1C_410/2023 23.04.2024
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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_410/2023  
 
 
Arrêt du 23 avril 2024  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Müller et Merz, 
Greffier : M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Philippe Girod, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Conseil d' É tat de la République et canton de Genève, rue de l'Hôtel-de-Ville 2, 1204 Genève, 
représenté par le Département du territoire de la République et canton de Genève, Office des autorisations de construire, Service des affaires juridiques, case postale 22, 1211 Genève 8. 
 
Objet 
autorisation de maintien à titre précaire, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 13 juin 2023 
(A/3243/2022-LCI ATA/634/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Le 16 novembre 1971, le Département des travaux publics du canton de Genève, devenu depuis le Département de l'urbanisme (ci-après: le département) a autorisé l'agrandissement d'un hangar existant destiné à l'élevage de lapins et de poules sur la parcelle n° 284 de la commune de Collex-Bossy, située en zone agricole. Il était précisé que la construction ne pouvait en aucun cas être convertie en habitation, entrepôt ou atelier. Par la suite, en 1974 et 1977, le département a refusé deux demandes d'autorisation de construire présentées en vue de la transformation du hangar en habitation (cf. notamment l'arrêt du Tribunal fédéral du 4 mars 1981 P.408/1979). 
A.________ a acquis la parcelle le 18 juin 1997. Selon l'acte de vente, la parcelle comportait une "habitation" de 120 m2, en réalité le hangar précité. A.________ y exploite depuis lors son entreprise individuelle de paysagiste. 
 
B.  
Par décision du 16 juin 2009, le département a constaté que le hangar avait été transformé en habitation et que de nouvelles constructions (un garage de 50 m2 et une annexe de 25 m2) avaient été réalisées sans autorisation. Il a imparti à A.________ un délai de soixante jours pour rétablir le hangar dans son état d'origine et pour déposer une requête en autorisation de construire pour le garage et l'annexe, à la condition qu'il justifie de sa profession d'horticulteur. Dans le cas contraire, les constructions devaient être supprimées et il devait enlever les autres installations ainsi que divers dépôts sans lien avec l'agriculture (containers, roulottes ou cabanes dans l'angle nord-ouest). 
Le 17 novembre 2011, le département a refusé de délivrer l'autorisation de construire requise par A.________, consi-dérant qu'il n'exerçait pas la profession d'agriculteur à titre principal. 
La décision de remise en état et le refus d'autorisation de construire ont été confirmés successivement par le Tribunal administratif de première instance (TAPI), par la Chambre administrative de la Cour de justice genevoise et par le Tribunal fédéral (arrêt 1C_318/2013 du 10 décembre 2013). Les aménagements n'étaient pas susceptibles d'être autorisés et ne pouvaient être mis au bénéfice de la prescription de trente ans puisqu'ils avaient été réalisés dès 1997. 
 
C.  
Le 18 août 2014, A.________ a demandé au Conseil d'État genevois d'autoriser le maintien à titre précaire de l'ensemble des constructions litigieuses, en se fondant sur l'art. 139 de la loi cantonale sur les constructions et les installations diverses (LCI, RS/GE L 5 05). Cette demande a été publiée dans la Feuille d'Avis Officielle (FAO) le 24 octobre 2014, mais aucune décision formelle n'a été prise à l'issue de l'enquête. Le 29 avril 2022, le département a repris le dossier et constaté que sa décision du 16 juin 2009 était toujours d'actualité. A.________ répondit qu'il n'avait plus de nouvelles du département et du Conseil d'État depuis 2014. 
Le 31 août 2022, après nouvelle publication, le Conseil d'État a refusé le maintien à titre précaire, rappelant que son pouvoir de décision dans ce domaine était discrétionnaire et que l'autorisation à titre précaire équivaudrait à une dérogation contraire à l'art. 24 LAT
Par arrêt du 13 juin 2023, la Chambre administrative a confirmé cette décision. Comme cela avait été constaté de manière définitive en 2013, les constructions ne pouvaient pas être autorisées et leur maintien à titre précaire (y compris pour une durée limitée) violerait l'art. 24 LAT. Malgré l'écoulement du temps, le recourant ne pouvait se prévaloir d'aucune garantie de l'État. 
 
