150 II 83
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Chapeau

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9. Extrait de l'arrêt de la IIIe Cour de droit public dans la cause A. SA contre Conseil d'État du canton du Valais (recours en matière de droit public)
9C_739/2022 du 5 janvier 2024

Regeste

Art. 49 al. 1 et 2, art. 51 al. 1 et 3 LFH; art. 66 al. 1 et art. 71 al. 1 LcFH; art. 18 CO; les eaux concédées qui ne peuvent pas être absorbées par les installations prévues dans la concession ne sont pas soumises à l'impôt spécial cantonal valaisan sur les forces hydrauliques.
Le concessionnaire a l'obligation de construire les aménagements prévus dans la concession, respectivement, si de tels aménagements existent déjà, de les moderniser si la concession le prévoit (consid. 4.1.1). L'assiette de la redevance hydraulique et de l'impôt spécial cantonal valaisan sur les forces hydrauliques est notamment fonction des débits utilisables (art. 51 al. 1 LFH), définis à l'art. 51 al. 3 LFH comme les quantités d'eau débitées effectivement par le cours d'eau, jusqu'à concurrence du débit maximum que peuvent absorber les installations prévues dans la concession (consid. 4.1.2-4.2.2). Interprétation de la notion d'"installations prévues dans la concession" (consid. 6.2-6.2.4). Application des règles d'interprétation des contrats pour déterminer quelles sont les installations prévues dans une concession (consid. 7-7.2). En l'espèce, la concession litigieuse ne prévoit pas que le concessionnaire est tenu de procéder à des travaux sur la galerie d'amenée d'eau qui existe déjà, afin d'améliorer sa capacité d'absorption des eaux concédées. Partant, les eaux concédées qui ne sont pas absorbées par la galerie existante ne peuvent pas être incluses dans l'assiette de l'impôt spécial cantonal valaisan sur les forces hydrauliques (consid. 7.5).

Faits à partir de page 84

BGE 150 II 83 S. 84

A. Par concession du 20 février 2004 (ci-après: la Concession ou la concession Navizence), les communes valaisannes de Chandolin, St-Luc, Ayer, Vissoie, St-Jean, Chippis et Chalais (ci-après collectivement: les Communes) ont, après avoir fait usage de leur droit de retour, accordé à la société A. SA (ci-après: la Société) le droit d'utiliser, jusqu'en 2084, toutes les eaux leur appartenant provenant du bassin versant de la Navizence inférieure et du torrent de Fang, pour produire de l'électricité. La Concession a été approuvée par le Conseil d'État du canton du Valais (ci-après: le Conseil d'État) le
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28 janvier 2009. La Société est également au bénéfice, jusqu'en 2039, d'une concession (ci-après: la concession Gougra), qui s'exerce sur la Navizence supérieure, la Gougra, y compris le lac de Lona, les torrents des Moulins, de Barneusaz et Nava, ainsi que sur la partie dérivée du Rhône, de Tourtemagne à Chippis.
Les aménagements de la Société comportent plusieurs paliers. Le palier Vissoie-Chippis, qui fait partie des aménagements liés à la concession Navizence, comprend un bassin de compensation à Vissoie, une galerie d'amenée entre Vissoie et Niouc, une conduite forcée et la centrale de Navizence, à Chippis. En 2001, le rapport technique de retour de la concession Navizence constatait que ces aménagements, qui avaient été dimensionnés pour les besoins du début du 20e siècle, ne permettaient pas d'absorber la totalité du débit disponible à Vissoie. Ainsi, en raison du sous-dimensionnement de la galerie d'amenée entre Vissoie et Niouc, un volume d'environ 20 millions de mètres cubes d'eau (ci-après aussi désignées par l'expression: les eaux déversées) était déversé en été et n'était donc pas turbiné. La construction d'une nouvelle galerie d'amenée entre Vissoie et Niouc et d'une nouvelle centrale à Chippis permettrait d'absorber la totalité du débit disponible à cet endroit et d'optimaliser la production. Le rapport indiquait encore que, "vu l'imminence du retour de [la concession] en 2004, ce projet ne pouvait se développer qu'au-delà de cette date. La situation actuelle (2001) du marché de l'électricité n'encourage pas les investissements de renouvellement d'aménagements. Dans ces conditions et dans l'attente d'une amélioration du marché, il est prévu d'exploiter encore une dizaine d'année l'aménagement de la Navizence avant de concrétiser le projet du 'Nouveau palier Vissoie-Chippis'". La Société a entrepris la construction d'une nouvelle centrale à Chippis, qui s'est achevée en 2013. S'agissant de la construction d'une nouvelle galerie d'amenée entre Vissoie et Niouc, la Société a effectué une première analyse en avril 2008 et une étude préliminaire en novembre 2008. Elle a élaboré un avant-projet de construction en octobre 2009 et a entamé une procédure d'autorisation de construire en janvier 2013.
Un désaccord est né entre la Société et le Service cantonal de l'énergie et des forces hydrauliques du canton du Valais (ci-après: le Service cantonal) sur le point de savoir si les eaux déversées devaient être soumises à l'impôt spécial sur les forces hydrauliques (ci-après: l'impôt spécial). En juin 2011, la Société et le Service cantonal ont trouvé un accord à ce sujet, en ce sens que la moitié des eaux
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déversées seraient imposées durant les périodes fiscales 2004 à 2010, qu'il en irait ensuite de même aussi longtemps que le projet de construction d'une nouvelle galerie d'amenée entre Vissoie et Niouc resterait d'actualité et que, si ce projet devait être abandonné, la question de la prise en compte des eaux déversées dans l'assiette de l'impôt spécial devrait être rediscutée.
En 2015, la Société a abandonné le projet de construire une nouvelle galerie d'amenée entre Vissoie et Niouc jusqu'à ce que la situation du marché de l'électricité soit plus favorable.

