8C_95/2023 17.10.2023
Avis important:
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
8C_95/2023  
 
 
Arrêt du 17 octobre 2023  
 
IVe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Wirthlin, Président, 
Maillard et Métral. 
Greffière : Mme Elmiger-Necipoglu. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
recourant, 
 
contre  
 
Chemins de fer fédéraux suisses CFF, Droit & compliance Human Resources, 
Hilfikerstrasse 1, 3000 Berne 65 SBB, 
intimés. 
 
Objet 
Droit de la fonction publique, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral du 30 décembre 2022 (A-2770/2021). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________, né en 1962, était employé des CFF depuis le 15 novembre 2002. Il occupait le poste de "collaborateur cleaning". Son travail consistait notamment à procéder au nettoyage des trains arrivés en gare de Genève-Aéroport. Depuis le 1er janvier 2005, les rapports de travail étaient de durée indéterminée.  
 
A.b. Le 13 février 2021, aux environs de 11 heures, alors que l'employé nettoyait l'étage supérieur d'un train en gare de Genève-Aéroport, son collègue, B.________, a trouvé dans un des wagons une sacoche oubliée par un passager. L'objet a été déposé par B.________, lequel était accompagné par A.________, dans un local de service de la gare. En fin de matinée, le client qui avait perdu son sac s'est présenté aux guichets CFF de la gare de Genève-Aéroport. N'ayant pas eu de retour du personnel de nettoyage des trains ou d'autres clients quant à un éventuel objet trouvé, les collaborateurs du guichet lui ont conseillé de se rendre à la police. Cette dernière a ensuite pris contact dans l'après-midi avec les collaborateurs des guichets pour vérifier si le sac et son contenu avaient depuis lors été retrouvés. Les deux employés ont rapporté le sac aux guichets CFF en début d'après-midi, qui a ainsi pu être remis à son propriétaire. La police est ensuite à nouveau intervenue pour fouiller les locaux du service de nettoyage, sans succès, un montant de 1'700 euros ayant disparu d'une enveloppe se trouvant dans le sac. Le 14 février 2021, les agents de police ont convoqué A.________ et son collègue afin de procéder séparément à leur audition quant aux faits. A.________ a toujours proclamé son innocence quant aux événements susmentionnés.  
 
A.c. Par ordonnance pénale du 26 avril 2021, le Ministère public du canton de Genève a reconnu A.________ coupable d'appropriation illégitime sous forme de coactivité et l'a condamné à une peine pécuniaire de cinquante jours-amende, avec sursis. Celui-ci a contesté cette ordonnance pénale.  
 
A.d. L'employé a remis à son employeur l'ordonnance pénale le 30 avril 2021. Le 3 mai 2021 s'est tenue une réunion entre l'employé et ses supérieurs hiérarchiques. A cette occasion, ces derniers l'ont informé de leur intention de résilier ses rapports de travail avec effet immédiat. A cette fin, ils lui ont remis, en mains propres, une lettre portant un projet de décision reprenant en substance les faits tels qu'ils ressortaient de l'ordonnance pénale. L'employé a été suspendu immédiatement de ses fonctions.  
 
A.e. Par décision du 12 mai 2021, l'employeur a résilié le contrat de travail de l'employé avec effet immédiat pour de justes motifs. En substance il a retenu que l'employé avait gravement enfreint son devoir de diligence dans le cadre des événements du 13 février 2021. Selon lui, les directives des CFF avaient été violées lorsque l'employé n'avait pas rapporté l'objet trouvé aux guichets dès que l'organisation de son travail le lui permettait.  
 
A.f. Ensuite du retrait de la plainte à l'encontre de l'employé et de son collègue le 21 mai 2021, le Ministère public a rendu une ordonnance de classement en faveur de A.________, en mettant toutefois les frais de procédure à sa charge. Par arrêt du 25 mars 2022, la Cour de justice du canton de Genève a admis son recours et mis les frais de procédure à la charge de l'État.  
 
B.  
Par arrêt du 30 décembre 2022, le Tribunal administratif fédéral a partiellement admis le recours formé par A.________ contre la décision de résiliation du 12 mai 2021, qu'elle a réformée en ce sens que la fin des rapports de travail était fixée au 30 novembre 2021 et qu'une indemnité de huit mois de salaire brut, à charge de l'autorité inférieure, était due à l'employé. 
 
