7B_9/2022 22.08.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
7B_9/2022  
 
 
Arrêt du 22 août 2023  
 
IIe Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux, Abrecht, Président, 
Koch et Kölz. 
Greffière : Mme Kropf. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Yann Arnold, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD, 
intimé. 
 
Objet 
Ordonnance de classement (complicité d'abus de confiance, escroquerie); frais et indemnités, arbitraire, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 25 janvier 2022 (n° 28 PE17.017396-JRU). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. B.________, née en 1992, et A.________, né en 1990, auraient eu une relation durant l'année 2014, auraient rompu, puis se seraient remis en couple en 2016. A.________ savait que B.________ était "escort girl", mais leur relation n'était pas tarifée.  
 
A.b. Le 7 septembre 2017, C.________ (ci-après également : la partie plaignante), né en 1947, a déposé plainte pénale contre B.________ - qu'il avait rencontrée dans le cadre des activités professionnelles de celle-ci - pour escroquerie, subsidiairement abus de confiance, ou pour toute autre infraction que l'instruction permettrait d'établir. Il lui reprochait en substance d'avoir profité de ses sentiments amoureux en lui faisant croire qu'elle voulait créer une société de cosmétiques, alors qu'elle aurait en réalité utilisé l'argent pour financer ses dépenses personnelles, voire celles de son ami A.________.  
 
A.c. Une instruction pénale a été ouverte le 13 septembre 2017 contre B.________. Cette procédure a notamment été étendue le 7 août 2019 à A.________, ainsi qu'à D.________. L'instruction a en particulier mis en évidence que la prévenue aurait utilisé une partie de la somme de 450'000 fr., versée par la partie plaignante en juillet 2017 afin de lui permettre en substance de développer sa société de cosmétiques, pour investir, à hauteur de 200'000 fr., dans la société de D.________ (E.________ SA), lequel était un ami de A.________. La prévenue aurait ensuite donné la moitié de ses actions à A.________.  
 
B.  
 
B.a. Par ordonnance du 25 août 2021 - approuvée par le Ministère public central du canton de Vaud le 26 août 2021 -, le Ministère public de l'arrondissement de La Côte (ci-après : le Ministère public) a classé la procédure pénale ouverte notamment contre A.________ pour complicité d'abus de confiance subsidiairement complicité d'escroquerie, ainsi que contre D.________ pour blanchiment d'argent (ch. I). Il a en particulier refusé d'allouer à A.________ des indemnités pour ses frais de défense et en réparation du tort moral (ch. III). Les frais de procédure ont été mis, en ce qui concernait A.________, à sa charge, pour 500 fr. (ch. VI).  
 
B.b. Par arrêt du 25 janvier 2022, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois (ci-après : la Chambre des recours pénale) a notamment rejeté le recours formé par A.________ contre cette ordonnance (ch. I) et mis les frais de la procédure de recours, arrêtés à 1'870 fr., pour moitié à la charge de A.________, par 935 fr. (ch. VI).  
 