B. Le 25 novembre 2016, le Service cantonal a notifié à la Société des bordereaux de taxation définitive pour l'impôt spécial des années 2011 à 2015, dont l'assiette avait été établie en tenant compte de la moitié des eaux déversées. La Société a contesté la prise en compte des eaux déversées dans l'assiette de l'impôt spécial jusque par devant le Tribunal cantonal du canton du Valais.
Par arrêt du 27 avril 2022, celui-ci a rejeté le recours dans la mesure de sa recevabilité. En substance, il a retenu que la construction d'une nouvelle galerie d'amenée entre Vissoie et Niouc faisait partie des installations prévues dans la concession au sens de l'art. 51 al. 3 de la loi fédérale du 22 décembre 1916 sur les forces hydrauliques (LFH; RS 721.80; ci-après aussi abrégée: loi fédérale sur les forces hydrauliques), de sorte que les eaux déversées en raison de la capacité insuffisante de la galerie d'amenée existante entre Vissoie et Niouc devaient être incluses dans l'assiette de l'impôt spécial.
Le Tribunal fédéral a admis le recours en matière de droit public que la Société a formé contre cet arrêt.
(résumé)

Considérants

Extrait des considérants:

4. La matière relève de la loi fédérale sur les forces hydrauliques (infra consid. 4.1) et du droit cantonal valaisan (infra consid. 4.2).

4.1 Selon l'art. 2 al. 1 LFH, la législation cantonale détermine la communauté (canton, district, commune ou corporation) à laquelle appartient le droit de disposer de la force des cours d'eau publics. En vertu de l'art. 3 al. 1 LFH, la communauté qui dispose de la force d'un cours d'eau peut l'utiliser elle-même ou en concéder l'utilisation à des tiers. En cas de concession, le concessionnaire acquiert, dans les limites de l'acte de concession, le droit d'utiliser le cours
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d'eau (cf. art. 43 al. 1 LFH). Il s'agit d'un droit acquis (cf. ATF 145 II 140 consid. 4.2; ATF 142 I 99 consid. 2.4.3).
En contrepartie de ce droit, le concessionnaire est tenu par des obligations, qui peuvent résulter de la concession (art. 48 LFH) ou de la loi (art. 53 LFH).