C.  
A.________ forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant à sa réforme en ce sens que la nullité de la résiliation du contrat de travail soit constatée et que les CFF soient enjoints à le réintégrer dans son emploi et à lui verser son salaire depuis le 12 mai 2021 (date du licenciement). 
Les CFF concluent au rejet du recours. Le Tribunal administratif fédéral déclare se référer intégralement à l'arrêt attaqué et n'avoir pas d'autres observations à formuler. 
Le recourant a répliqué et a confirmé les conclusions prises dans son mémoire de recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. L'arrêt attaqué porte sur la résiliation des rapports de travail d'un employé des CFF, qui sont constitués sous la forme d'une société anonyme de droit public (art. 2 de la loi sur les Chemins de fer fédéraux du 20 mars 1998 [LCFF; RS 742.31]). Les rapports de travail avec le recourant sont régis principalement par les dispositions relatives aux rapports de service du personnel fédéral (art. 15 al. 1 LCFF et art. 2 al. 1 let. d de la loi sur le personnel de la Confédération du 20 mars 2000 [LPers; RS 172.220.1]), la Convention collective de travail du 1 er mai 2019 (ci-après CCT CFF 2019), ainsi que le contrat de travail conclu entre les parties. Le code des obligations est également applicable, mais par analogie (art. 6 al. 2 LPers; cf. art. 1 al. 3 CCT CFF).  
 
1.2. L'arrêt entrepris a donc été rendu en matière de rapports de travail de droit public au sens de l'art. 83 let. g LTF (cf. arrêts 8C_605/2016 du 9 octobre 2017 consid. 1.1 et 8C_554/2016 du 26 juillet 2017 consid. 1). Il s'agit d'une contestation pécuniaire, de sorte que le motif d'exclusion de l'art. 83 let. g LTF n'entre pas en considération. La valeur litigieuse dépasse par ailleurs le seuil de 15'000 fr. (art. 51 al. 1 let. a et 85 al. 1 let. b LTF). Le recours est pour le reste dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par le Tribunal administratif fédéral (art. 86 al. 1 let. a LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.  
 
2.  
 
2.1. Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 145 V 188 consid. 2) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et pour autant que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).  
 
2.2. Le Tribunal fédéral peut compléter ou rectifier d'office l'état de fait (art. 105 al. 2 LTF). Toutefois, le complément ou la rectification des faits n'intervient que si le fait peut être déduit sans aucun doute possible des pièces du dossier. S'il apparaît qu'il faut compléter l'administration des preuves ou qu'il faut pour la première fois apprécier les preuves réunies, l'affaire devra être renvoyée à l'autorité précédente ou à l'autorité de première instance, conformément à l'art. 107 al. 2 LTF. En effet, il n'appartient en principe pas au Tribunal fédéral, qui est un juge du droit, d'administrer les preuves ou d'apprécier les preuves déjà recueillies (cf. ATF 146 I 185 consid. 7.2; 142 II 243 consid. 2.4; 133 IV 293 consid. 3.4.2).  
 
3.  
 
3.1. Le litige porte sur la question de savoir si le Tribunal administratif fédéral a violé le droit fédéral en refusant la réintégration du recourant.  
 
