1C_137/2022 24.10.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_137/2022  
 
 
Arrêt du 24 octobre 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Haag et Merz. 
Greffière : Mme Arn. 
 
Participants à la procédure 
Etablissement cantonal d'assurance et de prévention (ECAP), place de la Gare 4, 2002 Neuchâtel 2, 
représenté par Me Sven Engel, avocat, Faubourg du Lac 13, 2000 Neuchâtel, 
recourant, 
 
contre  
 
A.A.________ et B.A.________, tous les deux représentés par Me Jonathan Gretillat, avocat, 
intimés, 
 
Département de l'économie, de la sécurité et de la culture de la République et canton de Neuchâtel, Service juridique, Château, rue de la Collégiale 12, 2000 Neuchâtel. 
 
Objet 
Frais d'intervention, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour de droit public, du 18 janvier 2022 (CDP.2021.25-DIV/yr). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Dans la nuit du 21 au 22 juin 2019, un violent orage dans la partie supérieure du bassin versant du Seyon a provoqué une crue de très grande ampleur à Dombresson et Villiers. Aux alentours de minuit, B.A.________, propriétaire avec son mari A.A.________ du bien-fonds n° 2031 du cadastre de Dombresson, a informé un cadre du Service de défense incendie (ci-après: SDI), présent dans le quartier, que du carbure de calcium, stocké dans un récipient étanche, était entreposé dans leur cave inondée. Il est mentionné dans le rapport d'intervention 2019/487 établi le 7 janvier 2020 que l'intervention est "mise en attente car les événements ne permettent pas de réaliser la mission dans un premier temps". 
Plus tard dans la nuit, des émanations de gaz acétylène ont été senties par B.A.________. Vers 4h45, cette dernière a alors interpellé un sous-officier du SDI présent à proximité. Des mesures effectuées au moyen d'un explosimètre se sont révélées positives. A 5h59, une alarme en matière de défense atomique, biologique et chimique (ABC) a été déclenchée entraînant l'intervention des sapeurs-pompiers du Service d'incendie et de secours de Neuchâtel (ci-après: SISNE) puis, en renfort, des Montagnes neuchâteloises (ci-après: SISMN). 
Selon le rapport d'intervention susmentionné et les différents rapports figurant au dossier, l'intervention s'est terminée respectivement à 17h30 pour les pompiers du SISMN et à 19h pour les pompiers du SISNE (rétablissement en caserne y compris). 
 
B.  
Par courrier du 5 décembre 2019, l'Etablissement cantonal d'assurance et de prévention (ci-après: ECAP) a adressé aux époux A.A.________ une facture de 67'100 frs portant sur les frais d'intervention du 22 juin 2019. Donnant partiellement suite à l'opposition des époux, l'ECAP a établi une nouvelle facture le 17 janvier 2020 qui fixait, après déduction des ressources en personnel et en véhicules facturées à tort, les frais d'intervention à 45'525 frs. 
Le 17 février 2020, les époux A.A.________ ont une nouvelle fois fait opposition à la facture de l'ECAP qui l'a rejetée par décision du 6 mars 2020 aux motifs que la facture correspondait aux moyens requis par la nature de l'intervention et respectait les dispositions légales en vigueur. Ladite décision du 6 mars 2020 était notamment fondée sur la prise de position du 23 février 2020 du Dr Cap C.________ ainsi que du rapport complémentaire du SDI établi le 28 février 2020. 
 
C.  
Saisi par les époux A.A.________ d'un recours contre cette décision, le Département de la justice, de la sécurité et de la culture (ci-après : le département) l'a rejeté par prononcé du 3 décembre 2020. En substance, il a considéré qu'il se justifiait de mettre les frais d'intervention à leur charge, étant donné qu'ils étaient propriétaires du fût de carbure de calcium, que les pompiers avaient agi sans retard et conformément aux règles en vigueur et que les moyens mobilisés et facturés étaient proportionnés à la situation. 
 
D.  
Par arrêt du 18 janvier 2022, la Cour de droit public du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel (ci-après: la cour cantonale ou le Tribunal cantonal) a admis le recours des époux A.A.________, a annulé la décision attaquée, ainsi que celle de l'ECAP du 6 mars 2020 et a renvoyé la cause à l'ECAP pour nouvelle décision dans le sens des considérants. La cour cantonale a appliqué l'art. 15 al. 2 de la loi cantonale du 27 juin 2012 sur la prévention et la défense contre les incendies et les éléments naturels, ainsi que les secours (LPDIENS; RS/NE 861.10) selon lequel les prestations sont en principe facturées au responsable de l'événement qui a nécessité l'engagement des secours. Elle a considéré que les époux A.A.________ devaient être qualifiés de perturbateurs par situation, en leur qualité de propriétaires du bidon, mais également de perturbateurs par comportement au motif qu'ils avaient entreposé ledit bidon dans une cave inondable. Quant au commandement unique des missions de secours (CMS), qui devait répondre du comportement de ses subordonnés, il devait être qualifié de perturbateur par comportement (omission), faute d'avoir pris des mesures concrètes lors du premier signalement de l'épouse B.A.________, en violation du droit cantonal en matière de mission de secours. Les perturbateurs devaient répondre en fonction de leur degré de responsabilité. Par conséquent, la cour cantonale a enjoint l'ECAP d'établir une nouvelle facture qui comprenne exclusivement les frais qu'aurait engendrés une intervention engagée dès le premier signalement de l'épouse B.A.________. 
 
