1C_294/2022 24.11.2022
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_294/2022  
 
 
Arrêt du 24 novembre 2022  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix et Pont Veuthey, Juge suppléante. 
Greffier : M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
A.A.________, 
B.A.________, 
tous les deux représentés par Me Yves Nicole, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
Office fédéral des routes, 
Service juridique, case postale, 3003 Berne, 
Département fédéral de l'environnement, 
des transports, de l'énergie et de la communication, Palais fédéral Nord, 3003 Berne. 
 
Objet 
Route nationale; alignements, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour I du Tribunal administratif fédéral, du 1er avril 2022 (A-321/2020). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.A.________ et B.A.________ sont propriétaires en commun de la parcelle n° 2983 du Registre foncier de la commune de Puidoux. B.A.________ est en outre propriétaire de la parcelle n° 2988. Les deux biens-fonds sont traversés en sous-sol par la route nationale N09 (autoroute A5) qui passe dans les deux tunnels du Flonzaley. 
Le 9 janvier 2019, l'Office fédéral des routes (OFROU) a demandé au Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC) l'approbation du projet définitif "N01/N09/N12 Vaud Mise au point des alignements communes d'Ecublens à Bex". Après le transfert, le 1er janvier 2008, de la propriété des routes nationales des cantons à la Confédération, l'ensemble des alignements de ces routes ont été revus et numérisés, afin d'être publiés dans le cadastre des restrictions de droit public à la propriété foncière. Le projet prévoit de nouveaux alignements fixés à 20 m du bord extérieur de la voûte des tunnels. Il a suscité l'opposition, notamment, des consorts A.________, lesquels considéraient en substance que les alignements existants étaient suffisants et que ceux projetés ne reposaient pas sur une base légale et portaient une atteinte disproportionnée à la garantie de la propriété. 
Par décision du 29 novembre 2019, le DETEC a approuvé le projet, rejetant notamment l'opposition des consorts A.________. Les alignements étaient destinés à assurer un éventuel élargissement des tunnels et ne représentaient pas des zones inconstructibles. Les droits des propriétaires étaient uniquement restreints dans la mesure où ceux-ci devaient consulter l'OFROU lors d'un éventuel projet de construction. Les alignements servaient à protéger les tunnels du Flonzaley, lesquels présentaient une faible épaisseur entre la voûte et la surface de terrain située au-dessus. Le préavis de l'OFROU serait en principe favorable à d'éventuels projets de construction ne mettant pas en danger cette infrastructure. 
 
B.  
Par arrêt du 1er avril 2022, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a rejeté le recours formé par les consorts A.________, après avoir rejeté - respectivement déclaré sans objet - leurs offres de preuves (production d'un relevé géologique, plan des travaux à réaliser, audition de témoin, relevés précis de la profondeur et de l'emprise des tracés). Les alignements destinés aux infrastructures routières reposaient sur les art. 22 à 25 de la loi fédérale sur les routes nationales (LRN, RS 725.11) et l'art. 13 de l'ordonnance fédérale sur les routes nationales (ORN, RS 725.111), y compris lorsque, comme en l'espèce, ils se déployaient verticalement sans limite. Ils étaient en outre justifiés par l'intérêt public lié notamment à la sécurité du trafic et permettaient à l'OFROU de se prononcer dans le cadre de projets de constructions pouvant affecter l'infrastructure routière. Ils n'équivalaient pas à une interdiction de construire absolue. Dans la mesure où l'épaisseur du terrain au-dessus des tunnels variait entre 60 m et 40, voire 20 m, il ne se justifiait pas de limiter l'étendue verticale des alignements. La situation différait sur ce point de celle du tunnel de Glion et n'y avait dès lors pas d'inégalité de traitement. 
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.A.________ et B.A.________ demandent au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt du TAF en ce sens que leur recours contre la décision du DETEC est admis; leur opposition est admise et les alignements sur leurs parcelles sont supprimés. Subsidiairement, ils concluent au renvoi de la cause au TAF pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Ils demandent l'effet suspensif, qui a été refusé par ordonnance du 20 juin 2022. 
Le TAF se réfère à son arrêt, sans observations. L'OFROU conclut au rejet du recours. Dans leur dernière écriture, les recourants persistent dans leurs griefs et leurs conclusions. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
L'arrêt attaqué a été rendu par le Tribunal administratif fédéral dans une cause de droit public au sens de l'art. 82 let. a LTF. Aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'est réalisée, de sorte que la voie du recours en matière de droit public est ouverte (art. 82 à 89 LTF). 
En tant que participants à la procédure devant l'instance précédente et propriétaires de parcelles directement concernées par le plan d'alignement, les recourants ont manifestement qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Les autres conditions de recevabilité sont réunies, si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière. 
 