3.2. A cet égard, l'arrêt entrepris expose de manière correcte et complète les dispositions et la jurisprudence applicables en l'espèce, s'agissant notamment de la résiliation des rapports de service pour justes motifs (art. 10 al. 4 LPers et de l'art. 176 de la CCT CCF 2019). Il suffit par conséquent d'y renvoyer.  
On ajoutera qu'en vertu de l'art. 34b al. 1 LPers (cf. ég. art. 183 CCT CFF 2019), si l'autorité de recours approuve le recours contre une décision de résiliation des rapports de travail prise par l'employeur et que, exceptionnellement, elle ne renvoie pas le dossier à l'instance précédente, elle est tenue d'allouer une indemnité au recourant si notamment il y a eu résiliation immédiate en l'absence de justes motifs (let. a); d'ordonner le versement du salaire jusqu'à l'expiration du délai de congé ordinaire s'il y a eu résiliation immédiate en l'absence de justes motifs (let. b). L'instance de recours fixe l'indemnité visée à l'al. 1 let. a, en tenant compte des circonstances. Le montant de l'indemnité correspond en règle générale à six mois de salaire au moins et à un salaire annuel au plus (al. 2). 
Concernant la réintégration, l'employeur propose à l'employé de le réintégrer dans l'emploi qu'il occupait ou si cela est impossible, lui propose un autre travail pouvant raisonnablement être exigé de lui lorsque l'instance de recours a admis le recours contre une décision de résiliation des rapports de travail parce que la résiliation était notamment abusive en vertu de l'art. 336 CO ou avait été prononcée pendant une des périodes visées à l'art. 336c, al. 1, CO (art. 34c, al. 1 let. b et c LPers; cf. ég. art. 184 CCT CFF 2019). Si le recours est admis et que l'employé en fait la demande, l'instance de recours lui accorde une indemnité correspondant en règle générale à six mois de salaire au moins et à un salaire annuel au plus en lieu et place de la réintégration visée à l'al. 1 (art. 34c al. 2 LPers, cf. aussi art. 184 al. 2 CCT CFF 2019). 
 
4.  
En l'espèce, il est constant que les CFF ne disposaient pas de justes motifs au sens des art. 10 al. 4 LPers et 176 CCT CFF 2019 pour résilier avec effet immédiat les rapports de travail du recourant. Statuant sur la requête principale du recourant visant sa réintégration, le Tribunal administratif fédéral a considéré qu'elle ne pouvait entrer en ligne de compte, vu les hypothèses limitatives dans lesquelles elle pouvait intervenir et qui n'étaient pas réalisées. Le recourant n'avait ainsi pas apporté la preuve du caractère abusif du licenciement, à savoir une volonté délibérée de son employeur de faire de la résiliation un prétexte pour se séparer d'un employé âgé qui pourrait faire valoir des droits en matière de prestations. Le Tribunal administratif fédéral a néanmoins admis la conclusion subsidiaire du recourant, ordonné le maintien du salaire jusqu'à l'échéance du délai de congé ordinaire de six mois, soit jusqu'au 30 novembre 2021, et lui a octroyé une indemnité constituée de huit mois de salaires brut en application de l'art. 34b al. 2 LPers respectivement de l'art. 183 al. 2 CCT CFF 2019. 
 
5.  
 
5.1. Le recourant conteste cette appréciation du Tribunal administratif fédéral, en faisant valoir que la résiliation du 11 (recte: 12) mai 2021 serait abusive et violerait l'art. 336 al. 1 let. c CO, car elle aurait été utilisée comme prétexte pour se séparer de lui.  
 
5.2. À juste titre, le recourant ne remet pas en cause l'appréciation du Tribunal administratif fédéral, selon laquelle son comportement lors de l'incident du 13 février 2021 était constitutif d'une faute et d'une violation de ses obligations contractuelles. Même si ce comportement ne justifiait pas une résiliation des rapports de travail avec effet immédiat, comme l'a retenu le Tribunal administratif fédéral, il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que c'est bien cet incident qui a motivé les CFF à mettre fin aux rapports de travail. Contrairement à ce que semble suggérer le recourant, il n'existe en l'occurrence pas d'indice - et encore moins de preuve (cf. sur le fardeau de la preuve du caractère abusif du licenciement, cf. arrêt 8C_838/2009 du 17 février 2010 consid. 5.2) - permettant d'admettre que les intimés auraient fait de la résiliation un prétexte pour se séparer d'un employé âgé susceptible de faire valoir des droits en matière de prestations de retraite anticipée et d'autres prestations sociales. Si la résiliation a, certes, été prononcée le 12 mai 2021, l'intention de résilier les rapports de travail avec effet immédiat a été communiquée au recourant le 3 mai 2021, soit quelques jours après que celui-ci avait informé son employeur de l'ordonnance pénale du 26 avril 2021(sur le délai de réflexion raisonnable pour une résiliation "immédiate", cf. arrêt 8C_667/2019 du 28 janvier 2021 consid. 7.2.1). Ainsi, l'appréciation du Tribunal administratif fédéral considérant que la résiliation du 12 mai 2021 n'est pas abusive au sens de l'art. 336 CO (art. 34c let b LPers; art. 184 al. 1 let.b CCT CFF 2019) n'apparaît pas contraire au droit fédéral. Mal fondé, ce grief doit être écarté.  
 