4.1.1 S'agissant des aménagements nécessaires à l'utilisation des forces hydrauliques, la première obligation du concessionnaire est de procéder à la construction des installations prévues et à leur mise en service dans les délais qui lui sont impartis, lesquels doivent obligatoirement figurer dans la concession en vertu de l'art. 54 al. 1 let. h LFH (RICCARDO JAGMETTI, Energierecht, in SBVR vol. VII, 2005, p. 495 § 4509; sur le caractère obligatoire des clauses mentionnées à l'art. 54 LFH, cf. ATF 149 II 320 consid. 3). Il peut arriver que la concession ne prévoie pas expressément que le concessionnaire a une obligation de construire. Toutefois, selon la jurisprudence, le seul fait qu'une concession prévoit un délai de construction implique l'existence d'une obligation de construire (ATF 54 I 432 consid. 2 p. 437).
Si, lors de l'octroi d'une concession, des installations existent déjà, parce que le droit d'utiliser les forces hydrauliques concernées avait été concédé antérieurement à un autre concessionnaire et que la communauté concédante a fait usage de son droit de retour, l'acte de concession peut également prévoir que le (nouveau) concessionnaire devra procéder à des travaux pour améliorer les installations existantes. Cela étant, depuis l'entrée en vigueur, le 1er mai 1997, de la révision partielle de la loi fédérale sur les forces hydrauliques (RO 1997 991; FF 1995 IV 964), l'art. 69a LFH permet tant à l'autorité concédante qu'à l'autorité qui a approuvé la concession d'obliger un concessionnaire à entreprendre, au cours des dix années qui précèdent l'expiration de la concession et dans la perspective de la transmission de l'aménagement à un autre exploitant, des travaux de transformation, en particulier de modernisation et d'agrandissement, moyennant le versement d'une indemnité pleine et entière. Le système légal est donc conçu en ce sens que c'est surtout au concessionnaire antérieur qu'il est demandé de moderniser les installations existantes d'un aménagement. Si l'on ne se trouve ni dans le cas où la concession prévoit des travaux de modernisation des installations existantes, ni dans la situation de l'art. 69a LFH, le concessionnaire n'est pas tenu de procéder à des travaux de
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modernisation ou d'agrandissement des installations existantes. S'il y procède volontairement, il pourra, en cas de retour de concession et aux conditions de l'art. 67 al. 4 LFH, être dédommagé des investissements de modernisation et d'agrandissement consentis en accord avec la communauté titulaire du droit de retour.

4.1.2 Au plan financier, l'obligation principale du concessionnaire consiste à devoir payer à l'autorité concédante une redevance hydraulique annuelle, soit une taxe due en contrepartie du droit d'utiliser l'eau concédée (art. 76 al. 4 Cst.; POLTIER/LARGEY, in Commentaire romand, Constitution fédérale, 2021, n° 54 ad art. 76 Cst.). Aucune redevance ne peut toutefois être prélevée durant le délai de construction (art. 50 al. 1 LFH).
Selon l'art. 51 al. 1 LFH, l'assiette de la redevance hydraulique est la puissance théorique moyenne de l'eau, calculée d'après les hauteurs de chute et les débits utilisables. Les débits utilisables sont définis à l'art. 51 al. 3 LFH comme les quantités d'eau débitées effectivement par le cours d'eau, jusqu'à concurrence du débit maximum que peuvent absorber les installations prévues dans la concession (cf. aussi l'art. 16 al. 2 du règlement du 12 février 1918 concernant le calcul des redevances en matière de droits d'eau [RDE; RS 721.831]). La puissance théorique de l'eau est calculée en kilowatts théoriques (cf. art. 1 al. 1 RDE).
L'art. 49 al. 1 LFH prévoit un montant maximum qui peut être prélevé par kilowatt théorique. Durant les années 2011 à 2014, la redevance hydraulique ne pouvait pas excéder 100 fr. par kilowatt théorique et, en 2015, 110 fr. par kilowatt théorique (cf. l'art. 49 al. 1 LFH dans sa teneur applicable pour ces périodes [RO 2010 5061]).

4.1.3 Conformément à l'art. 49 al. 2 LFH, les aménagements hydro-électriques faisant l'objet d'une concession et l'énergie qu'ils produisent ne peuvent être grevés d'impôts spéciaux. Toutefois, si la législation cantonale fixe une redevance hydraulique maximum inférieure au taux admis par les prescriptions fédérales, le canton peut percevoir un impôt spécial, pourvu que les deux taxes réunies n'excèdent pas ce taux.

4.2 En droit cantonal valaisan, le droit de disposer des eaux publiques appartient aux communes, sauf s'agissant du droit de disposer des eaux du Rhône et du lac Léman, qui appartient au canton dans les limites du territoire cantonal (cf. art. 4 al. 1 et 2 de la loi cantonale du 28 mars 1990 sur l'utilisation des forces hydrauliques [LcFH; RS 721.8]).
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4.2.1 En cas de concession, l'art. 66 al. 1 LcFH prévoit, conformément à l'art. 51 al. 1 LFH, que la redevance hydraulique est fondée sur la puissance théorique moyenne de l'eau, calculée d'après la hauteur de chute et le débit utilisables. Il ressort de l'art. 65 al. 2 LcFH que le taux de la redevance hydraulique ne peut être supérieur à 40 pour cent du taux maximum imposé en droit fédéral à l'art. 49 al. 1 LFH (l'art. 65 al. 3 LcFH concerne la situation spécifique de la réquisition de forces hydrauliques; sur ce point, cf. l'arrêt 2C_454/2020 du 5 août 2021 consid. 9.3, in RDAF 2021 I p. 458).