D.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal, d'autoriser à titre précaire les transformations effectuées sur la parcelle n° 284 et de dire qu'il n'y a pas lieu de donner suite à la décision de remise en état du 16 juin 2009. Subsidiairement, il demande qu'un premier délai de cinq ans lui soit accordé afin de réorganiser son entreprise commerciale. Plus subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants. Il demande en outre l'effet suspensif, qui a été accordé sous la forme de mesures provisionnelles par ordonnance du 12 septembre 2023. 
La Chambre administrative persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Le Conseil d'État conclut au rejet du recours. Le recourant a ensuite persisté dans ses conclusions. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine du droit public des constructions (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Le recourant a pris part à la procédure de recours devant la cour cantonale. En tant que le maintien à titre précaire des constructions litigieuses lui a été refusé, il est particulièrement touché par l'arrêt attaqué et peut ainsi se prévaloir d'un intérêt personnel et digne de protection à l'annulation de l'arrêt entrepris. Partant, il bénéficie de la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Il convient donc d'entrer en matière. 
 
2.  
Le recourant se plaint d'arbitraire dans l'application de l'art. 139 LCI. Il estime que le refus d'appliquer cette disposition en se fondant sur l'art. 24 LAT rendrait la norme cantonale pratiquement désuète. L'instance précédente ne pouvait se contenter de se référer aux décisions de 2013 sans examiner si les conditions d'application de l'art. 139 LCI étaient réalisées. Invoquant également le principe de la proportionnalité, le recourant relève qu'il a acquis la parcelle alors que la transformation du hangar en habitation avait déjà été effectuée et que les transformations étaient destinées au développement de son entreprise qui constitue sa seule source de revenus. L'autorité serait demeurée inactive depuis les refus d'autorisation en 1974 et 1977, ainsi que depuis le prononcé de l'ordre de remise en état en 2013, sans que cela ne lui soit imputable. Le recourant se prévaut enfin de sa bonne foi; il admet qu'il ne pouvait se prévaloir d'une assurance de l'autorité, mais relève qu'après le dépôt de sa demande de maintien à titre précaire, l'absence de réaction pendant neuf ans pouvait être comprise comme un renoncement à faire exécuter l'ordre de remise en état. 
 
2.1. S'il revoit librement l'interprétation et l'application du droit fédéral (art. 95 LTF), le Tribunal fédéral examine en revanche sous l'angle restreint de l'arbitraire l'interprétation et l'application des autres règles du droit cantonal ou communal (ATF 147 I 433 consid. 4.2; 146 II 367 consid. 3.1.5). Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral n'a pas à déterminer quelle est l'interprétation correcte que l'autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables; il doit uniquement examiner si l'interprétation qui a été faite est défendable. Il ne s'écarte de la solution retenue que si celle-ci apparaît insoutenable ou en contradiction manifeste avec la situation effective, ou encore si elle a été adoptée sans motifs objectifs et en violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision critiquée soient insoutenables, encore faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son résultat. Si l'application de la loi défendue par l'autorité cantonale ne se révèle pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution paraît également concevable, voire préférable (ATF 148 II 465 consid. 8.1; 148 I 145 consid. 6.1).  
 
2.2. Intitulé "Redevance", l'art. 139 LCI fait partie du chapitre de la loi consacré aux sanctions administratives. Il prévoit que lorsqu'une construction ou une installation n'est pas conforme à l'autorisation donnée ou si, entreprise sans autorisation, elle n'est pas conforme aux prescriptions légales, le Conseil d'État peut la laisser subsister, à titre précaire, si elle ne nuit pas à la sécurité, à la salubrité ou à l'esthétique, moyennant le paiement, en plus de l'amende, d'une redevance annuelle dont il fixe le montant et la durée selon la gravité de l'infraction (al. 1). Cette redevance doit être au moins égale au bénéfice annuel résultant de l'infraction et sa durée ne peut être supérieure à 30 ans. En cas de vente, le nouveau propriétaire est tenu du paiement de cette redevance (al. 2).  
 