6.  
 
6.1. Le recourant soutient par un deuxième moyen que la résiliation serait nulle, puisqu'elle aurait été donnée à une période, pendant laquelle il se trouvait en incapacité de travail (art. 336c al. 1 let. b CO).  
 
6.2. Les premiers juges n'ont pas traité ce grief, alors même que le recourant avait invoqué souffrir de problèmes de santé qui restreignaient sa capacité de travail à compter du 10 mars 2021 et qu'il avait produit un plan de réinsertion des CFF qui avait débuté à cette même date. Il en ressort qu'une "maladie" constitue le motif de l'absence (cf. art. 149 al. 2 CCT CFF 2019). Les CFF n'ont pas contesté cette allégation devant le Tribunal administratif fédéral et ont indiqué dans leur réponse du 13 août 2021 qu'ils étaient "au courant des problèmes de santé du recourant". Ils déclaraient connaître "les droits en cas d'empêchement de travail pour des raisons de santé, qui donnent droit au maintien du salaire pendant deux ans". Ils ont toutefois observé qu'en présence d'une résiliation avec effet immédiat, tous les avantages de la relation de travail cessent.  
Cela ne va pas de soi si la résiliation immédiate n'est en réalité pas fondée sur des justes motifs au sens des art. 10 al. 4 LPers et 176 CCT CFF 2019, et qu'elle a été prononcée pendant l'une des périodes visées à l'art. 336c, al. 1, CO (art. 34c al. 1 let. c LPers et 184 al. 1 let. c CCT CFF 2019). Il appartiendra par conséquent à l'instance précédente de constater les faits en relation avec une éventuelle période d'incapacité de travail au moment de la résiliation des rapports de travail et, le cas échéant, de déterminer si le recourant peut se prévaloir, en dépit de la résiliation immédiate des rapports de travail, d'un droit à une réintégration conformément aux art. 34c al. 1 let. c LPers et 184 al. 1 let. c CCT CFF 2019. A défaut, elle examinera si le calcul du droit au salaire en dépit de la résiliation des rapports de travail (art. 34c al. 1 let. c LPers et art. 184 al. 1 let. c CCT CFF 2019) comprend le salaire pendant la période de protection prévue par l'art. 336c al. 1 let. b CO ou l'art. 128 al. 1 CCT CFF 2019. Enfin, elle examinera si, en l'absence de réintégration, le recourant peut prétendre une indemnité au sens de l'art. 34c al. 2 LPers et de l'art. 184 al. 2 CCT CFF 2019 ou, à défaut, si une éventuelle résiliation prononcée pendant l'une des périodes visées à l'art. 336c, al. 1, CO doit être prise en considération pour fixer l'indemnité au sens des art. 34b al. 2 et 183 al. 2 CCT CFF 2019. Dans cette mesure le recours est bien fondé. 
 
7.  
En ce qui concerne la répartition des frais judiciaires, le renvoi de la cause pour nouvel examen et décision revient à obtenir gain de cause au sens des art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF, indépendamment du fait qu'une conclusion ait ou non été formulée à cet égard, à titre principal ou subsidiaire (ATF 146 V 28 consid. 7; 141 V 281 consid. 11.1; 137 V 210 consid. 7.1; arrêt 8C_41/2017 du 21 décembre 2017 consid. 4). Les intimés, qui succombent, supporteront les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est partiellement admis et l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour I, du 30 décembre 2022 annulé, la cause étant renvoyée à cette autorité pour nouvelle décision. Le recours est rejeté pour le surplus. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge des intimés. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal administratif fédéral, Cour I. 
 
 
Lucerne, le 17 octobre 2023 
 
Au nom de la IVe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Wirthlin 
 
La Greffière : Elmiger-Necipoglu