6B_951/2022 10.08.2023
Avis important:
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_951/2022  
 
 
Arrêt du 10 août 2023  
 
Ire Cour de droit pénal  
 
Composition 
Mme et MM. les Juges fédéraux 
Denys, Juge présidant, Muschietti et van de Graaf. 
Greffière : Mme Livet. 
 
Participants à la procédure 
A.A.________, 
représentée par Me Pierre Ochsner, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
1. Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
2. B.A.________, 
représentée par Me Lorella Bertani, avocate, 
intimés. 
 
Objet 
Séquestration aggravée, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision, du 30 mai 2022 (P/5702/2019 AARP/173/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 30 août 2021, le Tribunal correctionnel de la République et canton de Genève a condamné A.A.________ pour traite d'êtres humains, encouragement à la prostitution, séquestration aggravée, blanchiment d'argent, incitation au séjour illégal et obtention illicite de prestations d'une assurance sociale ou de l'aide sociale, à une peine privative de liberté de 7 ans et à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à 30 fr. l'unité, avec sursis et délai d'épreuve de trois ans, a ordonné son expulsion de Suisse pour une durée de 10 ans et le signalement de l'expulsion au SIS. Il l'a encore condamnée à payer à B.A.________ un montant de 10'000 fr., avec intérêts à 5 % l'an dès le 1 er mars 2016, à titre de réparation du tort moral.  
 
B.  
Statuant sur l'appel formé par A.A.________, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice de la République et canton de Genève l'a rejeté par arrêt du 30 mai 2022. 
En bref, il en ressort les faits, encore pertinents devant le Tribunal fédéral, suivants. 
B.A.________ souffre d'une maladie congénitale. Elle n'a plus la mobilité de ses membres, à l'exception de sa tête, et se déplace en fauteuil roulant muni d'une assistance. A.A.________ lui a été présentée le 30 avril 2013 par une ancienne employée. B.A.________ l'a engagée comme aide à domicile, avant d'arrêter de lui verser un salaire en compensation d'une prise en charge de toute sa famille, arrivée en octobre 2013. A cette période, elles ont décidé de conclure un partenariat enregistré pour permettre à A.A.________ d'obtenir un permis de séjour. 
En décembre 2015, B.A.________ a rejoint A.A.________ à U.________ au Brésil dans l'optique d'y rester deux mois. Après l'écoulement de ce laps de temps, elle a régulièrement demandé à A.A.________ de pouvoir être raccompagnée en Suisse. A.A.________ refusait en trouvant des prétextes et excuses puis en lui criant dessus, n'ayant en réalité aucun désir de rentrer en Suisse mais surtout aucune intention de laisser B.A.________ s'en aller. Celle-ci s'est également adressée à des tiers, qui ont tous refusé de l'aider par peur de A.A.________, à l'exception du frère de cette dernière. Ce dernier lui a finalement permis en janvier 2017, soit plus d'une année après son arrivée au Brésil, de s'enfuir d'un logement dans lequel ils vivaient temporairement. Après avoir réussi à récupérer son passeport resté auprès de A.A.________, elle a pu rentrer en Suisse grâce à l'aide financière du Consulat de Suisse. 
 
C.  
A.A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Elle conclut, avec suite de frais et dépens, principalement, à son acquittement de l'infraction de séquestration aggravée et à la réduction de sa peine afin qu'elle n'excède pas 6 ans de peine privative de liberté, subsidiairement, à son acquittement, à ce qu'il soit dit que son comportement est "tout au plus constitutif d'une tentative impossible d'instigation à séquestration par omission" et à la réduction de sa peine afin qu'elle n'excède pas 6 ans et demi de peine privative de liberté, encore plus subsidiairement, à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. Elle requiert, par ailleurs, l'octroi de l'assistance judiciaire. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité d'appel, auprès de laquelle les faits pourraient être rediscutés librement. Il est lié par les constatations de fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'elles n'aient été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, soit pour l'essentiel de façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. Une décision n'est pas arbitraire du seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation mais aussi dans son résultat (ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1 p. 91 s.; 145 IV 154 consid. 1.1 p. 155 s.; 143 IV 241 consid. 2.3.1 p. 244). En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables. Le Tribunal fédéral n'entre en matière sur les moyens fondés sur la violation de droits fondamentaux, dont l'interdiction de l'arbitraire, que s'ils ont été invoqués et motivés de manière précise (art. 106 al. 2 LTF; ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1 p. 91 s.; 143 IV 500 consid. 1.1 p. 503). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1 p. 91 s.; 145 IV 154 consid. 1.1 p. 155 s.).  
 
