7B_37/2023 16.11.2023
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
7B_37/2023  
 
 
Arrêt du 16 novembre 2023  
 
IIe Cour de droit pénal  
 
Composition 
Mme et MM. les Juges fédéraux, Koch, Juge présidant, Hurni et Hofmann. 
Greffière : Mme Paris. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Erdem Keskes, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Corinne Jeanprêtre, 
Juge du Tribunal de police du Littoral et 
du Val-de-Travers 
intimée. 
 
Objet 
Procédure pénale; récusation, 
 
recours contre l'arrêt de l'Autorité de recours en matière pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel du 24 mars 2023 
(ARMP.2023.28-RECUS/sk). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Par ordonnance pénale du 12 décembre 2017, le Ministère public a condamné A.________ à 50 jours-amende avec sursis pendant deux ans, lui reprochant diverses infractions commises entre 2016 et 2017. Le prévenu a formé opposition le 20 décembre 2017; le Ministère public a maintenu l'ordonnance pénale et a transmis le dossier au Tribunal de police du tribunal régional du Littoral et du Val-de-Travers (ci-après: Tribunal de police). Une audience a eu lieu devant la Juge Florence Dominé dudit tribunal, le 22 mars 2018. Après un renvoi au Ministère public pour complément d'instruction, une nouvelle audience s'est tenue le 10 juin 2021 devant la Juge précitée. Celle-ci a alors prononcé la clôture des débats et donné connaissance de son jugement, en le motivant oralement. Le prévenu a été reconnu coupable de soustraction d'une chose mobilière (art. 141 CP) et violation de domicile (art. 186 CP) et condamné à 30 jours-amende, avec sursis pendant deux ans, ainsi qu'à une amende additionnelle de 500 francs. Après la motivation orale, le dispositif écrit a été remis aux parties, séance tenante.  
Le 11 juin 2021, A.________ a déposé une annonce d'appel. Le 16 juin 2021, il a demandé, auprès du Tribunal de police, la récusation de la Juge Florence Dominé au motif, notamment, que celle-ci avait rédigé le dispositif du jugement avant la fin de l'instruction, respectivement avant les plaidoiries, puisqu'elle avait lu le dispositif immédiatement après celles-ci. Le jugement motivé du 10 juin 2021 a été expédié aux parties le 8 juillet 2021; le 30 juillet suivant, A.________ a saisi la Cour pénale du Tribunal cantonal neuchâtelois d'une déclaration d'appel motivée, dans laquelle il concluait à la récusation de la première Juge et au renvoi du dossier à un autre juge, pour nouveau jugement, subsidiairement à son acquittement. Le 17 août 2021, la Cour pénale a transmis la demande de récusation à l'Autorité de recours en matière pénale du Tribunal cantonal neuchâtelois. Par arrêt du 27 août 2021, celle-ci a rejeté la demande de récusation. 
Saisi d'un recours de A.________, le Tribunal fédéral a admis celui-ci par arrêt du 28 janvier 2022 (arrêt 1B_536/2021). Il a annulé l'arrêt de l'autorité de recours et a admis la demande de récusation de la Juge Florence Dominé. Il a considéré, en résumé, que la lecture du dispositif immédiatement après les plaidoiries pouvait fonder, au moins en apparence, une suspicion de partialité, étant relevé que la nécessaire délibération devait avoir lieu après la clôture des débats, en présence du greffier. 
 
A.b. Le 16 février 2022, A.________ a demandé au Tribunal de police "l'annulation des actes effectués avec le concours de la personne qui aurait dû se récuser au sens de l'art. 60 CPP". Le dossier a été remis à la Cour pénale le 10 mars 2022. Par décision du 23 novembre 2022, celle-ci a constaté que l'appel déposé le 30 juillet 2021 contre le jugement du 10 juin 2021 était devenu sans objet du fait de la récusation de la Juge de police et a rayé la cause du rôle.  
La Cour pénale a renvoyé le dossier au Tribunal de police le 9 janvier 2023. Le 20 janvier 2023, la Juge Corinne Jeanprêtre du Tribunal de police a informé les parties qu'elle était désormais en charge de la procédure. Elle mentionnait qu'il convenait, à ce stade, que les parties se prononcent sur les opérations qui devraient être répétées à la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral, un délai de vingt jours leur étant imparti pour ce faire. La Juge rappelait la tenue d'une audience le 23 février 2023. Le 21 février 2023, le prévenu a mandaté un nouvel avocat pour le représenter, le mandat de son précédent mandataire ayant pris fin en septembre 2022. 
 
A.c. Le 22 février 2023, A.________ a adressé une demande de récusation de la Juge Corinne Jeanprêtre. Selon lui, le jugement du  
10 juin 2021 et tous les documents relatifs aux actes de procédure accomplis par la Juge récusée auraient dû être retirés du dossier avant que celui-ci ne soit transmis à un nouveau magistrat, lequel ne pouvait qu'être influencé par ceux-ci. Au demeurant, le courrier du 20 janvier 2023 de la Juge Corinne Jeanpr être lui octroyait un délai pour indiquer quels actes de procédure il voulait voir répétés, lequel expirait néanmoins après l'audience fixée le 23 février 2023. Pour le prévenu, alors non représenté, cette manière de procéder mettait en péril l'exercice de ses droits et faisait fi de sa réquisition de "répéter tous les actes accomplis par le précédent magistrat récusé", que le Tribunal de police ne pouvait pas ignorer. 
 