4.2.2 À la redevance hydraulique s'ajoute, en droit cantonal valaisan, le prélèvement d'un impôt spécial, prévu à l'art. 71 al. 1 LcFH. Selon cette disposition, le canton perçoit de toute entreprise utilisant des forces hydrauliques, dès la mise en service de l'usine, un impôt spécial sur les forces hydrauliques égal à 60 pour cent du taux maximum prévu dans la loi fédérale sur l'utilisation des forces hydrauliques.
Le Tribunal fédéral a constaté que, par ce renvoi au droit fédéral, le législateur cantonal avait voulu instaurer un impôt spécial qui ait la même assiette que la redevance hydraulique, à savoir la puissance théorique moyenne de l'eau, calculée selon la hauteur de chute et le débit utilisables (cf. ATF 128 II 112 consid. 6b et 6c; arrêt 2C_1144/2018 du 10 mars 2020 consid. 8.4). Avec cette assiette commune, couplée avec les taux respectifs de l'impôt spécial (60 % du plafond de l'art. 49 al. 1 LFH) et de la redevance hydraulique (40 % au maximum du plafond de l'art. 49 al. 1 LFH), le système cantonal de prélèvement de l'impôt spécial en sus d'une redevance hydraulique est conforme au droit fédéral (cf. arrêt 2C_454/2020 du 5 août 2021 consid. 8.2, in RDAF 2021 I p. 458).
(...)

6.

6.1 Comme indiqué ci-dessus (consid. 4.2.2), en droit cantonal valaisan, l'assiette de l'impôt spécial est la même que celle de la redevance hydraulique, à savoir la puissance théorique moyenne de l'eau, calculée d'après la hauteur de chute et le débit utilisables. Partant, si les eaux déversées font partie des débits utilisables qui doivent entrer dans le calcul de la puissance théorique, elles entrent aussi dans l'assiette de l'impôt spécial correspondant et une violation de l'art. 49 al. 1 LFH n'entre donc pas en ligne de compte. Il faut en revanche déterminer si les juges précédents ont correctement appliqué
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l'art. 51 al. 3 LFH en retenant que la construction d'une nouvelle galerie entre Vissoie et Niouc était une installation prévue dans la Concession. Selon cette disposition, sont considérées comme débits utilisables les quantités d'eau débitées effectivement par le cours d'eau, jusqu'à concurrence du débit maximum que peuvent absorber les installations prévues dans la concession.

6.2 La portée de l'art. 51 al. 3 LFH et de l'expression "installations prévues dans la concession" n'a jamais été explicitée par le Tribunal fédéral. Il faut donc commencer par interpréter cette disposition (sur les règles d'interprétation de la loi, cf. notamment ATF 149 III 242 consid. 5.1 et les références; ATF 145 III 133 consid. 6).

6.2.1 Sous l'angle littéral, les versions française et italienne de l'art. 51 al. 3 LFH font référence aux installations prévues ("previste"), alors que la version allemande utilise le terme "autorisées" ("in der Konzession bewilligten Anlagen"). Ce dernier terme doit toutefois être compris comme un synonyme de "prévues". La version allemande de l'art. 16 al. 2 RDE utilise du reste le terme "prévues" ("der in der Verleihung vorgesehenen Anlage") et la doctrine alémanique utilise indifféremment les adjectifs "bewilligten" ou "vorgesehen" pour commenter la disposition (cf. par exemple MERKER/CONRADIN-TRIACA, in Kommentar zum Energierecht, vol. I, 2016, n° 24 ad art. 51 LFH) .
Par ailleurs, l'art. 51 al. 3 LFH s'applique aux "concessions", sans distinction.> Peu importe donc que l'on soit en présence d'une nouvelle concession, du renouvellement d'une concession au même concessionnaire ou, comme c'est le cas de la concession Navizence, de son octroi à un nouveau concessionnaire. L'expression "jusqu'à concurrence" dénote que la redevance hydraulique ne doit pas être prélevée sur tous les débits qui sont théoriquement utilisables, mais seulement sur ceux qui peuvent être absorbés par les installations qui sont prévues dans la concession. Quant à l'adjectif "prévues dans", il indique que c'est la capacité d'absorption des installations qui sont exécutées conformément à ce que prévoit le texte de la concession qui est déterminante (cf. aussi l'art. 2 al. 3 RDE).