 
E.  
Agissant par la voie du recours de droit administratif, l'ECAP demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt et de confirmer la décision du département. A titre subsidiaire, il conclut au renvoi de la cause pour nouvelle décision au sens des considérants. 
La cour cantonale se réfère à l'arrêt attaqué. Les époux intimés concluent au rejet du recours. Le Département de l'économie, de la sécurité et de la culture conclut à l'admission du recours et à la confirmation de la décision du 3 décembre 2020. Le recourant réplique et les intimés dupliquent. Ces derniers ont transmis deux mémoires d'honoraires de leur avocat. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement les conditions de recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 140 I 90 consid. 1; 139 III 133 consid. 1). 
 
1.1. Le recours est dirigé contre une décision relative aux frais d'intervention des missions de secours, prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine du droit public (art. 82 let. a LTF). La voie du recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF est en principe ouverte.  
L'arrêt attaqué constitue une décision de renvoi à l'ECAP, lequel est chargé, dans le cadre de la gestion du fonds nécessaire au financement des missions de secours, de la facturation des frais d'intervention du CMS (cf. art. 1 de l'arrêté concernant le tarif des interventions des sapeurs-pompiers du 16 février 2015 [RS/NE 861.101]; art. 35 al. 1 du règlement d'application de la loi sur la prévention et la défense contre les incendies et les éléments naturels, ainsi que les secours [RALPDIENS; RS/NE 861.100]). En règle générale, une décision de renvoi ne met pas fin à la procédure et constitue une décision incidente pouvant faire séparément l'objet d'un recours aux conditions prévues à l'art. 93 al. 1 LTF (ATF 144 V 280 consid. 1.2; 139 V 99 consid. 1.3; 135 III 212 consid. 1.2; 133 V 477 consid. 4.2). 
En l'espèce, l'autorité de première instance, soit l'ECAP, est invité à rendre une nouvelle décision de facturation dans le sens voulu par la cour cantonale, à savoir que les époux intimés ne doivent répondre que des frais qu'aurait engendrés une intervention engagée dès leur premier signalement aux environs de minuit. L'arrêt attaqué lie l'autorité de première instance, en tant qu'il retient, contrairement à l'avis de celle-ci, que le commandement unique des missions de secours CMS, en qualité de perturbateur par comportement (omission), est en partie responsable des frais engendrés par l'intervention tardive du 22 juin 2019 et figurant sur la facture litigieuse. On se trouve dès lors dans le cas, constitutif d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, où l'autorité de première instance (qui a mis la totalité des frais d'intervention à la charge des époux intimés) se voit imposer de rendre une décision qu'elle juge contraire au droit, en particulier à l'art. 15 al. 2 LPDIENS selon lequel les prestations sont en principe facturées au responsable de l'événement qui a nécessité l'engagement des secours (cf. ATF 144 IV 377 consid. 1; 128 I 3 consid. 1b et les arrêts cités; cf. arrêt 2C_783/2017 du 25 janvier 2018 consid. 1.3). 
 
1.2. Il convient encore d'examiner si l'ECAP dispose de la qualité pour recourir.  
L'ECAP est un établissement autonome de droit public doté de la personnalité juridique (cf. arrêt 2C_669/2017 du 15 juin 2018 consid. 2.2 et la référence à l'art. 2 al. 2 de la loi neuchâteloise sur la préservation et l'assurance des bâtiments [LAB; RS/NE 863.10]). Hormis l'art. 35 RALPDIENS aux termes duquel l'ECAP gère le fonds nécessaire au financement des missions de secours, l'ECAP, en tant que recourant, ne mentionne aucune autre disposition dont il entend déduire un droit de recours selon l'art. 89 LTF. Le droit des collectivités publiques de former un recours en matière de droit public est visé en premier lieu par l'art. 89 al. 2 LTF (ATF 140 I 90 consid. 1.1). En l'occurrence, le recourant ne fait pas valoir, comme cela lui incombe (cf. ATF 140 I 90 consid. 1.1; arrêt 2C_827/2014 du 1er septembre 2015 consid. 2.3), que les conditions de cette disposition seraient remplies. Dans un tel cas de figure, il y a lieu d'examiner si le recourant peut se prévaloir de l'art. 89 al. 1 LTF qu'il invoque d'ailleurs expressément en l'espèce. Si cette disposition est en premier lieu conçue pour des particuliers, il est admis que les collectivités publiques peuvent s'en prévaloir à certaines conditions qui doivent toutefois être appréciées restrictivement (ATF 141 II 161 consid. 2.1; 140 I 90 consid. 1.2). 
 
