4A_150/2023 30.11.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_150/2023  
 
 
Arrêt du 30 novembre 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Jametti, Présidente, Hohl et May Canellas. 
Greffier: M. Botteron. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par 
Me Monica Mitrea, avocate, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________, 
représentée par 
Me Olga Collados Andrade, avocate, 
intimée. 
 
Objet 
Droit du travail, interprétation du contrat; 
 
recours contre l'arrêt rendu le 3 février 2023 par la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud (PT19.002916-221128, 56). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________ (ci-après: la demanderesse ou la recourante) a suivi des études supérieures de sciences économiques avec spécialisation en marketing, à l'université de Bucarest en Roumanie. Elle y a obtenu un titre équivalant à un bachelor universitaire suisse. En Roumanie également, elle a réussi l'examen d'admission au stage pour l'attribution de la qualité d'expert-comptable/comptable agréé. En Suisse, elle a suivi des cours de comptabilité "TQG I et II".  
En termes d'expériences professionnelles, son curriculum vitae fait état d'expériences en tant qu'aide-comptable auprès de plusieurs entreprises en Roumanie, dont une activité de cheffe-comptable entre 2002 et 2012 pour un salaire de 876 fr. par mois, ainsi que d'une activité de comptable en Suisse auprès de C.________, entreprise individuelle dont est titulaire son mari. 
B.________ (ci-après: la défenderesse ou l'intimée) est une entreprise individuelle sise à U.________ dont le but est notamment l'exploitation d'un cabinet fiduciaire et de conseils en gestion. 
 
A.b. La demanderesse a été engagée auprès de la défenderesse dès le 3 janvier 2017. La qualification de ce contrat est litigieuse. La défenderesse a considéré avoir engagé la demanderesse en qualité de stagiaire tandis que la demanderesse soutient avoir voulu conclure un contrat de travail. Les rapports contractuels ont pris fin par la démission avec effet immédiat de la demanderesse, le 21 février 2018. Durant ces quelque quatorze mois, la demanderesse n'a pas perçu de salaire, ni n'en a réclamé.  
Le 27 mars 2018, la demanderesse s'est vu remettre un certificat attestant de la durée des rapports et du fait qu'elle avait effectué un stage professionnel en qualité d'aide-comptable à temps partiel. La demanderesse n'a pas remis en question sa qualification de stagiaire, a remercié B.________ et lui a fait savoir que, s'il avait besoin d'elle à l'avenir, elle serait à sa disposition. 
Par courrier du 9 mai 2018, la demanderesse a interpellé la défenderesse, lui réclamant notamment le paiement d'un salaire. Elle a fondé ses prétentions sur des fiches de salaire qu'elle a elle-même établies sur la base d'un tarif horaire de 40 fr. La défenderesse a écarté les prétentions de la demanderesse par courrier du 14 mai 2018. 
 
A.c. Par courrier du 5 juin 2018, la Caisse de chômage X.________ a invité la défenderesse à remplir le formulaire "attestation de l'employeur", ce que celle-ci a fait le 15 juin 2018.  
Par décision du 21 septembre 2018, la caisse de chômage a rejeté la demande d'indemnité de chômage de la demanderesse. 
 
B.  
 
B.a. Par requête en conciliation du 8 août 2018, puis, suite à l'échec de celle-ci, par demande du 16 janvier 2019, modifiée le 3 avril 2019, la demanderesse a conclu notamment au paiement par la défenderesse, d'un montant de 44'562 fr. 50 brut avec intérêts à 5 % l'an dès le 1er septembre 2017 à titre de salaire, d'un montant de 8'021 fr. 25 avec intérêts à 5 % l'an dès le 1er avril 2019 pour "indemnité pour justes motifs et tort moral", ainsi que d'un montant d'au moins 2'852 fr. par mois dès février 2018 équivalant aux indemnités de chômage non reçues. Elle a en outre conclu au paiement par la défenderesse des cotisations sociales en sa faveur, à ce que celle-ci remplisse l'attestation de l'employeur pour le chômage en indiquant avoir employé la demanderesse en qualité d'aide-comptable professionnelle, et à la délivrance d'un certificat de travail indiquant sa fonction d'aide-comptable, ainsi qu'à la délivrance d'un certificat de salaire, sous menace des sanctions prévues à l'art. 292 CP.  
La défenderesse a conclu à l'irrecevabilité de la demande, subsidiairement à son rejet. 
 
