1C_25/2024 26.04.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_25/2024  
 
 
Arrêt du 26 avril 2024  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Müller et Merz. 
Greffière : Mme Rouiller. 
 
Participants à la procédure 
A.________, représentée par Maîtres Olivier Peter et Céline Moreau, avocats, 
recourante, 
 
contre  
 
Conseil communal de la Ville de Neuchâtel, Faubourg de l'Hôpital 2, 2000 Neuchâtel, 
Département du développement territorial et de l'environnement de la République et canton de Neuchâtel, 
Le Château, rue de la Collégiale 12, 2000 Neuchâtel, représenté par Département de l'économie, de la sécurité et de la culture de la République et canton de Neuchâtel, Service juridique, case postale 1, 2002 Neuchâtel 2. 
 
Objet 
Autorisation de manifester; qualité pour recourir, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de droit public du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel du 24 novembre 2023 (CDP.2023.197-DOPU/dma). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le 18 avril 2023, A.________ a adressé une demande d'autorisation pour une manifestation sur le domaine public au Service de la protection et de la sécurité, domaine public, de la Ville de Neuchâtel; elle souhaitait effectuer un cortège pour la journée de grève et de mobilisation féministe organisée le 14 juin 2023 par le Collectif neuchâtelois pour la grève féministe (ci-après: Collectif pour la grève féministe).  
Le Dicastère du développement technologique, de l'agglomération, de la sécurité et des finances de la Ville de Neuchâtel a octroyé l'autorisation sollicitée, en modifiant toutefois une partie de l'itinéraire du cortège; cette décision a été confirmée par le Conseil communal de la Ville de Neuchâtel (ci-après: Conseil communal) le 7 juin 2023, puis par le Département du développement territorial et de l'environnement (ci-après: Département) le 13 juin 2023. 
 
A.b. Le cortège du 14 juin 2023 ayant emprunté un itinéraire différent de celui autorisé par le Département, une procédure pénale a été ouverte à l'encontre de A.________ par le Ministère public neuchâtelois, notamment pour entrave aux services d'intérêt général.  
 
A.c. Par arrêt du 24 novembre 2023, la Cour de droit public du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel (ci-après: Tribunal cantonal) a déclaré irrecevable le recours formé contre la décision précitée du 13 juin 2023. Il a notamment considéré que A.________ n'était pas partie à la procédure, au motif qu'elle ne serait pas intervenue en son nom personnel, mais uniquement comme représentante du Collectif pour la grève féministe. Il a au surplus estimé que la qualité pour recourir du Collectif pour la grève féministe était douteuse et que celui-ci ne disposait pas d'un intérêt actuel à recourir dès lors que le cortège litigieux avait déjà eu lieu.  
 
B.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public et du recours constitutionnel subsidiaire, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 24 novembre 2023 et de renvoyer la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. 
Le Tribunal cantonal et le Département se réfèrent aux motifs de l'arrêt attaqué et concluent au rejet du recours. La recourante a déposé une nouvelle pièce. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours est dirigé contre une décision d'irrecevabilité prise en dernière instance cantonale dans une cause de droit public au sens de l'art. 82 let. a LTF, sans qu'aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF ne soit réalisée. La voie du recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF est donc ouverte et le recours constitutionnel subsidiaire est de ce fait irrecevable (cf. art. 113 Cst.). 
La recourante dispose d'un intérêt digne de protection à contester l'arrêt d'irrecevabilité rendu à son encontre par le Tribunal cantonal. Partant, la qualité pour recourir doit lui être reconnue (art. 89 al. 1 LTF). En outre, le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes requises (art. 42 LTF). 
Dans le cadre d'une procédure de recours portant sur un prononcé d'irrecevabilité, la partie recourante ne peut conclure qu'à l'annulation de la décision d'irrecevabilité et au renvoi de la cause à l'autorité pour qu'elle entre en matière sur le recours cantonal et statue sur le fond; les conclusions sur le fond ne sont pas recevables (ATF 143 I 344 consid. 4; 138 III 46 consid. 2; arrêt 1C_547/2023 du 21 mars 2024 consid. 1). Partant, les conclusions en constatation de la recourante portant sur le fond de la cause, à savoir sur la liberté de réunion, sont irrecevables. 
 