C.  
Par acte du 24 mai 2022, A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt, en concluant principalement à sa réforme en ce sens qu'il soit dit 
1. qu'il n'a aucunement provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci, en particulier qu'il n'a adopté aucun comportement fautif ni illicite, 
2. que les frais de la procédure PE17.017396-JRU ne peuvent pas être mis à sa charge et doivent en conséquence être laissés à celle du canton de Vaud, 
3. qu'il a droit à une indemnisation en application de l'art. 429 al. 1 let. a et c CPP et 
4. que l'autorité compétente - la Chambre des recours pénale ou le Ministère public - doit statuer sur ses conclusions en indemnisation prises dans le cadre du recours cantonal pour les procédures de première instance et de recours. 
A titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué, reprend les conclusions 1, 2 et 3 susmentionnées et demande le versement par le canton de Vaud d'une indemnité de 18'186 fr. 83 pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits pour la procédure devant le Ministère public (cf. art. 429 al. 1 let. a CPP), un montant de 4'642 fr. 23 pour ses frais de défense dans la procédure cantonale de recours et l'allocation d'une indemnité en réparation du tort moral de 1'000 fr. (cf. art. 429 al. 1 let. c CPP). Encore plus subsidiairement, le recourant sollicite le renvoi de la cause à l'autorité précédente. 
La cour cantonale a produit le dossier de la cause. Invités à se déterminer, l'autorité précédente et le Ministère public se sont référés aux considérants de l'arrêt attaqué, sans formuler d'observations. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours en matière pénale au Tribunal fédéral au sens de l'art. 78 LTF est recevable contre les décisions finales (art. 90 LTF), les décisions partielles (art. 91 LTF) et les décisions préjudicielles ou incidentes aux conditions prévues par les art. 92 et 93 LTF. En l'occurrence, le classement de la procédure contre le recourant en tant que prévenu n'a pas été remis en cause devant l'instance précédente. Le recours cantonal ne portait en effet que sur la mise à sa charge des frais de procédure et sur le refus du Ministère public de lui allouer des indemnités pour ses frais de défense et en réparation du tort moral prétendument subi. A son égard, l'arrêt attaqué met donc un terme à la procédure au sens pour le moins de l'art. 91 let. b LTF (GRÉGORY BOVEY, in AUBRY GIRARDIN/DONZALLAZ/DENYS/BOVEY/FRÉSARD [édit.], Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, n° 20 s. ad art. 91 LTF). Le recourant dispose en outre d'un intérêt juridique à obtenir l'annulation ou la modification de la décision attaquée (cf. art. 81 al. 1 let. a et b LTF), laquelle confirme les deux éléments précités. 
Pour le surplus, les autres conditions de recevabilité - dont le dépôt en temps utile du recours (cf. art. 100 al. 1 LTF) - étant réunies, il y a lieu d'entrer en matière. 
 
2.  
 
2.1. Invoquant des violations des art. 426 al. 2 et 429 CPP, le recourant reproche à l'autorité précédente d'avoir confirmé la mise à sa charge des frais de la procédure d'instruction le concernant, respectivement le refus de lui allouer des indemnités. Il se plaint notamment sur ces questions d'un établissement arbitraire des faits; en particulier, la cour cantonale n'aurait pas tenu compte de sa situation personnelle (serveur sans formation et sans connaissances dans le domaine des affaires - notamment pour estimer la valeur des investissements par rapport au capital-actions - ou en informatique), de ses sentiments pour la prévenue B.________, des revenus réalisés par celle-ci antérieurement à sa rencontre avec la partie plaignante (entre 15'000 fr. et 30'000 fr. par mois), de son ignorance quant à des obligations d'affectation des fonds reçus par B.________ et de l'absence d'intervention de sa part que ce soit pour la convaincre d'investir dans l'entreprise de son ami ou pour obtenir une partie des actions ensuite acquises.  
 
2.2.  
 