6.2.2 Sous l'angle historique, la disposition du projet du Conseil fédéral consacrée à l'assiette de la redevance (soit l'art. 42 du projet, cf. FF 1912 II 853, 865) ne contenait pas d'alinéa correspondant à l'art. 51 al. 3 LFH, mais se limitait à prévoir que la redevance serait calculée sur la base de la puissance correspondant au produit du débit moyen par la hauteur de chute. Le Conseil fédéral considérait que la loi ne pouvait pas prévoir une définition plus précise
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de cette notion technique et que les détails seraient réglés dans les dispositions réglementaires d'exécution (Message du 19 avril 1912 concernant le projet de loi fédérale sur l'utilisation des forces hydrauliques, FF 1912 II 815, 842). C'est lors de l'examen du projet aux Chambres fédérales que la commission compétente du Conseil national a proposé, le 3 septembre 1915, d'introduire dans la loi une définition de la notion de débits utilisables, à savoir "les quantités d'eau débitées par le cours d'eau, jusqu'à concurrence du débit maximum que peuvent absorber les installations concédées" (Bull.Stén. 1915 CN 161 s. et 288). Le 7 mars 1916, la commission compétente du Conseil des États a proposé une définition légèrement différente, à savoir "les quantités d'eau débitées par le cours d'eau, jusqu'à concurrence du débit maximum que peuvent absorber les installations prévues ("bewilligten"/"previste") dans la concession" (Bull. Stén. 1916 CE 4 s.). Pour expliquer cette modification, le conseiller aux États Isler a indiqué durant les débats que l'expression "installations concédées" de la proposition de la commission du Conseil national pouvait aboutir à une limitation de l'assiette de la redevance aux seules forces hydrauliques effectivement utilisées par le concessionnaire, alors que le but de la loi fédérale consistait à calculer la puissance théorique sur la base de la capacité d'absorption des installations déterminées dans la concession. À titre d'exemple, il mentionnait l'hypothèse d'un concessionnaire qui serait tenu de construire deux installations et qui n'en construirait qu'une seule dans un premier temps. L'expression "prévues dans la concession" proposée garantirait que, dans un tel cas, la redevance hydraulique serait calculée sur la base des deux installations prévues et non pas seulement de celle qui avait été construite (intervention Isler ad art. 42, Bull.Stén. 1916 CE 28). La proposition de la commission du Conseil des États a été adoptée et est devenue l'art. 51 al. 3 LFH (RO 33 191, 204).

6.2.3 Sous l'angle téléologique, la méthode de calcul de la redevance hydraulique selon la puissance théorique a pour but d'obtenir une amélioration technique des installations (turbines, amenée d'eau, etc.). Le but est que l'amélioration des installations profite au concessionnaire sans qu'il ne doive payer plus de redevance hydraulique en raison de cette amélioration. L'art. 51 LFH est donc une disposition qui a un caractère incitatif (MERKER/CONRADIN-TRIACA, op. cit., n° 13 ad art. 51 LFH; WALTER EGGER, Die öffentlichen Abgaben der Wasserwerkanlagen, 1923, p. 52). Cela étant, l'adoption de l'art. 51 al. 3 LFH montre que le législateur n'a pas pour autant voulu que tous les
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débits qui sont utilisables abstraitement soient pris en compte pour calculer la puissance théorique de l'eau, puisque seuls doivent l'être les débits utilisables qui peuvent être concrètement absorbés par les installations prévues dans la concession (cf. aussi MERKER/CONRADIN-TRIACA, op. cit., n° 24 ad art. 51 LFH; EGGER, op. cit., p. 53; WALTER SPILLMANN, Die bundesrechtliche Beschränkung der öffentlichen Abgaben der Wasserkraftwerke, 1936, p. 34; KARL GEISER, Einführung und Kommentar zum Bundesgesetz über die Nutzbarmachung der Wasserkräfte, 1921, p. 188). En d'autres termes, avec la restriction qu'il prévoit ("jusqu'à concurrence de"), l'art. 51 al. 3 LFH nuance le principe d'une application pure du calcul selon la puissance théorique de l'eau, puisque ce n'est pas la puissance théorique "abstraite" de tous les débits utilisables concédés qui est déterminante, mais seulement celle des débits utilisables qui peuvent être concrètement absorbés par les installations prévues dans la concession. La question se pose alors de savoir quelle est la puissance théorique déterminante si le concessionnaire décide volontairement, en cours de concession, d'améliorer la capacité d'absorption des installations prévues dans la concession. Cette question ne se pose toutefois pas concrètement dans le cas d'espèce et souffre donc de rester indécise.