 
2.  
Dans un grief d'ordre formel, les recourants reprochent au TAF d'avoir refusé d'ordonner la réalisation d'un profil géologique des tunnels afin de comparer leur situation à celle des parcelles situées sur les tunnels de Glion, et de définir les risques liés à la réalisation de constructions ou d'installations sur leurs parcelles. Le seul document figurant au dossier ("Alignements le long des routes nationales; Standard - rapport contenant les bases de modification", approuvé le 22 février 2013, ci-après: le standard) serait sujet à caution puisqu'il émane d'une société (aujourd'hui dissoute) dont l'associé-gérant était un fonctionnaire de l'OFROU. Ce document lui-même évoque la possibilité de limiter l'emprise verticale des alignements, sans que cette question n'ait été examinée par la suite. 
 
2.1. Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour la personne intéressée de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s'exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. Selon la jurisprudence, le droit d'être entendu n'empêche toutefois pas l'autorité de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1; 140 I 285 consid. 6.3.1).  
 
2.2. Le TAF a admis (consid. 3.4.3 de l'arrêt attaqué) que la profondeur, l'emprise et le tracé des tunnels ne ressortaient pas avec exactitude du dossier. Toutefois, des mesures approximatives de la profondeur et de la couverture de terrain au-dessus des tunnels étaient suffisantes pour se faire une idée des faits pertinents et comparer les situations entre elles. Tant l'OFROU que les recourants avaient produit des documents explicitant la situation (trois extraits du guichet cartographique cantonal avec courbes de niveaux pour les tunnels de Flonzaley, un extrait du guichet cartographique cantonal avec courbes de niveaux pour les tunnels de Glion, annexes au recours du 16 janvier 2020; une analyse des altitudes des tunnels de Glion ainsi que de leurs alignements jointe à la réplique du 28 avril 2020; deux schémas comparatifs du profil en long des tunnels de Flonzaley et de Glion, respectivement de l'épaisseur des terrains au-dessus de ces tunnels, annexes à la duplique de l'OFROU du 19 mai 2020; plan des tunnels du Flonzaley, annexé à la détermination de l'OFROU du 28 juillet 2021; relevé en coupe perpendiculaire aux tunnels, joint à la détermination des recourants du 21 septembre 2021; plan 1 sur 2 de la Commune de Puidoux, pièce n° 37 du projet de l'OFROU; plans 4 sur 5 et 5 sur 5 de la Commune de Montreux, pièces nos 57 et 58 du projet de l'OFROU; profil en long avec indication des alignements verticaux, Commune de Montreux - Tunnel de Glion, pièce n° 83 du projet de l'OFROU). Le TAF a ainsi retenu que les parcelles des recourants n'étaient pas plates et qu'il existait une déclivité entre les portails est et ouest des tunnels. Ainsi, si l'OFROU admettait que la couche de terrain atteignait 60 m en certains endroits, cette épaisseur diminuait ensuite à 40 m, voire à 20 m.  
Les recourants ne contestent nullement ces constatations de fait, ni le caractère suffisant des pièces sur lesquelles elles reposent. Leur argument concerne uniquement le standard du 22 février 2013, lequel ne constitue toutefois qu'une directive générale sur la manière de fixer les alignements, et nullement un rapport sur la situation concrète dans le cas d'espèce. Leur grief porte dès lors à faux et le TAF pouvait à juste titre s'estimer suffisamment renseigné au vu des pièces produites; son refus d'instruction ne viole nullement le droit d'être entendu des recourants. 
 
