaut. 
Les recourants estiment au contraire que les lettres des 1er juillet 2021, 2 août 2021 et 13 septembre 2021 seraient motivées par la référence à l'arrêt 1C_357/2020 du Tribunal fédéral duquel il ressortirait "le refus de pouvoir entreprendre des travaux extérieurs concernant les balcons". Ils perdent cependant de vue que l'objet du litige ayant conduit à l'arrêt du Tribunal fédéral précité est l'autorisation de construire du 24 juillet 2019 et non pas celle du 21 janvier 2022. Ils ne sauraient déduire de l'arrêt fédéral précité que "le Tribunal fédéral a déjà fait justice de ces balcons en les interdisant". 
De plus, deux de ces courriers ont été envoyés par l'avocat des recourants avant la mise à l'enquête du projet, soit à un moment où ils ne pouvaient pas avoir connaissance du contenu du projet: ils ne pouvaient donc pas remplir l'exigence de motivation ancrée à l'art. 140 al. 3 LATeC puisqu'ils ne savaient pas quel type d'agrandissement et de construction allait être réalisé. Quant au courrier du 13 septembre 2021, il a été déposé après la fin du délai de mise à l'enquête publique et ne contient pas non plus de motivation en lien avec le projet autorisé le 21 janvier 2022. 
Par ailleurs, les recourants ne nient pas que ces courriers ont été déposés dans le cadre d'une autre procédure et ne l'ont pas été durant le délai de mise à l'enquête. 
Par conséquent, en jugeant que les recourants ne disposaient pas de la qualité pour recourir au sens du droit cantonal, le Tribunal cantonal n'a pas appliqué arbitrairement les art. 140 et 141 LATeC ainsi que les art. 76 let. a et 118 CPJA, tels qu'interprétés par la jurisprudence cantonale. 
 
2.5. Les recourants soutiennent aussi que, compte tenu du fait qu'ils ont participé activement à la procédure ayant mené à l'arrêt du Tribunal fédéral précité à propos du projet de construction en lien avec la création et l'agrandissement des balcons, il serait insoutenable qu'ils n'aient même pas été invités à s'exprimer avant que la décision du 21 janvier 2022 ne soit rendue. Ils font encore valoir avoir été informés de l'obtention du permis de construire du 21 janvier 2022 "après coup par courrier du 24 mai 2022 de la Préfecture de la Sarine". Ils oublient toutefois que la demande de permis litigieuse a été mise de manière régulière à l'enquête publique du 27 août au 10 septembre 2021 avec publication dans la Feuille officielle du canton de Fribourg. Les recourants, assistés d'un avocat, ne sauraient ainsi faire valoir qu'ils n'ont pas été informés du nouveau projet.  
Dans ces circonstances, le Tribunal cantonal n'a pas violé le droit d'être entendus des recourants en considérant qu'ils ne s'étaient pas manifestés comme opposants dans le délai de mise à l'enquête. Il n'y a pas non plus de formalisme excessif à refuser d'entrer en matière sur un recours pour des motifs objectifs de procédure (cf. ATF 149 IV 97 consid. 2.1; 142 IV 299 consid. 1.3.2). 
Au demeurant, les recourants ne peuvent se prévaloir de l'art. 12b de la loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage du 1er juillet 1966 (LPN; RS 451) pour exiger un délai de mise à l'enquête de 20 jours. Le présent litige porte en effet sur une autorisation cantonale pour la construction et l'agrandissement de balcons qui ne relève pas de l'accomplissement d'une tâche fédérale au sens de l'art. 2 LPN, même si le bien-fonds sur lequel se situe le bâtiment dans lequel ont lieu ces travaux est répertorié à l'ISOS (ATF 135 II 209 consid. 2.1; arrêts 1C_226/2016 du 28 juin 2017 consid. 4.3 et 1C_179/2015 du 11 mai 2016 consid. 2.2; Jean-Baptiste Zufferey, Commentaire LPN, 2e éd., 2019, N 46 ad art. 2 LPN). Par ailleurs, le droit fribourgeois a expressément prévu un délai de mise à l'enquête publique de 30 jours lorsqu'une demande de permis de construire nécessite simultanément la mise à l'enquête publique d'un plan, d'un règlement ou d'une demande de défrichement, l'octroi d'une dérogation à une mesure de protection de la nature et du paysage ou la mise en consultation d'un rapport d'impact sur l'environnement (art. 3 al. 2 du règlement d'exécution de la loi sur l'aménagement du territoire et les constructions du 1er décembre 2009 [ReLATeC; RSF 710.11]). Or ce n'est pas le cas en l'espèce. 
 
3.  
Il s'ensuit que le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité, aux frais des recourants, qui succombent (art. 66 al. 1 LTF). Ceux-ci verseront aussi une indemnité de dépens à l'intimé qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 68 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 francs, sont mis à la charge des recourants. 
 
3.  
Les recourants verseront à l'intimé une indemnité de dépens de 3'000 francs. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des recourants et de l'intimé, à la Préfecture de la Sarine et au Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg (IIe Cour administrative). 
 
 
Lausanne, le 28 novembre 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
La Greffière : Tornay Schaller