B.b. Par jugement du 22 décembre 2021, le Tribunal civil de l'arrondissement de Lausanne a rejeté la demande en considérant que l'élément principal pour lequel la demanderesse avait fourni sa prestation n'était pas la rémunération mais la formation, que le temps passé auprès de la défenderesse lui avait permis de se familiariser avec les pratiques comptables suisses et d'améliorer ses chances d'être engagée ultérieurement. Le contrat était par conséquent un contrat de stage non rémunéré.  
Par arrêt du 3 février 2023, la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté l'appel interjeté par la demanderesse. La cour cantonale a qualifié la relation de contrat de stage. 
 
C.  
Contre cet arrêt, qui lui a été notifié le 7 février 2023, la recourante a interjeté un recours en matière civile au Tribunal fédéral le 9 mars 2023. Elle conclut en substance à sa réforme en ce sens que la production de preuves, écartées par la cour cantonale pour tardiveté, soit admise, que son contrat soit qualifié de contrat de travail impliquant le paiement d'un salaire et que la cause soit renvoyée à la cour cantonale pour le surplus. Subsidiairement, elle conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants. Elle a en outre présenté une demande d'assistance judiciaire. 
La défenderesse n'a pas été invitée à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) par la partie demanderesse qui a succombé dans ses conclusions (art. 76 al. 1 LTF), contre un arrêt final (art. 90 LTF), rendu sur appel par le Tribunal supérieur du canton de Vaud (art. 75 LTF), dans une affaire civile (art. 72 al. 1 LTF) dont la valeur litigieuse dépasse 15'000 fr. (art. 74 al. 1 let. a LTF), le recours en matière civile est recevable au regard de ces dispositions. 
 
2.  
 
2.1. Le recours en matière civile peut être exercé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 136 I 241 consid. 2.1; 136 II 304 consid. 2.4). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes. Il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser, lorsque celles-ci ne sont plus discutées devant lui (ATF 140 III 86 consid. 2, 115 consid. 2; 137 III 580 consid. 1.3). Par exception à la règle selon laquelle il applique le droit d'office, il n'examine la violation d'un droit constitutionnel que si le grief a été invoqué et motivé de façon détaillée (art. 106 al. 2 LTF; ATF 139 I 22 consid. 2.3; 137 III 580 consid. 1.3; 135 III 397 consid. 1.4 in fine).  
 
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Relèvent de ces faits tant les constatations relatives aux circonstances touchant l'objet du litige que celles concernant le déroulement de la procédure conduite devant l'instance précédente et en première instance, c'est-à-dire les constatations ayant trait aux faits procéduraux (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références citées). Le Tribunal fédéral ne peut rectifier ou compléter les constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes, c'est-à-dire arbitraires (ATF 141 IV 249 consid. 1.3.1; 140 III 115 consid. 2; 135 III 397 consid. 1.5) ou ont été établies en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).  
 
3.  
La recourante se plaint de la qualification erronée de son contrat, lequel a été qualifié de stage non rémunéré et non de contrat de travail. La recourante invoque une violation de l'art. 320 al. 2 CO en lien avec l'art. 18 al. 1 CO
Il convient d'abord de qualifier le contrat conclu par les parties (consid. 4), puis d'examiner si celui-ci viole l'art. 320 al. 2 CO (consid. 5). 
 
4.  
 