A.d. La Juge Corinne Jeanprêtre a transmis le dossier à l'autorité cantonale de recours avec une détermination du 9 mars 2023 par laquelle elle s'opposait à sa récusation dans la mesure où aucun motif n'était réalisé. Elle indiquait que la procédure lui avait été attribuée après la récusation de la Juge Florence Dominé et qu'à réception du dossier de l'autorité cantonale, elle avait invité le greffe à en retirer le dispositif du jugement rendu le 10 juin 2021, ainsi que le jugement motivé. Elle avait aussi demandé au greffe de caviarder le procès-verbal de l'audience du 10 juin 2021. A.________ a confirmé sa demande de récusation.  
 
B.  
Par arrêt du 24 mars 2023, l'autorité de recours a rejeté la demande de récusation. Elle a mis les frais de la cause, arrêtés à 500 fr., à la charge de A.________. 
 
C.  
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt en concluant, avec suite de frais et dépens, à sa réforme, en ce sens que sa requête de récusation de la Juge Corinne Jeanprêtre soit admise. 
Invitées à se déterminer, la Juge Corinne Jeanprêtre et l'autorité précédente n'ont pas formulé d'observations. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 146 IV 185 consid. 2). 
Une décision - rendue par une autorité cantonale statuant en tant qu'instance unique (art. 80 al. 2 in fine LTF) - relative à la récusation de magistrats pénaux peut faire immédiatement l'objet d'un recours en matière pénale, malgré son caractère incident (cf. art. 78 et 92 al. 1 LTF). Le recourant, prévenu dont la demande de récusation a été rejetée, a qualité pour recourir en vertu de l'art. 81 al. 1 LTF (arrêt 1B_273/2023 du 26 mai 2023 consid. 2.1). Pour le surplus, le recours a été interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et les conclusions présentées sont recevables (art. 107 al. 2 LTF). 
Partant, il y a lieu d'entrer en matière. 
 
2.  
Le recourant reproche à l'autorité précédente d'avoir rejeté sa demande de récusation visant la Juge Corinne Jeanprêtre. Il se plaint d'une violation des art. 56 let. f CPP, 30 Cst. et 6 par. 1 CEDH. 
 
2.1. Un magistrat est récusable, selon l'art. 56 let. f CPP, lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à le rendre suspect de prévention. Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes. Elle correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3; 143 IV 69 consid. 3.2; arrêt 1B_25/2022 du 18 mai 2022 consid. 2.2). L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (ATF 136 III 605 consid. 3.2.1).  
 
2.2. L'autorité de recours a constaté que la Juge Corinne Jeanprêtre avait fait retirer du dossier le dispositif et le jugement motivé du  
10 juin 2021. Ce faisant, elle avait démontré qu'elle n'avait pas l'intention de se laisser influencer par les considérations de la magistrate précédente, dont elle n'entendait pas prendre connaissance. En tout état de cause, la juridiction précédente a retenu que le simple fait que la Juge précitée - aurait pu - prendre connaissance dudit jugement et d'autres pièces établies sous l'autorité de la Juge précédente, ne constituait pas un motif de récusation. Selon l'autorité cantonale, cette circonstance ne pouvait pas faire redouter une activité partiale de la nouvelle juge. Celle-ci n'était d'aucune manière liée par les actes de la magistrate à laquelle elle succédait et était parfaitement à même de se forger sa propre opinion sur les opérations nécessaires pour aboutir au jugement et pour rendre une décision finale. L'autorité cantonale a souligné, exemples à l'appui, que la jurisprudence accordait une grande confiance aux juges pour agir en toute impartialité et en prenant la distance nécessaire par rapport à un avis exprimé précédemment, par eux-mêmes ou par un autre juge, y compris après avoir été désavoués par une autorité supérieure. Rien dans le cas d'espèce ne justifiait de considérer que la Juge Corinne Jeanprêtre ne pourrait pas accorder au recourant le traitement indépendant et impartial auquel il avait droit. 
Se prononçant sur un second grief soulevé devant elle, la juridiction précédente a relevé que la manière dont la Juge Corinne Jeanprêtre avait traité la demande du recourant d'annuler les actes accomplis par la Juge récusée ne pouvait fournir matière à récusation. L'autorité de recours a ainsi souligné que l'art. 60 CPP posait le principe de l'annulabilité des actes effectués avec le concours d'une personne qui aurait dû se récuser; ces actes n'étaient dès lors pas nuls de plein droit. Ainsi, il appartenait au recourant de demander l'annulation des actes de procédure déjà effectués, ce qu'il n'avait toutefois pas fait de manière suffisamment précise dans sa demande du 16 février 2022. Pour ce motif, la Juge Corinne Jeanprêtre lui avait demandé, par courrier du 20 janvier 2023, d'indiquer clairement les actes qu'il entendait annuler. L'audience fixée le 23 février 2023, soit avant l'échéance du délai pour ce faire, ne l'empêchait pas de formuler sa requête. 
 