2.  
La recourante a produit deux pièces nouvelles, datées du 7 et 14 février 2024, relatives à la suspension de la procédure pénale ouverte contre A.________ jusqu'à ce que l'arrêt du Tribunal fédéral dans la présente cause soit rendu. En dépit de l'interdiction de l'art. 99 al. 1 LTF, la recourante fait valoir que ces pièces sont recevables dès lors qu'elles résultent de la décision de l'autorité précédente et déterminent l'actualité de son intérêt à agir. Or, contrairement à ce qu'elle affirme, ces pièces ne sont pas destinées à démontrer la recevabilité du recours auprès de la cour de céans, mais auprès du Tribunal cantonal, ce qui, dans la présente procédure, constitue la question de fond (cf. arrêt 1C_12/2015 du 13 août 2015 consid. 2). Elles sont par conséquent irrecevables et le Tribunal fédéral n'en tiendra pas compte. 
 
3.  
En invoquant l'art. 13 CEDH et une violation du droit à un recours effectif, on comprend que la recourante se plaint d'un déni de justice (art. 29 al. 1 Cst.) au motif que sa qualité de partie a été refusée à tort. Dans ce cadre, elle reproche également à l'instance précédente d'avoir appliqué arbitrairement l'art. 32 de la loi neuchâteloise du 27 juin 1979 sur la procédure et la juridiction administratives (LPJA/NE; RSN 152.130), qui prévoit que toute personne, corporation et établissement de droit public ou commune touchés par la décision et ayant un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée a qualité pour recourir (art. 32 let. a LPJA/NE). 
 
3.1.  
 
3.1.1. Selon la jurisprudence, commet un déni de justice formel et viole l'art. 29 al. 1 Cst. l'autorité qui n'entre pas en matière dans une cause qui lui est soumise dans les formes et délais prescrits, alors qu'elle devrait s'en saisir (ATF 142 II 154 consid. 4.1; 135 I 6 consid. 2.1; arrêt 2C_109/2023 du 4 juillet 2023 consid. 5.1).  
Le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux (ATF 149 IV 9 consid. 7.2; 145 I 201 consid. 4.2.1). A cet égard, elle commande à l'autorité d'éviter de sanctionner par l'irrecevabilité les vices de procédure aisément reconnaissables qui auraient pu être redressés à temps, lorsque celle-ci pouvait s'en rendre compte assez tôt et les signaler utilement à la partie intéressée (ATF 125 I 166 consid. 3a et les références; arrêt 1C_320/2022 du 12 juillet 2022 consid. 2.1). 
 
3.1.2. Le Tribunal fédéral revoit librement l'interprétation et l'application du droit fédéral et du droit constitutionnel cantonal (art. 95 LTF). Il examine en revanche sous l'angle restreint de l'arbitraire l'interprétation et l'application des autres règles du droit cantonal ou communal (ATF 147 I 433 consid. 4.2; 146 II 367 consid. 3.1.5). Dans ce contexte, il incombe à la partie recourante d'exposer une argumentation spécifique qui réponde aux exigences accrues de motivation de l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 149 III 81 consid. 1.3; 146 I 62 consid. 3).  
 
3.2. En l'espèce, l'autorité précédente a considéré que la volonté de la recourante de recourir en son nom personnel faisait défaut et a dès lors déclaré son recours irrecevable. Dans son courriel du 31 mai 2023 au Conseil communal, la recourante avait en effet signé "A.________ pour le Collectif neuchâtelois pour la grève féministe". Au surplus, la procuration annexée au recours déposé devant le Tribunal cantonal était rédigée comme suit: "Collectif pour la Grève féministe (NE) et Syndicat Unia, comparant par A.________".  
 