1.2. La recourante débute ses écritures par une présentation personnelle des faits. Dans la mesure où elle s'écarte des faits retenus par la cour cantonale ou les complète, sans démontrer que ceux-ci seraient manifestement inexactes ou auraient été arbitrairement omis, son exposé est appellatoire, partant irrecevable.  
 
2.  
La recourante conteste s'être rendue coupable de séquestration. 
 
2.1. Aux termes de l'art. 183 ch. 1 CP, quiconque, sans droit, arrête une personne, la retient prisonnière, ou, de toute autre manière, la prive de sa liberté (al. 1) ou quiconque, en usant de violence, de ruse ou de menace, enlève une personne (al. 2), est puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire. En application de l'art. 184 al. 3 CP, la peine est d'un an au moins si la privation de liberté dure plus de dix jours.  
Le bien juridique protégé par l'art. 183 CP est la liberté de déplacement. La restriction illicite de la liberté de déplacement consiste à empêcher une personne de se rendre ou de se faire conduire, par elle-même, avec des moyens auxiliaires ou avec l'aide de tiers, selon son choix, du lieu où elle se trouve à un autre lieu (ATF 141 IV 10 consid. 4.4.1 p. 13). Il n'est pas nécessaire que la privation de liberté soit de longue durée. Quelques minutes suffisent. Le moyen utilisé pour atteindre le résultat n'est pas déterminant. Une personne peut être séquestrée par le recours à la menace, à la violence, en soustrayant les moyens (par exemple de locomotion) dont elle a besoin pour partir ou encore en la plaçant dans des conditions telles qu'elle se sent dans l'impossibilité de s'en aller (arrêts 6B_808/2022 du 8 mai 2023 consid. 5.1; 6B_543/2022 du 15 février 2023 consid. 5.2; 6B_145/2019 du 28 août 2019 consid. 6.2.2). Pour que l'infraction soit consommée, il n'est pas nécessaire que la victime soit totalement privée de sa liberté; il suffit qu'elle se trouve dans une situation dans laquelle il est difficile ou risqué pour elle de tenter de recouvrer sa liberté (arrêt 6B_543/2022 du 15 février 2023 consid. 5.2 et les références citées). La séquestration est réalisée dès que la victime est concrètement privée de sa liberté de mouvement, même si les entraves imposées ne sont pas insurmontables (ATF 104 IV 170 consid. 3in fine p. 174; plus récemment, arrêts 6B_808/2022 précité consid. 5.1; 6B_543/2022 précité consid. 5.2). 
Sur le plan subjectif, l'infraction requiert l'intention, laquelle doit porter sur tous les éléments constitutifs de l'infraction, y compris l'illicéité. Le dol éventuel suffit (arrêt 6B_543/2022 précité consid. 5.2 et les références citées). 
 
2.2. En substance, la cour cantonale a indiqué que l'intimée n'était pas privée de sa liberté d'aller et venir en raison de son handicap, dans la mesure où certains accessoires techniques, comme un fauteuil roulant spécifique, lui permettaient de se déplacer seule. Toutefois, à l'époque où elle ne disposait que d'un fauteuil mécanique et donc sans assistance, comme c'était le cas au Brésil en 2016, elle s'entourait de personnel qui lui permettait d'exercer sa liberté fondamentale de mouvement. Sans aide, il lui était tout simplement impossible de se déplacer. La recourante était engagée, puis vivait à ses côtés et à sa charge dans le but de lui fournir les soins et de garantir son déplacement, ce qu'elle n'avait jamais nié. En refusant d'accéder à sa demande de rentrer en Suisse et en interdisant à quiconque de l'aider à y retourner, alors que l'intimée était entièrement dépendante d'elle, la recourante avait placé l'intimée dans des conditions telles qu'il lui était impossible de s'en aller, alors que son désir de le faire était manifeste et connu de tous, en particulier de la recourante. La cour cantonale a ainsi estimé que la recourante s'était rendue coupable de séquestration aggravée, car dépassant dix jours.  
 