1.2.1. Peuvent recourir sur la base de l'art. 89 al. 1 LTF les communes et les collectivités publiques si la décision les atteint de la même manière qu'un particulier, ou du moins de manière analogue, dans leurs intérêts juridiques ou patrimoniaux (ATF 140 I 90 consid. 1.2.1). En l'espèce, le recourant n'est pas touché comme un particulier puisqu'il déclare lui-même qu'il gère le fonds des missions de secours alimenté par le prélèvement d'une contribution auprès des communes proportionnellement à leur population sous déduction des apports éventuels d'autres contributeurs; selon ses explications, le solde de la facture en question devrait être assumé par ce fonds. Il s'ensuit que le recourant ne dispose pas de la qualité pour recourir sous cet angle.  
 
1.2.2. Les communes ou les collectivités publiques sont aussi légitimées à recourir, en application de l'art. 89 al. 1 LTF, si elles sont touchées dans leurs prérogatives de puissance publique et qu'elles disposent d'un intérêt public propre digne de protection à l'annulation ou à la modification de l'acte attaqué. Un intérêt général à une correcte application du droit n'est cependant pas suffisant au regard de cette disposition. N'importe quel intérêt financier découlant directement ou indirectement de l'exécution de tâches d'intérêt public ne permet pas non plus à la collectivité publique de se fonder sur l'art. 89 al. 1 LTF. Il faut qu'elle soit touchée dans des intérêts centraux liés à sa puissance publique (cf. ATF 141 II 161 consid. 2.1 et 138 II 506 consid. 2.1.1 in fine: "erhebliche Betroffenheit in wichtigen öffentlichen Interessen"). L'exigence selon laquelle la collectivité publique doit être affectée de manière qualifiée dans ses intérêts de puissance publique se comprend comme une clause de minimis; celle-ci vise à éviter que le Tribunal fédéral ne doive entrer en matière sur les cas-bagatelle qui sont soulevés par des collectivités publiques ne pouvant pas se fonder sur les voies de recours qui leur sont spécifiquement réservées à l'art. 89 al. 2 LTF. Par conséquent, lorsqu'elle conteste une décision par laquelle une autorité de rang supérieur lui impose une charge financière, une collectivité publique dispose de la qualité pour recourir sur la base de l'art. 89 al. 1 LTF uniquement si elle démontre qu'elle se trouve atteinte dans ses prérogatives de puissance publique et à condition qu'elle établisse que des intérêts publics centraux sont en jeu (ATF 140 I 90 consid. 1.2.2 et 1.2.4, qui a fait l'objet d'une procédure de coordination selon l'art. 23 al. 2 LTF, et les références citées; cf. aussi ATF 141 II 161 consid. 2.3 et les nombreuses références citées). Il ne suffit pas de soutenir que la décision attaquée comporte une atteinte à des prérogatives découlant de la puissance publique, encore faut-il expliquer de manière concrète en quoi consiste ces atteintes et en quoi elles sont de nature à porter un préjudice à l'intérêt public défendu (cf. arrêt 1C_180/2018 du 10 octobre 2018 consid. 1.2.2).  
En l'occurrence, le recourant avance avant tout que la décision du Tribunal cantonal est fausse et que le fonds de mission de secours devra assumer le solde de la facture en question si cette décision devait être maintenue. Ce faisant, il ne démontre pas de manière suffisante que des intérêts publics centraux sont en jeu. Il ne prétend en particulier pas que le fonds des missions de secours serait mis en péril par la décision litigieuse, qui concerne un cas isolé. Il n'allègue pas non plus que la question juridique en cause aurait valeur de précédent pour l'exécution d'une tâche publique. En définitive, il n'apparaît pas - et le recourant ne le démontre pas - que les conditions restrictives posées par la jurisprudence pour un recours devant la Cour de céans seraient réalisées. Cela conduit à l'irrecevabilité du recours à cet égard. 
 
2.  
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être déclaré irrecevable, aux frais de l'ECAP qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). Ce dernier versera en outre des dépens aux intimés, créanciers solidaires (cf. art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF). Sur ce point, le Tribunal fédéral n'est pas tenu par la liste de frais produite par le mandataire des intimés. Les circonstances de l'espèce ne commandent pas de leur allouer des dépens d'un montant supérieur à 3'000 fr. (cf. règlement du 31 mars 2006 sur les dépens alloués à la partie adverse et sur l'indemnité pour la représentation d'office dans les causes portées devant le Tribunal fédéral [RS 173.110.210.3]). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est irrecevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Une indemnité de 3'000 fr. est allouée solidairement aux intimés à titre de dépens, à la charge du recourant. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Département de l'économie, de la sécurité et de la culture de la République et canton de Neuchâtel, et au Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour de droit public. 
 
 
Lausanne, le 24 octobre 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
La Greffière : Arn