6.2.4 En définitive, l'art. 51 al. 3 LFH doit être compris en ce sens que, au moment où une concession est octroyée, les débits utilisables qui entrent dans le calcul de la puissance théorique déterminante sont les débits utilisables qui peuvent être absorbés par les installations que le concessionnaire est tenu de construire, selon ce que prévoit le texte de la concession, étant rappelé que l'art. 50 al. 1 LFH prohibe la perception d'une redevance durant le délai de construction. Quand une concession de forces hydrauliques est octroyée - comme tel est le cas de la concession Navizence - alors que des installations existent déjà, l'étendue des débits utilisables qui entrent dans le calcul de la puissance théorique dépend donc aussi de savoir ce que prévoit la concession. Si elle prévoit que le concessionnaire doit exécuter des travaux destinés à améliorer la capacité d'absorption des installations existantes, c'est alors la capacité d'absorption des installations (modernisées) qui est déterminante pour le calcul de la puissance théorique, étant précisé qu'aucune redevance ne peut être prélevée durant le délai de construction de ces installations (modernisées) (cf. art. 50 al. 1 LFH). Si, en revanche, la concession ne prévoit pas que le concessionnaire est tenu de réaliser des travaux destinés à améliorer la capacité des installations existantes, ces dernières restent les installations "prévues" dans la concession au sens
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de l'art. 51 al. 3 LFH. Cette solution est cohérente avec le système de la loi fédérale sur les forces hydrauliques, qui tend à faire supporter au concessionnaire précédent la charge de moderniser les installations, dans la perspective de la transmission de l'aménagement à un autre exploitant (cf. art. 69a LFH; supra consid. 4.1.1).

6.2.5 Savoir quelles sont les installations qui sont prévues dans une concession dépend de chaque cas d'espèce et doit donc être déterminé de cas en cas, en interprétant la concession concernée.

7. Les règles d'interprétation des concessions hydrauliques dépendent de la nature de la clause concernée. La concession est en effet, selon la jurisprudence, un acte juridique mixte, composé de clauses bilatérales (ou contractuelles) et de clauses unilatérales (ou décisionnelles; ATF 149 II 320 consid. 5.3; ATF 130 II 18 consid. 3.1; ATF 109 II 76 consid. 2).

7.1 La clause d'une concession qui prévoit les installations qui doivent être construites est une clause bilatérale (JACQUES FOURNIER, Vers un nouveau droit des concessions hydroélectriques, 2002, p. 1534). Ce sont donc les règles d'interprétation applicables aux contrats qui entrent en ligne de compte pour déterminer si la construction d'une nouvelle galerie entre Vissoie et Niouc est prévue dans la Concession.

7.2 En droit suisse des contrats, la question de savoir si les parties ont conclu un accord est soumise au principe de la priorité de la volonté subjective sur la volonté objective (art. 18 CO; ATF 144 III 93 consid. 5.2.1; ATF 123 III 35 consid. 2b; arrêt 4A_502/2022 / 4A_504/2022 du 12 septembre 2023 consid. 3.1.1). Lorsque les parties se sont exprimées de manière concordante (échange de manifestations de volonté concordantes; übereinstimmende Willenserklärungen), qu'elles se sont effectivement comprises et, partant, ont voulu se lier, il y a accord de fait (tatsächlicher Konsens); si au contraire, alors qu'elles se sont comprises, elles ne sont pas parvenues à s'entendre, ce dont elles étaient d'emblée conscientes, il y a un désaccord patent (offener Dissens) et le contrat n'est pas conclu (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1; arrêt 4A_502/2022 / 4A_504/2022 du 12 septembre 2023 consid. 3.1.1). Subsidiairement, si les parties se sont exprimées de manière concordante, mais que l'une ou les deux n'ont pas compris la volonté interne de l'autre, ce dont elles n'étaient pas conscientes dès le début, il y a désaccord latent (versteckter Dissens) et le contrat est conclu dans le sens objectif que l'on peut donner à leurs déclarations de volonté selon le principe de la confiance; en pareil cas,
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l'accord est de droit (ou normatif) (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1; ATF 123 III 35 consid. 2b; arrêt 4A_502/2022 / 4A_504/2022 du 12 septembre 2023 consid. 3.1.1).
Dans un premier temps, le juge doit donc rechercher la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices. Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté - écrites ou orales -, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2 et les arrêts cités; arrêt 4A_502/2022 / 4A_504/2022 du 12 septembre 2023 consid. 3.1.2). Ce n'est que subsidiairement, à savoir si le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties, qu'il doit recourir à l'interprétation normative (ou objective), à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune d'elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre, c'est-à-dire conformément au principe de la confiance (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3; ATF 133 III 61 consid. 2.2.1; ATF 132 III 268 consid. 2.3.2, ATF 132 III 626 consid. 3.1; ATF 130 III 417 consid. 3.2). Le principe de la confiance permet d'imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3; ATF 130 III 417 consid. 3.2 et les arrêts cités). À cet effet, le juge doit d'abord analyser le texte du contrat. Ensuite seulement, il s'intéresse au contexte, qui comprend l'ensemble des circonstances avant et pendant la conclusion, y compris les actes concluants. Il n'est en revanche pas possible de tenir compte de faits qui sont postérieurs à la conclusion du contrat (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3; ATF 133 III 61 consid. 2.2.1).