2.2.1. Conformément à l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile sa conduite.  
La condamnation d'un prévenu acquitté ou bénéficiant d'un classement à supporter tout ou partie des frais doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. A cet égard, seul entre en ligne de compte un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés. Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l'imputation des frais, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l'ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d'une application par analogie des principes découlant de l'art. 41 CO. Le fait reproché doit constituer une violation claire de la norme de comportement. Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête. Elle est en tout cas exclue lorsque l'autorité est intervenue par excès de zèle, ensuite d'une mauvaise analyse de la situation ou par précipitation; la mise des frais à la charge du prévenu en cas d'acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l'exception (ATF 144 IV 202 consid. 2.2; arrêt 6B_1169/2022 du 30 juin 2023 consid. 4.1.1). Le juge ne peut fonder sa décision que sur des faits incontestés ou déjà clairement établis (ATF 112 Ia 371 consid. 2a; arrêt 6B_591/2022 du 4 mai 2023 consid. 3.1.2 et les arrêts cités). 
Selon la jurisprudence, un comportement immoral ou contraire au principe de la bonne foi au sens de l'art. 2 CC ne peut en principe pas suffire pour justifier l'intervention des autorités répressives et, partant, entraîner l'imputation des frais au prévenu libéré (arrêt 6B_591/2022 du 4 mai 2023 consid. 3.1.2 et les arrêts cités). 
L'art. 426 al. 2 CPP définit une "Kannvorschrift", en ce sens que le juge n'a pas l'obligation de faire supporter tout ou partie des frais au prévenu libéré des fins de la poursuite pénale, même si les conditions d'une imputation sont réalisées. L'autorité dispose à cet égard d'un large pouvoir d'appréciation que le Tribunal fédéral ne contrôle qu'avec une certaine retenue, en n'intervenant que si l'autorité précédente en abuse (arrêt 6B_74/2022 du 4 mai 2023 consid. 1.1.3). 
 
2.2.2. Selon l'art. 429 al. 1 CPP, si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, il a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (let. a) et à une réparation du tort moral subi en raison d'une atteinte particulièrement grave à sa personnalité, notamment en cas de privation de liberté (let. c). L'autorité pénale peut réduire ou refuser l'indemnité ou la réparation du tort moral notamment lorsque le prévenu a provoqué illicitement et fautivement l'ouverture de la procédure ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci (art. 430 al. 1 let. a CPP).  
L'art. 430 al. 1 let. a CPP est le pendant de l'art. 426 al. 2 CPP en matière de frais. La question de l'indemnisation (art. 429 à 434 CPP) doit être traitée après celle des frais (arrêt 6B_1169/2022 du 30 juin 2023 consid. 4.1.2 et les arrêts cités). Dans cette mesure, la décision sur les frais préjuge de la question de l'indemnisation (ATF 147 IV 47 consid. 4.1; 144 IV 207 consid. 1.8.2). En d'autres termes, si le prévenu supporte les frais en application de l'art. 426 al. 1 ou 2 CPP, une indemnité est en règle générale exclue, alors que le prévenu y a en principe droit si l'État supporte les frais de la procédure pénale (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2; arrêt 6B_1169/2022 du 30 juin 2023 consid. 4.1.2). 
 
2.3. Se fondant notamment sur les déclarations de B.________ du 29 septembre 2017 et de D.________ du 29 novembre 2018, la cour cantonale a constaté que le recourant avait profité de largesses non usuelles de la part de B.________; il savait également qu'elle était généreusement entretenue et d'où provenait l'agent qu'elle désirait investir dans la création de E.________ SA. Selon l'autorité précédente, le recourant avait encouragé B.________ à injecter 200'000 fr., tout en sachant qu'elle ne détiendrait que 6.5 % du capital-actions, ce qui signifiait que la valeur de la société aurait été de 3'076'923 fr. avant même le développement de l'application et le début d'une quelconque activité commerciale. La cour cantonale a considéré que, dans ces conditions, le recourant aurait dû se rendre compte que son attitude illicite et fautive - consistant à inciter B.________ à investir de manière conséquente et complétement hasardeuse dans la société de son ami D.________ - risquait de provoquer l'ouverture d'une enquête pénale et était donc propre à causer un dommage à la collectivité; un tel comportement permettait de lui faire supporter les frais de la procédure et de rejeter sa demande d'indemnité pour ses frais de défense, ainsi qu'en réparation du tort moral (cf. consid. 2.3 p. 8 ss.).  
 