3.3. En l'occurrence, il est vrai que la volonté de la recourante de recourir en son nom personnel ne ressort pas de manière évidente et systématique de l'ensemble des pièces du dossier. Toutefois, le mémoire de recours au Tribunal cantonal et la réplique y relative contiennent plusieurs indications permettant de conclure que la recourante avait la volonté de participer individuellement à la procédure.  
Ainsi, la page de garde du recours, tout comme celle de la réplique, mentionnent que le recours, respectivement la réplique, sont déposés pour le Collectif neuchâtelois pour la grève féministe et A.________; les deux recourants y sont inscrits l'un sous l'autre, sans qu'il soit mentionné que la seconde ne serait que la représentante du premier ou, contrairement à ce qui apparaît dans la procuration, que le premier agirait par la seconde. Au surplus, les conclusions du recours sont prises au nom "des recourantes" ("[e]xempter les recourantes de tout éventuel frais de recours"; [a]llouer aux recourantes une indemnité [...]"; constater que les droits "des recourantes" ont été violés), ce qui paraît indiquer que le recours est porté par plusieurs entités et non par le seul Collectif pour la grève féministe. 
Dans sa réplique, et en réponse aux observations déposées par la Ville de Neuchâtel, la recourante a soutenu disposer elle-même d'un "intérêt actuel à ce que le recours soit tranché, dans la mesure où une procédure pénale [était] ouverte à son encontre pour ces mêmes faits" (p. 2 de la réplique; cf. également p. 3 de la réplique). Or, il n'est pas contesté que la procédure pénale dont il est question vise la recourante à titre individuel, à l'exclusion du Collectif pour la grève féministe; dès lors que la recourante soutenait disposer, à titre individuel, d'un intérêt actuel pour ce motif, le Tribunal cantonal aurait dû en déduire qu'elle agissait devant lui non seulement comme représentante du Collectif de la grève féministe, mais également en son nom personnel. Il convient encore de relever que la réplique mentionne que les droits fondamentaux "du Collectif de la grève féministe et de sa représentante" auraient été violés (p. 5 de la réplique), établissant ainsi une distinction entre ces deux entités et laissant entendre que les deux entendaient participer à la procédure. 
Pour arriver à la conclusion que la volonté de recourir de la recourante fait défaut, le Tribunal cantonal semble uniquement se fonder sur un courriel de la recourante au Conseil communal et sur la procuration en faveur du mandataire. Il apparaît ainsi qu'il a considéré que la recourante n'était pas partie à la procédure sans toutefois analyser plus avant le mémoire de recours et la réplique déposés devant lui et sans expliquer, par rapport à ces documents, les motifs qui l'auraient conduit à procéder de la sorte. Pourtant, il ressort clairement de ces actes que la recourante était également partie à la procédure devant le Tribunal cantonal. Ce dernier aurait pu, s'il estimait que la procuration produite ne concernait pas la recourante, demander au mandataire la production d'une procuration supplémentaire idoine (cf. art. 13 al. 3 LPJA/NE). 
En tout état, et dans la mesure où la prétendue absence de volonté de la recourante d'agir en son nom personnel pouvait le cas échéant conduire à une décision d'irrecevabilité, on peine à comprendre pour quelle raison l'autorité précédente, si elle estimait que ce point n'était pas clair, n'a pas interpellé la recourante afin de lui permettre de se déterminer à ce sujet. Une telle manière de procéder aurait permis de clarifier la volonté de cette dernière et, partant, de lui reconnaître la qualité de partie dès lors qu'elle apparaît par ailleurs remplir les conditions de l'art. 32 LPJA/NE, notamment au vu de la procédure pénale ouverte à son encontre. En niant à la recourante la qualité de partie, le Tribunal cantonal a commis un déni de justice au sens de l'art. 29 al. 1 Cst. 
 
4.  
Les considérants qui précèdent conduisent à l'admission du recours en matière de droit public. L'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée au Tribunal cantonal pour examen du fond du recours interjeté par la recourante en date du 14 juin 2023. 
La recourante, qui obtient gain de cause avec l'assistance d'avocats, a droit à des dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF), à la charge de la Ville de Neuchâtel et de la République et canton de Neuchâtel. Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 1 et 4 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours constitutionnel subsidiaire est irrecevable. 
 
2.  
Le recours en matière de droit public est admis dans la mesure où il est recevable et l'arrêt attaqué annulé. La cause est renvoyée à l'instance précédente pour examen au fond. 
 
3.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
4.  
Une indemnité de dépens de 2'000 fr. est allouée à la recourante à la charge de la Ville de Neuchâtel et de la République et canton de Neuchâtel. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires de la recourante, au Conseil communal de la Ville de Neuchâtel, ainsi qu'au Département du développement territorial et de l'environnement et à la Cour de droit public du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel. 
 
 
Lausanne, le 26 avril 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
La Greffière : Rouiller