4A_332/2022 27.10.2022
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_332/2022  
 
 
Arrêt du 27 octobre 2022  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Hohl, Présidente, Kiss et May Canellas. 
Greffière: Mme Raetz. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Me Ariane Ayer, avocate, 
recourante, 
 
contre 
 
B.________, 
représenté par Me Trevor J. Purdie, avocat, 
intimé. 
 
Objet 
contrat de travail; suspension de la procédure, 
 
recours contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2022 par la IIe Cour d'appel civil du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg (102 2022 89). 
 
 
Faits :  
 
A.  
En 2016, B.________ et d'autres investisseurs ont fondé le centre A1.________ SA, dont la raison sociale est devenue par la suite A.________ SA. Il occupait alors le poste d'administrateur président. De plus, il a été employé de la société du 1er janvier 2017 au 31 août 2020 en qualité de directeur administratif. Il avait pour tâche de gérer, en particulier, les questions financières. Par la suite, la société a résilié son contrat de travail et a révoqué ses mandats de président et d'administrateur. 
 
B.  
 
B.a. Le 27 octobre 2021, B.________ (ci-après: l'employé) a saisi le Tribunal des prud'hommes de l'arrondissement de la Sarine d'une demande tendant au paiement par A.________ SA (ci-après: l'employeuse) d'un montant total de 245'789 fr. 85 avec intérêts, correspondant à des salaires et des vacances impayés.  
L'employeuse a conclu au rejet de la demande et, reconventionnellement, à ce que l'employé soit condamné à lui verser la somme de 285'000 fr. avec intérêts, à titre de dommages-intérêts. Subsidiairement, elle a conclu à la compensation des créances. Au préalable, elle a requis la suspension de la procédure prud'homale jusqu'à droit connu sur la procédure pénale ouverte à l'encontre de l'employé, et le versement du dossier pénal au dossier prud'homal. Elle a allégué que six plaintes pénales avaient été déposées à l'encontre de l'employé pour abus de confiance, escroquerie, faux renseignements sur les entreprises commerciales et gestion déloyale, par l'employeuse, deux particuliers, ainsi que deux sociétés commerciales qui avaient investi dans l'employeuse lorsque l'intéressé en était administrateur, président et directeur. L'employeuse a reproché à ce dernier d'avoir commis des manquements graves dans la gestion de la société et des malversations, lui causant un préjudice important. Elle a fait valoir la compensation des créances réclamées par l'employé avec les dommages qu'elle aurait subis du fait du caractère pénalement répréhensible des activités de celui-ci. 
L'employé a conclu au rejet de la requête de suspension. 
Par ordonnance du 12 mai 2022, la Présidente du tribunal a rejeté cette requête. 
 
B.b. Par arrêt du 7 juillet 2022, la IIe Cour d'appel civil du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg a déclaré irrecevable le recours interjeté par l'employeuse à l'encontre de cette ordonnance. Elle a considéré que le refus de suspendre la procédure prud'homale n'occasionnerait pas un préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC. A supposer recevable, le recours devait être rejeté.  
 
C.  
L'employeuse (ci-après: la recourante) a exercé un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre cet arrêt, assorti d'une requête d'effet suspensif. Elle a conclu à son annulation, à ce que la requête de suspension de la procédure soit admise, et à ce que la procédure prud'homale soit suspendue jusqu'à droit jugé dans la procédure pénale. Subsidiairement, elle a conclu au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants. 
Dans sa réponse, l'employé (ci-après: l'intimé) a conclu principalement à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. 
La cour cantonale ne s'est pas déterminée sur le fond, bien qu'invitée à le faire. 
Par ordonnance du 30 août 2022, l'effet suspensif a été conféré au recours. 
La recourante a indiqué ne pas avoir d'observation complémentaire à formuler. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 145 I 239 consid. 2). 
 
1.1. Selon l'art. 90 LTF, le recours au Tribunal fédéral n'est en principe recevable que contre les décisions qui mettent fin à la procédure, dites décisions finales; un recours séparé contre des décisions préjudicielles ou incidentes, hormis celles portant sur la compétence ou la récusation visées par l'art. 92 LTF, n'est recevable qu'aux conditions spécifiques prévues par l'art. 93 LTF.  
L'ordonnance refusant la suspension de la procédure n'a pas terminé l'instance introduite devant le tribunal de première instance; ce prononcé est au contraire incident aux termes de l'art. 93 al. 1 LTF. L'arrêt de la cour cantonale a terminé l'instance introduite devant elle; néanmoins, parce que le recours à l'origine de cet arrêt était dirigé contre une décision incidente, l'arrêt revêt lui aussi le caractère d'une décision incidente selon l'art. 93 al. 1 LTF (ATF 142 III 653 consid. 1.1). 
L'hypothèse visée par l'art. 93 al. 1 let. b LTF n'entrant pas en ligne de compte, le recours en matière civile n'est recevable que si la décision incidente peut causer un préjudice irréparable aux termes de l'art. 93 al. 1 let. a LTF
Un préjudice irréparable n'est réalisé que lorsque la partie recourante subit un dommage qu'une décision favorable sur le fond ne fera pas disparaître complètement; il faut en outre un dommage de nature juridique, tandis qu'un inconvénient seulement matériel, résultant par exemple d'un accroissement de la durée et des frais de la procédure, est insuffisant (ATF 144 III 475 consid. 1.2; 142 III 798 consid. 2.2; 141 III 80 consid. 1.2). Il incombe au recourant de démontrer l'existence d'un tel préjudice lorsque celui-ci n'est pas d'emblée évident (ATF 141 III 80 consid. 1.2; 138 III 46 consid. 1.2; 137 III 522 consid. 1.3). 
 