2.4. Ce raisonnement ne saurait cependant être suivi.  
 
2.4.1. Il est tout d'abord établi que le recourant connaissait la nature de l'activité professionnelle de son amie et savait également que la partie plaignante était l'un de ses clients. L'origine des revenus de B.________ ne saurait cependant suffire dans le présent cas pour considérer que le recourant, qui était alors son compagnon, aurait eu un comportement susceptible de provoquer une instruction pénale. Cette conclusion s'impose également s'agissant de la valeur des cadeaux reçus par le recourant (cf. notamment les 10'000 fr. reçus, le voyage au Mexique effectué et le paiement d'une facture de dentiste). En effet, il paraît incontesté que, dans le cadre de son activité professionnelle, B.________ était "généreusement entretenue" (cf. consid. 2.3 p. 9 de l'arrêt entrepris). Dès lors, dans la mesure où il semble avéré qu'elle avait des sentiments pour le recourant, elle pouvait avoir envie qu'il en bénéficie également, sans que cela impose au recourant de vérifier à chaque présent que celui-ci ait été pu être acquis en raison de prestations conformes aux activités professionnelles exercées par son amie. Il ne ressort d'ailleurs pas des propos relevés par la cour cantonale (cf. consid. 2.3 p. 8 de l'arrêt attaqué) que B.________ aurait déclaré avoir subi des pressions du recourant pour obtenir une part de ses revenus.  
 
2.4.2. Si l'arrêt attaqué constate ensuite que le recourant était à l'origine de la rencontre de B.________ avec D.________, notamment en vue d'un investissement par la première dans la société du second (cf. en particulier les déclarations des deux derniers cités telles qu'exposées au consid. 2.3 p. 8 s. de l'arrêt attaqué), rien ne permet de retenir que le recourant l'aurait incitée à investir dans la société E.________ SA ni à lui remettre par la suite une partie des actions ainsi acquises. On rappellera d'ailleurs que, dans son ordonnance de classement, le Ministère public a retenu pour classer la procédure contre le recourant que celui-ci n'avait "pas non plus profité d'une partie de cette somme en [...] connaissant la provenance délictueuse" (cf. p. 6 de cette ordonnance). Sauf à revenir sur cette affirmation, tel ne saurait donc être le cas au moment de statuer sur les frais.  
 
2.4.3. Dans ces circonstances, le seul fait que le recourant ait entretenu une relation - même peut-être moins passionnée de sa part - avec une "escort girl" alors que celle-ci poursuivait cette activité en parallèle ne saurait donc suffire à démontrer un comportement fautif créant l'apparence d'une infraction. La cour cantonale ne fait d'ailleurs état d'aucune norme de comportement résultant de l'ordre juridique suisse que le recourant aurait violée, étant également rappelé qu'un comportement contraire à la bonne foi ne suffit pas. Par conséquent, la cour cantonale a violé le droit fédéral en confirmant la mise à la charge du recourant des frais de la procédure le concernant en application de l'art. 426 al. 2 CPP ainsi que le refus de toute indemnité (cf. art. 429 al. 1 let. a ou c CPP).  
 
3.  
Il s'ensuit que le recours doit être admis. L'arrêt attaqué doit être annulé en tant qu'il rejette le recours formé par le recourant et met les frais de la procédure cantonale de recours pour moitié à sa charge (cf. ch. I et VI du dispositif de l'arrêt attaqué). La cause sera renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision sur les frais de la procédure d'instruction concernant le recourant, sur ses prétentions en indemnité, ainsi que sur les frais et sur l'indemnité pour les dépenses occasionnées par ladite procédure pour le recourant. 
Il ne sera pas perçu de frais judiciaires (cf. art. 66 al. 4 LTF). Le recourant, qui obtient gain de cause avec un avocat, a droit à des dépens à la charge du canton de Vaud (cf. art. 68 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois du 25 janvier 2022 est annulé en tant qu'il rejette le recours formé par le recourant et met les frais de la procédure cantonale de recours pour moitié à sa charge. La cause est renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. 
 
2.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.  
Une indemnité de dépens, arrêtée à 2'500 fr., est allouée au recourant à la charge du canton de Vaud. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
 
Lausanne, le 22 août 2023 
 
Au nom de la IIe Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Abrecht 
 
La Greffière : Kropf