2.3.  
 
2.3.1. En tant que le recourant reproche à la juridiction précédente de ne pas s'être prononcée sur sa demande d'annulation des actes d'instruction effectués par la Juge récusée, son grief tombe à faux  
(cf. consid. 2.2 2ème par. supra). Le recourant ne s'en prend pas, ou du moins pas selon les exigences déduites de l'art. 42 al. 2 LTF, à la motivation de l'autorité précédente à cet égard, de sorte que son grief est irrecevable.  
 
2.3.2. Le recourant reproche également à l'autorité cantonale de ne pas s'être prononcée sur le sort du jugement du 10 juin 2021. En l'espèce, il faut admettre avec le recourant qu'il ne ressort pas de l'arrêt attaqué que l'autorité cantonale se serait prononcée sur cette question. Néanmoins, il est établi que la Cour pénale du Tribunal cantonal neuchâtelois a renvoyé le dossier au Tribunal de police le  
9 janvier 2023, la Juge Corinne Jeanprêtre ayant informé les parties qu'elle était désormais en charge du dossier. Il faut donc en déduire que la cour cantonale a implicitement annulé le jugement de première instance du 10 juin 2021 rendu par la Juge récusée. Même si la Cour pénale du Tribunal cantonal aurait dû le faire explicitement et formellement, ce manquement n'a aucune incidence sur la question de savoir si la magistrate intimée est prévenue ou non dans la présente cause. 
 
2.3.3. Enfin et surtout, le recourant soutient que le fait que la Juge intimée aurait pu prendre connaissance du jugement du 10 juin 2021 suffirait en soi à faire douter de son impartialité. Son argumentation sur ce point ne résiste pas à l'examen. En effet, contrairement à ce que prétend le recourant, le raisonnement de l'autorité précédente selon lequel cette circonstance ne peut pas en elle-même faire redouter une activité partiale de la nouvelle Juge repose sur une jurisprudence bien établie. Il ressort ainsi de la jurisprudence que la garantie du juge impartial ne commande pas la récusation d'un juge au simple motif qu'il a, dans une procédure antérieure - voire dans la même affaire -, tranché en défaveur de l'intéressé. La jurisprudence considère en effet que le magistrat appelé à statuer à nouveau après l'annulation d'une de ses décisions est en général à même de tenir compte de l'avis exprimé par l'instance supérieure et de s'adapter aux injonctions qui lui sont faites (ATF 143 IV 69 consid. 3.1; arrêts 1B_105/2023 du 21 avril 2023 consid. 2; 1B_25/2022 du 18 mai 2022 consid. 2.2). Par ailleurs, la jurisprudence a également admis que l'opinion d'un autre juge, en l'occurrence d'un juge rapporteur dans le cadre d'une juridiction collégiale, n'impliquait aucune partialité et était compatible avec la garantie d'un tribunal indépendant et impartial  
(ATF 134 I 238 consid. 2.3; arrêts 1B_666/2021 du 21 avril 2022 consid. 2.4; 1B_293/2021 du 28 septembre 2021 consid. 4.1). Ainsi, il doit être admis qu'un juge puisse se forger sa propre opinion sans se laisser influencer par une première opinion émise; a fortiori lorsque, comme en l'espèce, une suspicion de prévention existe à l'encontre de la magistrate ayant émis le premier avis. Il s'ensuit que l'autorité de recours était fondée à retenir que le simple fait que la Juge intimée aurait - potentiellement - pu avoir connaissance du jugement rendu par la Juge récusée n'était pas suffisant pour éveiller un soupçon de partialité; le recourant ne prétend au demeurant pas qu'un autre élément objectif permettrait de retenir une prévention de la Juge intimée à son égard.  
 
2.3.4. Vu ce qui précède, la juridiction précédente n'a pas violé le droit fédéral en rejetant la demande de récusation formée contre la magistrate intimée.  
 
3.  
Le recourant invoque une violation de l'art. 58 CPP. Il reproche à la cour cantonale d'avoir laissé ouverte la question du respect du délai pour déposer la demande de récusation; cette motivation ne lui aurait pas permis de savoir s'il devait ou non recourir sur ce point. Cas échéant, il fait valoir que sa demande de récusation a été interjetée en temps utile. En l'espèce, ce grief est sans objet dans la mesure où le rejet de la demande de récusation est confirmé (cf. consid. 2.3.4 supra).  
 
4.  
Le recours doit être rejeté. Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, fixés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à l'Autorité de recours en matière pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel. 
 
 
Lausanne, le 16 novembre 2023 
 
Au nom de la IIe Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Juge présidant : Koch 
 
La Greffière : Paris