7.3 En l'occurrence, les juges précédents sont parvenus à la conclusion que la construction d'une galerie entre Vissoie et Niouc faisait partie des installations prévues dans la Concession, parce qu'une "partie diligente placée dans la même situation" que la recourante devait comprendre, à la lecture du rapport de retour de concession de 2001, que la construction d'une nouvelle galerie représentait, avec la construction d'une nouvelle centrale à Chippis, les deux phases d'un même projet de modernisation des installations existantes. Le
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comportement de la recourante confirmait cette lecture. En effet, la recourante avait achevé la construction de la nouvelle centrale en 2013 et amorcé les démarches pour construire une nouvelle galerie d'amenée entre Vissoie et Niouc jusqu'à ce qu'elle décide d'abandonner ce projet en 2015, pour des raisons économiques. Les juges précédents en concluent que "la réalisation d'une nouvelle galerie permettant d'absorber la totalité du débit concédé faisait partie intégrante du plan de modernisation des installations hydroélectriques depuis 2001, soit avant l'acte de concession, et était pleinement d'actualité au moment de la décision d'approbation en 2009, même si aucune date concrète de construction n'avait été arrêtée. Une personne diligente placée dans la même situation aurait donc pu comprendre, au moment de la signature de l'acte de concession, qu'une nouvelle usine et une nouvelle galerie verraient le jour d'ici une dizaine d'années environ et que l'entier de l'eau concédée serait alors utilisable". Cette appréciation concordait aussi avec les termes de la Concession, qui portait sur "toutes" les eaux pour la production d'énergie, et allait aussi dans le sens de l'intérêt public à une utilisation rationnelle des forces hydrauliques, prévue à l'art. 5 LFH. Comme finalement aucun délai n'avait été imposé à la recourante, l'art. 50 LFH n'était pas applicable, de sorte que l'impôt spécial était dû immédiatement sur les eaux déversées.

7.4 Il ressort de cette motivation que les juges précédents ont d'emblée cherché à établir ce qu'une personne diligente placée dans la même situation que la recourante aurait pu comprendre lors de la signature de la Concession, ce qui relève de l'interprétation objective, alors que l'art. 18 CO commande de commencer par rechercher sous l'angle subjectif la réelle et commune intention des parties (supra consid. 7.2). En outre, en cherchant à établir cette volonté objective, les juges précédents se sont également fondés sur des éléments postérieurs à la conclusion de la Concession, alors que ces éléments relèvent exclusivement de la recherche de la volonté subjective des parties (supra consid. 7.2 in fine). C'est donc à juste titre que la recourante reproche aux juges précédents de ne pas avoir interprété la Concession de manière conforme aux règles de l'art. 18 CO.

7.5 Pour savoir si la conclusion à laquelle parviennent les juges précédents peut néanmoins être confirmée, il faut déterminer, sur la base des faits constatés (art. 105 al. 1 LTF) et, le cas échéant, des éléments figurant au dossier (art. 105 al. 2 LTF), s'il y a eu une réelle
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et commune intention des parties quant à l'existence d'une obligation de construire une nouvelle galerie entre Vissoie et Niouc.