2.3. La recourante soutient, en substance, que l'état de fait devrait être juridiquement scindé en deux complexes de fait. Dans un premier temps, elle n'aurait pas réagi aux demandes de l'intimée qui aurait souhaité être ramenée en Suisse par la recourante et, dans un second temps, elle aurait dissuadé des tierces personnes de ramener l'intimée en Suisse. S'agissant du premier complexe de fait, il serait reproché à la recourante une abstention qui ne pourrait constituer qu'une commission par omission, nécessitant une position de garant de celle-ci. Or les conditions de l'art. 11 al. 2 let. b à d CP ne seraient pas réalisées, en particulier aucun contrat n'aurait lié l'intimée et la recourante, celle-ci ne s'étant pas engagée à ramener celle-là. Bien qu'une position de garant puisse découler du partenariat enregistré entre les parties, la condition de la double incrimination au sens de l'art. 7 CP ne serait pas réalisée dans la mesure où un tel partenariat n'aurait pas été reconnu en droit brésilien au moment des faits. Quant au deuxième complexe de faits, il s'agirait d'une instigation à une séquestration par omission qui ne serait pas punissable dans la mesure où les tiers n'auraient pas de position de garant.  
Le raisonnement de la recourante ne peut être suivi. Tout d'abord, le complexe de faits ne peut être séparé mais doit s'envisager comme un tout, comme l'a d'ailleurs fait la cour cantonale. Ainsi, il n'est pas uniquement reproché à la recourante de ne pas avoir ramené l'intimée en Suisse mais bien de l'avoir placée dans une position où il lui était impossible de rentrer en Suisse. Contrairement à ce qu'affirme la recourante, l'intimée ne s'est pas rendue au Brésil "par ses propres moyens" mais il ressort des déclarations de l'intimée - jugées crédibles par la cour cantonale contrairement à celles de la recourante (cf. arrêt attaqué, consid. 5.2.1) - que ce sont les enfants de la recourante qui ont accompagné l'intimée jusqu'au Brésil (cf. arrêt attaqué, consid. g.a). En outre, la recourante s'écarte des faits constatés - sans pour autant démontrer l'arbitraire de leur constatation - lorsqu'elle affirme qu'elle ne s'était pas engagée à la ramener en Suisse. A cet égard, il ressort de l'arrêt attaqué qu'il était convenu que les parties restent au Brésil durant deux mois, ce qui était d'ailleurs attesté par le billet d'avion de retour de l'intimée (cf. arrêt attaqué, consid. g.a, 5.2.1 et 5.2.2). Les parties s'étaient d'ailleurs rendues, les trois années précédentes, au Brésil en décembre puis étaient rentrées en Suisse à chaque fois. En outre, comme cela ressort de l'arrêt attaqué, la recourante avait été engagée, puis vivait aux côtés de l'intimée et à sa charge dans le but de lui fournir les soins nécessaires et de garantir son déplacement. Le fait que la recourante n'ait pas eu besoin de déployer des moyens importants pour empêcher l'intimée de rentrer en Suisse, profitant de la sorte du handicap dont l'intimée souffre, n'est pas non plus pertinent. En effet, conformément à la jurisprudence (cf. supra consid. 2.1), le moyen utilisé pour atteindre le résultat n'est pas déterminant. Or, en l'occurrence, en refusant de raccompagner l'intimée en Suisse, alors qu'elle vivait à ses côtés et à sa charge dans le but notamment de garantir ses déplacements, et en interdisant à quiconque de le faire - comportements qui sont actifs et non passifs comme elle le soutient à tort -, la recourante a retiré à l'intimée les moyens nécessaires à son départ. La doctrine largement majoritaire admet d'ailleurs que le fait de priver une personne des accessoires techniques ou des personnes auxiliaires dont elle a besoin pour se