2.3. L'art. 139 LCI constitue une norme potestative ("Kann-Vorschrift"). Même lorsque les conditions posées sont réalisées, l'autorité n'est donc pas tenue d'autoriser un maintien à titre précaire; elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation. Elle doit simplement fonder sa décision sur des motifs objectifs et respecter les principes constitutionnels, notamment - outre celui de l'interdiction de l'arbitraire - de proportionnalité et d'égalité de traitement (cf. ATF 144 IV 332 consid. 3.3).  
La cour cantonale rappelle à juste titre qu'en ce qui concerne les constructions en zone agricole, une autorisation de maintien à titre précaire équivaut à une dérogation hors zone à bâtir, de sorte que l'art. 139 LCI n'a pas de portée propre par rapport à l'art. 24 LAT (ATF 107 Ib 170 consid 2b; arrêts 1A.180/2002 du 19 novembre 2002 consid. 2.1; 1A.75/1991 du 13 février 1992 consid. 1b). Cela ne signifie toutefois pas, comme le soutient le recourant, que la norme cantonale n'aurait plus aucune portée puisqu'elle est susceptible de s'appliquer à des constructions en zone à bâtir. 
 
2.4. En l'occurrence, la contrariété des constructions litigieuses avec la destination de la zone agricole a fait l'objet d'une décision définitive confirmée par le Tribunal fédéral et il est dès lors évident que le maintien à titre précaire consacrerait une situation contraire au droit fédéral telle qu'elle a déjà été constatée. A cela s'ajoute que les constructions litigieuses ont également fait l'objet d'une procédure de remise en état ayant abouti à une décision définitive. Dans ce cadre, les questions de la proportionnalité, de la bonne foi et de la garantie de la situation acquise on pu être discutées et le recourant ne saurait y revenir par le biais d'une demande de maintien à titre précaire.  
Le refus du maintien à titre précaire n'est ainsi arbitraire ni dans ses motifs, ni dans son résultat. 
 
2.5. Il est vrai qu'après l'entrée en force de l'ordre de remise en état et le dépôt de la demande de maintien à titre précaire, l'autorité n'a plus réagi. Le recourant ne saurait toutefois tirer aucun avantage de cette inaction. La situation juridique était clairement établie en vertu de décisions définitives et le recourant savait que les constructions ne pouvaient être autorisées et devaient être remises en état, sous réserve du sort de sa demande de maintien à titre précaire. Le département lui avait d'ailleurs expressément confirmé, le 8 septembre 2014, que sa décision du 14 juin 2009 demeurait valable. Dès lors, l'inaction de l'autorité ne pouvait, contrairement à ce que prétend le recourant, être comprise comme une renonciation à faire exécuter les décisions. Le retard pris dans le traitement de la demande de maintien, certes regrettable comme l'a souligné la cour cantonale, ne pouvait d'aucune manière être considéré comme un acquiescement à ladite demande. Du reste, le recourant semble aussi s'être abstenu de rappeler aux autorités sa requête fondée sur l'art. 139 LCI, s'accommodant ainsi de leur inaction pour continuer à utiliser les installations qu'il aurait dû éliminer.  
 
2.6. Le recourant estime enfin que la cour cantonale aurait violé l'art. 29 Cst. et le principe de la bonne foi en refusant de lui accorder un délai supplémentaire pour réorganiser son entreprise, conformément à ses conclusions subsidiaires.  
L'inaction de l'autorité ne saurait certes être retenue au détriment du recourant. Celui-ci n'en a pas moins bénéficié durant de nombreuses années, tout en sachant que les décisions prises jusqu'ici conservaient leur actualité. S'agissant de constructions illicites en zone agricole et faisant l'objet d'un ordre de remise en état, une prolongation supplémentaire accordée par l'autorité porterait atteinte au principe constitutionnel (art. 75 al. 1 Cst.) de la séparation de l'espace bâti et non bâti (ATF 147 II 309 consid 5.5), à celui de la limitation du nombre et des dimensions des constructions en zone agricole (ATF 132 II 21 consid. 6.4) ainsi qu'à l'égalité devant la loi (arrêt 1C_418/2021 du 10 mars 2022 consid. 3.1). Les considérations économiques invoquées par le recourant ne sauraient prévaloir sur l'intérêt public rappelé ci-dessus (arrêt 1C_569/2020 du 25 février 2021 consid. 2.5). 
 
3.  
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté dans toutes ses conclusions. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge du recourant qui succombe. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire recourant, au Conseil d'État de la République et canton de Genève, à la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève, et à l'Office fédéral du développement territorial. 
 
 
Lausanne, le 23 avril 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
Le Greffier : Kurz