4.1. La qualification du contrat est une question de droit (ATF 131 III 217 consid. 3, arrêts 4A_141/2019 du 26 septembre 2019 consid. 4.1, 4A_602/2013 du 27 mars 2014 consid. 3.1); le tribunal examine d'office quelles sont les règles applicables au contrat conclu par les parties et, en particulier, lesquelles sont impératives. La cour cantonale a établi la volonté réelle des parties au moment de l'échange des manifestations de volonté, le contexte général dans lequel cet échange a eu lieu ainsi que la manière dont les parties ont exécuté le contrat.  
 
4.2. La cour cantonale a retenu que la recourante (1) ne disposait pas d'une expérience de 30 ans dans la comptabilité, (2) que selon les témoignages de son collègue D.________, elle n'effectuait pas de travail plus qualifié que les autres stagiaires, (3) qu'elle était même, durant les derniers mois de son activité, uniquement chargée d'effectuer du classement, (4) et qu'elle disposait d'une formation "assez faible" en matière de comptabilité, en tout cas pas supérieure à celle des stagiaires de la défenderesse, (5) qu'elle avait échangé avec un stagiaire de la défenderesse durant son engagement sur le fait qu'elle effectuait elle-même un stage non rémunéré, (6) qu'elle n'avait jamais réclamé un quelconque salaire durant les quelque quatorze mois de son activité, (7) qu'elle n'avait pas contesté son statut de stagiaire décrit dans son certificat de travail, (8) ni réclamé le paiement d'un salaire après la fin des rapports.  
 
4.3. Sur la base de ces constatations, la cour cantonale a retenu que les parties ont voulu conclure un contrat de stage ne comprenant pas de rémunération en espèces.  
La recourante se contente d'invoquer une violation de l'art. 18 CO alors que la volonté réelle des parties ressortit à l'établissement des faits (art. 97 al 1 LTF, art. 9 Cst.). Son grief tombe donc manifestement à faux. 
 
4.4. La recourante tente de remettre en question l'établissement de l'état de fait par la cour cantonale, en particulier lorsqu'elle affirme qu'elle disposait d'une expérience professionnelle qui devait conduire la cour cantonale à penser qu'elle n'aurait pu qu'accepter un contrat de travail rémunéré au vu de ses qualifications et non un stage non payé.  
La recourante ne démontre toutefois aucunement, ni même n'allègue, que la cour cantonale aurait versé dans l'arbitraire en retenant uniquement qu'elle avait déposé un curriculum vitae faisant état de diverses activités de comptable en Roumanie et d'une seule expérience professionnelle en Suisse au sein de l'entreprise de son mari. La cour cantonale s'étant effectivement fondée sur le curriculum vitae produit par la recourante elle-même, elle n'est pas tombée dans l'arbitraire en retenant que l'expérience professionnelle exposée n'était pas suffisante pour démontrer que la recourante aurait uniquement accepté de travailler auprès de l'intimée en échange d'un salaire. 
Quoi qu'il en soit, dès lors que la cour cantonale a retenu d'autres faits témoignant de la volonté réelle de la demanderesse de conclure un contrat de stage non rémunéré, l'expérience professionnelle dont elle se prévaut ne suffit pas à elle seule à contrer la conclusion de la cour cantonale. Par conséquent, l'éventuelle admission du grief d'établissement manifestement inexact des faits sur ce point ne suffirait de toute façon pas à renverser ce qu'a constaté la cour cantonale en fait quant à la manière dont la demanderesse a exécuté le contrat après sa conclusion et qui a servi à l'établissement de la volonté réelle des parties. 
Ainsi, insuffisamment motivé, son grief d'arbitraire est irrecevable (art. 106 al. 2 LTF). 
 