7.5.1 Le texte de la Concession ne contient aucune disposition prévoyant la réalisation de travaux de modernisation des installations existantes et, en particulier, aucune disposition prévoyant la construction d'une nouvelle galerie d'amenée entre Vissoie et Niouc. Les juges précédents ont en effet précisément constaté que les seuls travaux mentionnés dans la Concession étaient des travaux de dotation et des mesures de compensation prévus par le rapport d'impact. Il ressort par ailleurs de la lecture de l'ensemble de la Concession (art. 105 al. 2 LTF) que les parties n'ont fait aucune allusion à des travaux de modernisation ou d'agrandissement à effectuer sur les installations existantes, par exemple en faisant référence au rapport de retour de concession de juin 2001. La Concession ne contient en outre aucune clause prévoyant un délai de construction, dont on pourrait inférer l'existence d'une obligation de construire une nouvelle galerie d'amenée entre Vissoie et Niouc (supra consid. 4.1.1). Le seul délai de construction mentionné dans la Concession est celui qui est imparti à la recourante pour procéder aux travaux de dotation et aux mesures de compensation. Or, si une Concession ne prévoit ni une obligation de construire une nouvelle galerie, ni un délai de construction, on voit mal comment on peut en déduire que les parties ont pu vouloir subjectivement que la construction d'une nouvelle galerie soit une obligation pour la recourante, étant précisé que la Concession ne contient pas non plus de disposition prévoyant une conséquence en cas d'inexécution. Par ailleurs, la clause selon laquelle la recourante se voit concéder "toutes" les eaux publiques de la Navizence inférieure et du torrent de Fang pour produire de l'électricité ne peut pas être comprise comme l'expression d'une volonté commune des parties de prévoir que la recourante serait tenue de construire une nouvelle galerie d'amenée entre Vissoie et Niouc. Cette clause se limite en effet à définir l'étendue du droit concédé à la recourante, comme l'exige de manière obligatoire l'art. 54 al. 1 let. b LFH. Il ressort ainsi de manière claire de la Concession que les parties n'ont exprimé aucune volonté commune de prévoir que la recourante serait obligée de procéder à la construction d'une nouvelle galerie entre Vissoie et Niouc.

7.5.2 S'agissant du comportement de la recourante après l'octroi de la Concession, il ressort certes des faits constatés qu'elle a construit une nouvelle centrale en 2013 et qu'elle a entamé des démarches en
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vue de construire une nouvelle galerie entre Vissoie et Niouc dès 2008, ce qui correspond précisément aux travaux de modernisation que le rapport de retour de concession de juin 2001 préconisait afin d'optimaliser la production et d'absorber les eaux déversées. Ce fait ne permet pas pour autant de retenir l'existence d'une volonté commune des parties de considérer que la construction d'une nouvelle galerie entre Vissoie et Niouc serait une obligation pour la recourante. Les démarches de la recourante peuvent tout aussi bien s'expliquer par des considérations purement économiques; il ressort du reste des faits constatés que c'est bien pour des raisons économiques qu'elle a finalement décidé de renoncer à la construction d'une nouvelle galerie qu'elle avait envisagée dès 2008. Par ailleurs, le fait que la recourante a accepté, en 2011, que l'impôt spécial soit prélevé sur la moitié des eaux déversées ne peut pas non plus être compris comme un indice qu'elle s'estimait tenue par une obligation de construire une nouvelle galerie. Il ne s'agissait que d'une solution de compromis trouvée alors que la construction d'une nouvelle galerie entre Vissoie et Niouc était alors concrètement envisagée. Au demeurant, le fait que la question de l'inclusion des eaux déversées dans l'assiette de cet impôt avait vocation à être rediscutée en cas d'abandon de ce projet de construction indique au contraire que la recourante ne s'estimait pas tenue par une telle obligation.
De plus, les juges précédents n'ont pas constaté que la recourante aurait accepté que les eaux déversées soient prises en compte dans le calcul des redevances hydrauliques dues aux communes concédantes dans les concessions Navizence et Gougra concernées par la problématique des eaux déversées.

7.5.3 Il découle de l'interprétation que la construction d'une nouvelle galerie d'amenée entre Vissoie et Niouc ne fait pas partie des installations prévues au sens de l'art. 51 al. 3 LFH. Par conséquent, les eaux déversées ne font pas partie des débits utilisables qui entrent dans le calcul de la puissance théorique.

contenu

document entier
regeste: allemand français italien

Etat de fait

Considérants 4 6 7

références

ATF: 144 III 93, 149 II 320, 123 III 35, 133 III 61 suite...

Article: art. 51 al. 3 LFH, art. 49 al. 1 LFH, art. 18 CO, art. 51 LFH suite...