1.2. En l'espèce, la recourante fait valoir que l'arrêt querellé, refusant de suspendre la procédure prud'homale, est de nature à lui causer un préjudice irréparable. Elle soutient qu'un tel préjudice résulterait du fait qu'elle serait empêchée de faire valoir la compensation qu'elle oppose à l'action prud'homale de l'intimé, en absence de créance exigible au sens de l'art. 120 CO. A cet égard, elle explique que la créance qu'elle fait valoir à l'encontre de l'intimé ne sera exigible que lorsqu'elle aura été établie et jugée dans le cadre des conclusions civiles qu'elle a déposées dans la procédure pénale. Elle allègue également que la litispendance prévue par l'art. 122 al. 3 CPP a pour effet, selon l'art. 64 CPC, de l'empêcher d'introduire à l'encontre du prévenu une procédure civile séparée dans laquelle elle prendrait des conclusions en paiement fondées sur un acte illicite.  
Toutefois, la cour cantonale a uniquement constaté, dans sa subsomption, que l'employé avait fait l'objet de six plaintes pénales, dont quatre avaient été déposées par des plaignants autres que l'employeuse, et que les prétentions civiles dans le cadre de la procédure pénale s'élevaient à sept millions de francs au total. Il ne ressort pas précisément des faits constatés par les juges cantonaux que l'employeuse elle-même aurait déposé une action civile par adhésion à la procédure pénale au sens de l'art. 122 al. 1 et 3 CPP. Dans son recours, l'intéressée a exposé qu'elle avait fait valoir dans la procédure pénale des prétentions civiles à hauteur de 84'328 fr. 13 et 200'000 fr. Elle n'a cependant pas requis un complètement de l'état de fait à cet égard. En outre, si elle indique certes quelques renvois à des pièces du dossier, il lui appartenait d'indiquer de manière détaillée, pour chaque fait qu'elle souhaitait voir complété par le Tribunal fédéral, qu'elle l'avait allégué précédemment, en renvoyant de manière précise à ses écritures et aux pièces du dossier. Elle n'a pas satisfait à cette exigence, de sorte qu'il n'y a pas lieu de tenir compte de ces faits. Ainsi, les arguments reposant sur ces prétendues conclusions civiles n'ont pas à être pris en considération. 
On peut néanmoins relever qu'une partie peut faire valoir une créance par l'exception de compensation même si ladite créance fait l'objet d'une action dans un autre procès (ATF 142 III 626 consid. 8.4, cf. aussi consid. 8.3 de cet ATF). Ainsi, la suspension de la procédure demandée par la recourante ne serait d'aucune utilité pour éviter le préjudice irréparable qu'elle allègue - à savoir qu'elle serait empêchée de faire valoir la compensation dans la procédure prud'homale - pour autant qu'il existe. 
 
1.3. Dans le cadre de ses différents moyens, la recourante évoque encore ça et là d'autres risques de préjudice irréparable. Elle soutient que le rejet de la suspension l'empêcherait d'apporter la preuve de ses allégués dans la procédure prud'homale. Ses moyens seraient dépendants de l'avancée de la procédure pénale. L'entier de la procédure pénale avait été offerte en preuve dans la procédure prud'homale, lesquelles seraient étroitement liées. La recourante fait également valoir que même si le juge civil n'est pas lié par la qualification pénale qui serait retenue à l'issue de la procédure pénale, il serait arbitraire qu'il ne considère pas comme illicite ou fautif au sens du droit du travail le comportement d'un employé reconnu coupable de gestion déloyale envers son employeur.  
Toutefois, on ne décèle nullement un préjudice qu'une décision favorable à la recourante sur le fond ne fera pas disparaître complètement. Il en va de même de son argument quant à un risque de jugements contradictoires; là également, il n'existe pas de préjudice irréparable pour la recourante qu'aucune décision ultérieure ne serait à même de réparer. Enfin, le principe de l'économie de procédure n'est pas pertinent dans le cadre de l'analyse de l'existence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF
 
2.  
Au vu de ce qui précède, le recours en matière civile ne satisfait pas aux conditions de l'art. 93 al. 1 let. a LTF et doit donc être déclaré irrecevable. 
La recourante, qui succombe, supportera les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF). Elle versera en outre une indemnité de dépens à l'intimé (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est irrecevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 3'500 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la IIe Cour d'appel civil du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg. 
 
 
Lausanne, le 27 octobre 2022 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Hohl 
 
La Greffière : Raetz