5.  
Il reste à déterminer si l'employeuse pouvait conclure un contrat de stage non rémunéré avec la recourante, sans violer l'art. 320 al. 2 CO
 
5.1. La délimitation entre la qualification de contrat de stage non rémunéré et celle de contrat de stage soumis aux règles du contrat de travail et réalisé en contrepartie d'un salaire (art. 320 al. 2 CO) dépend de l'ensemble des circonstances du cas concret. La liberté des parties de convenir de la gratuité de la prestation du stagiaire est restreinte par l'art. 320 al. 2 CO.  
Un stage échappe au droit du travail lorsqu'il est effectué dans l'intérêt prépondérant du stagiaire, en vue de l'acquisition d'une expérience pratique; tant qu'il existe une justification objective à l'existence du stage et à son absence de rémunération, celui-ci doit être admis, et cela même si la durée est de l'ordre d'une année, voire plus selon les circonstances (JEAN-PHILIPPE DUNAND, Commentaire du contrat de travail, 2e éd. 2022, n. 33 ad art. 319 CO; RÉMY WYLER, Commentaire du contrat de travail, 2e éd. 2022, n. 33 ad art. 320 CO). En revanche, lorsque le maître de stage a un intérêt objectif à la prestation fournie par le stagiaire, l'art. 320 al. 2 CO s'applique: le stage relève alors du contrat de travail et donne droit à un salaire (RÉMY WYLER, op. cit., n. 33 ad art. 320 CO). 
 
5.2. En l'espèce, la cour cantonale a retenu que le stage effectué par la recourante permettait d'apporter une réelle plus-value à son parcours professionnel et qu'il lui avait permis de développer ses connaissances et d'augmenter ses chances d'être engagée ultérieurement. Ces retombées positives du contrat peuvent tout aussi bien résulter d'un contrat de travail. Cependant, la cour cantonale a également retenu que ce contrat avait permis à la recourante de se familiariser avec les pratiques comptables suisses, puisqu'elle n'avait que peu d'expérience pratique en Suisse hormis un emploi auprès de l'entreprise de son mari. Ce dernier critère indique que la recourante avait un intérêt prépondérant à l'exécution du contrat et qu'elle avait accepté un stage non rémunéré en vue de l'acquisition d'une expérience pratique en Suisse.  
La cour cantonale n'a donc pas violé l'art. 320 al. 2 CO en considérant que le contrat conclu étant un stage réalisé dans l'intérêt de la recourante, celui-ci pouvait ne pas être rémunéré. 
 
6.  
La recourante se plaint encore de violation des art. 221 et 229 CPC en ce sens que la cour cantonale aurait rejeté à tort les faits et moyens de preuve nouveaux qu'elle invoquait. 
La recourante a tenté de faire admettre une preuve visant à décrédibiliser le témoignage de D.________, qu'elle qualifiait de partial, ainsi que de faire admettre le témoignage d'un réviseur ayant participé au contrôle des comptes de sociétés établis par la recourante. 
Dans la mesure où elle ne visait par là qu'à contrer le fait qu'elle commettait de nombreuses erreurs dans son travail, et que ce fait n'a pas été décisif pour la cour cantonale, pour retenir qu'elle avait conclu un contrat de stage non rémunéré, la question du manque de diligence ou non de la recourante dans la présentation de ses moyens de preuve nouveaux au sens de l'art. 229 al. 1 let. b CPC peut souffrir de rester indécise. 
 
7.  
En définitive, le recours, manifestement mal fondé aux termes de l'art. 109 al. 2 let. a LTF, doit être rejeté, dans la faible mesure de sa recevabilité. 
Selon l'art. 64 al. 1 LTF, le Tribunal fédéral peut accorder l'assistance judiciaire à une partie à condition que celle-ci ne dispose pas de ressources suffisantes et que ses conclusions ne paraissent pas vouées à l'échec. En l'occurrence, la procédure entreprise devant le Tribunal fédéral n'offrait manifestement aucune chance de succès, ce qui entraîne le rejet de la demande d'assistance judiciaire de la recourante. Elle supportera dès lors les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF). En revanche, elle n'aura pas à indemniser l'intimée, cette dernière n'ayant pas été invitée à déposer une réponse. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
La demande d'assistance judiciaire est rejetée. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
 
Lausanne, le 30 novembre 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
Le Greffier : Botteron