déplacer est suffisant pour constituer une séquestration (JOSÉ HURTADO POZO, Droit pénal, partie spéciale, 2009, n o 2541; HANS-PETER EGLI, Freiheitsberaubung, Entführung und Geiselnahme, thèse Zurich 1986, p. 44; voir également TRECHSEL/MONA, in Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 4 e éd. 2021, n o 6 ad art. 183 CP; DELNON/RÜDY, in Basler Kommentar, Strafrecht II, 4 e éd. 2019, n os 20 et 37; ANDREAS DONATSCH, Strafrecht III, 11 e éd. 2018, p. 476; MARC PELLET, in Commentaire romand, Code pénal II, 2017, n o 5 ad art. 183; DUPUIS ET AL., Petit commentaire, Code pénal, 2 e éd. 2017, n o 9 ad art. 183; BERNARD CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, 2010, n o 14 ad art. 183 CP). Par son comportement, la recourante a donc empêché, sans droit, l'intimée de se faire conduire du lieu où elle se trouvait à un autre lieu, la privant ainsi de sa liberté de déplacement.  
Dans la mesure où le comportement reproché à la recourante est un comportement actif, point n'est besoin d'examiner la question de sa position de garant, qui, au demeurant, découlerait notamment, comme elle le soutient elle-même, du partenariat enregistré conclu avec l'intimée (cf. art. 12 LPart). En effet, les obligations découlant d'un tel partenariat étaient régies, au moment des faits, par le droit suisse, conformément à l'art. 48 LDIP (auquel renvoie l'art. 65a LDIP) dans la mesure où les parties avaient leur domicile en Suisse. La reconnaissance du partenariat enregistré au Brésil n'est ainsi d'aucune pertinence sous l'angle de la double incrimination. 
Pour le surplus, la recourante n'invoque l'art. 7 CP qu'en tant que le partenariat enregistré n'aurait pas été reconnu par le droit brésilien au moment des faits. En particulier, elle ne prétend pas que la séquestration ne serait pas punissable en droit brésilien. A tout le moins ne prétend-elle pas qu'il aurait été manifestement insoutenable de le retenir, étant rappelé que le recours en matière pénale ne peut être formé, au sens de l'art. 95 LTF, que pour violation du droit suisse à l'exclusion du droit étranger, si bien que la recourante peut uniquement se plaindre d'arbitraire dans l'application de ce droit, grief qui doit être invoqué et motivé de manière précise conformément aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF (arrêts 6B_251/2021 du 12 novembre 2021 consid. 2.1; 6B_122/2017 du 8 janvier 2019 consid. 5.4 et les références citées). 
Au vu de ce qui précède, c'est à bon droit que la cour cantonale a estimé que la recourante s'était rendue coupable de séquestration aggravée, la recourante ne contestant pas l'application de l'art. 184 CP autrement qu'en requérant son acquittement. 
 
3.  
La recourante ne conclut au prononcé d'une peine plus clémente qu'en relation avec l'acquittement de l'infraction de séquestration aggravée, subsidiairement la qualification de son comportement de "tentative impossible d'instigation à séquestration par omission", qu'elle n'obtient pas, si bien que sa conclusion est sans objet. 
 
4.  
Le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Il était d'emblée dénué de chances de succès. L'assistance judiciaire doit être refusée (art. 64 al. 1 LTF). La recourante supporte les frais de la cause, qui seront fixés en tenant compte de sa situation économique, qui n'apparaît pas favorable (art. 65 al. 2 et 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
La demande d'assistance judiciaire est rejetée. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'200 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision. 
 
 
Lausanne, le 10 août 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Denys 
 
La Greffière : Livet