3.  
Sur le fond, les recourants invoquent la garantie de la propriété (art. 26 Cst.). Ils estiment que les alignements, inscrits au cadastre des restrictions de droit public à la propriété foncière, introduiraient un régime très restrictif pour les constructions sur leurs parcelles et auraient aussi une incidence sur une future révision du plan d'affectation puisqu'ils pourraient constituer un argument décisif pour refuser un classement en zone à bâtir. L'atteinte au droit de propriété serait importante et ne reposerait pas sur une base légale suffisante, les art. 22 et 23 de la loi fédérale sur les routes nationales (LRN, RS 725.11) ne prévoyant pas d'alignements verticaux. L'art. 13 al. 3 de l'ordonnance sur les roues nationales (ORN, RS 725.111), interprété a contrario pour justifier une telle mesure, ne reposerait pas sur une délégation législative suffisante; il serait d'ailleurs douteux que cette disposition s'applique aux tunnels. Sous l'angle de la proportionnalité, les alignements litigieux ne présenteraient pas d'utilité dès lors que le terrain présente au-dessus des ouvrages une épaisseur de 80 m et qu'il n'y aurait ainsi aucun risque pour ceux-ci. Les recourants relèvent qu'ils s'étaient déclarés prêts à faire inscrire une servitude prévoyant l'interdiction d'implanter des sondes géothermiques, ce qui serait une mesure suffisante. 
 
3.1. La garantie de la propriété est ancrée à l'art. 26 al. 1 Cst. Elle n'est toutefois pas absolue. Comme tout droit fondamental, elle peut être restreinte aux conditions fixées à l'art. 36 Cst. La restriction doit ainsi reposer sur une base légale (al. 1), être justifiée par un intérêt public (al. 2) et respecter le principe de la proportionnalité (al. 3). Lorsque l'atteinte au droit de propriété est grave, la base légale doit être formelle et elle doit en outre être claire et précise (ATF 147 I 393 consid. 5.1.1 et les arrêts cités).  
 
3.2. Comme le relève le TAF, l'atteinte au droit de propriété causée par les alignements litigieux ne saurait être qualifiée de grave. Elle n'équivaut en effet pas à une quelconque interdiction de construire et impose uniquement que l'OFROU soit informé préalablement à tout projet de construction afin qu'il se détermine sur la compatibilité de celui-ci avec l'infrastructure routière située en-dessous. Les alignements ne font donc que garantir un droit d'intervention de l'OFROU, sous forme d'un préavis, et ne consacrent, contrairement à ce que prétendent les recourants, aucune restriction directe au droit de construire, ni aucun obstacle à un éventuel classement en zone à bâtir. Cela étant, les art. 22 à 24 LRN représentent un fondement légal suffisant à de telles mesures.  
Selon l'art. 22 LRN, les projets définitifs doivent fixer les alignements des deux côtés de la route projetée. Lors de cette fixation, il sera notamment tenu compte des exigences de la sécurité du trafic et de celles de l'hygiène des habitations, ainsi que de la nécessité d'un élargissement éventuel de la route dans l'avenir. Selon l'art. 23 al. 1 LRN, il est interdit d'élever, sans autorisation, de nouvelles constructions entre les alignements et d'y transformer des immeubles existants, même s'ils ne débordent que partiellement sur les alignements. Les travaux nécessités par l'entretien d'un immeuble ne sont pas considérés comme des transformations au sens de la présente disposition. L'art. 24 al. 1 LRN prévoit en outre que, sous réserve de dispositions cantonales plus rigoureuses, des travaux de construction doivent être autorisés à l'intérieur des alignements lorsqu'ils ne portent pas atteinte à des intérêts publics au sens de l'art. 22. Les autorités désignées par les cantons statuent sur les demandes d'autorisation de construire. L'autorité cantonale entend l'office avant de délivrer l'autorisation. Ce dernier est habilité à user de toutes les voies de recours prévues par le droit fédéral et le droit cantonal contre les décisions rendues par les autorités cantonales en application de la présente loi ou de ses dispositions d'exécution (al. 2). 
Au sens de ces dispositions, les alignements s'appliquent ainsi à tout projet de construction ou d'installation qui empiéterait totalement ou partiellement sur la surface qu'ils délimitent, indépendamment de sa hauteur, respectivement de sa profondeur. S'agissant d'une infrastructure routière souterraine, les alignements doivent en principe, pour atteindre le but prescrit à l'art. 22 LRN, déployer leur effet jusqu'aux terrains qui les recouvrent. L'art. 13 al. 3 ORN vient - a contrario - confirmer cette appréciation dès lors qu'il prévoit notamment que "les alignements peuvent être limités verticalement". C'est dès lors à tort que les recourants se plaignent d'un défaut de base légale suffisante. 
 
3.3. Sous l'angle de la proportionnalité, l'arrêt attaqué répond également aux objections des recourants. Ceux-ci affirment que le terrain situé au-dessus des tunnels aurait une épaisseur de 80 m. Le TAF a toutefois constaté que la couche de terrain était de 60 m pour une partie des parcelles, et qu'elle se réduisait rapidement à 40 m, voire à 20 m, de sorte qu'une limitation de la hauteur des alignements ne se justifiait pas. Comme cela est relevé ci-dessus, les recourants ne tentent pas d'établir que cette constatation de fait serait arbitraire.  
Selon le standard de l'OFROU, les sous-sols sont de plus en plus fréquemment utilisés pour des sondes géothermiques et des nappes de tubes pour la récupération de la chaleur; dans le cas des tunnels routiers, il faut particulièrement prendre en compte la préservation de la fonctionnalité de l'effet porteur de la montagne (p. 12, let. b). L'effet des alignements ne doit en principe pas être limité à la verticale, les exceptions ne devant être utilisées qu'avec retenue (p. 10, règle 4), et décidées au cas par cas (let. b3). Les alignements litigieux correspondent à ces exigences et, compte tenu de l'épaisseur réduite par endroits, la renonciation à une limitation verticale apparaît admissible et conforme à la règle d'aptitude. Elle satisfait aussi au principe de nécessité: la proposition des recourants d'inscrire une servitude pour empêcher l'implantation de sondes géothermiques ne tient pas compte des autres installations souterraines possibles (l'arrêt attaqué évoque les nappes de tubes pour la récupération de la chaleur et n'exclut pas, à juste titre, que d'autres types d'installations soient envisageables à l'avenir); en outre, une interdiction absolue de certaines installations souterraines constitue une atteinte plus grave à la propriété des recourants puisqu'il n'est pas exclu, après examen de l'OFROU et en fonction notamment de l'épaisseur du terrain à l'endroit considéré, que de telles installations apparaissent compatibles avec la préservation de l'ouvrage. Dans un tel cas, l'autorité fédérale est tenue, selon l'art. 24 al. 1 LRN, d'accorder son autorisation. 
Au regard de l'atteinte limitée aux droits des recourants, le principe de la proportionnalité au sens étroit est lui aussi respecté. Le grief doit par conséquent être rejeté. 
 
4.  
Les recourants invoquent enfin le droit à l'égalité de traitement (art. 8 Cst.) en rapport avec les parcelles situées au-dessus des tunnels de Glion, pour lesquelles l'effet de l'alignement a été limité à 30 m. Ils se contentent toutefois d'affirmer que l'épaisseur moindre du terrain dans le cas des tunnels du Flonzaley ne justifierait pas une différence de traitement. Comme on l'a vu ci-dessus, l'épaisseur du terrain au-dessus de l'ouvrage constitue au contraire un élément déterminant dans la perspective d'une éventuelle limitation des alignements. Les différences de situation entre les deux ouvrages (l'épaisseur de terrain est de 100 m en moyenne au-dessus des tunnels de Glion) justifient ainsi la différence de traitement et le grief des recourants, pour autant qu'il soit suffisamment motivé, doit lui aussi être écarté. 
 
5.  
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. Les frais judiciaires sont mis à la charge des recourants, conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, et il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge des recourants. Il n'est pas alloué de dépens. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourants, à l'Office fédéral des routes, au Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication, et à la Cour I du Tribunal administratif fédéral. 
 
 
Lausanne, le 24 novembre 2022 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
Le Greffier : Kurz